Abandon de poste du salarié : validité de la présomption de démission

Le Conseil d’Etat valide la présomption de démission caractérisée par l’abandon de poste volontaire du salarié.

La loi Marché du travail du 21 décembre 2022 a assimilé l’abandon de poste à une présomption de démission (article L.1237-1-1 du Code du travail).

Ainsi, le salarié qui abandonne volontairement son poste et ne reprend pas le travail, après avoir été mis en demeure par l’employeur de justifier son absence et de reprendre son poste dans un délai fixé par l'employeur, est présumé avoir démissionné.

Les conséquences de ces nouvelles règles sont significatives en termes d’indemnités de rupture et droit à percevoir une allocation d’assurance chômage : le salarié démissionnaire ne bénéficie d'aucune indemnité de licenciement ou de rupture conventionnelle, ni d’allocation chômage.

Un décret du 17 avril 2023 a mis en œuvre le dispositif de présomption de démission en cas d’abandon de poste intégré au nouvel article L.1237-1- du Code du travail et le 18 avril 2023, un « questions-réponses » a été publié, dans lequel le Ministère du Travail fermait la voie du licenciement pour faute en cas d’abandon de poste (le QR a ensuite été retiré du site, en raison de contestations sur ce point).

Ainsi, les modalités pratiques, inscrites dans un nouvel article R.1237-13 du Code du travail sont les suivantes :

  • l'employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et « entend faire valoir la présomption de démission », le met en demeure, par lettre recommandée « ou par lettre remise en main-propre contre décharge » de justifier son absence et de reprendre son poste.
  • le salarié dispose d’un délai fixé par l’employeur, de 15 jours minimum, à compter de la présentation de cette mise en demeure, s’il souhaite justifier son absence et se prévaloir d’un motif légitime. A titre d’illustrations, le décret cite notamment : raisons médicales, exercice du droit de retrait, exercice du droit de grève, refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à une réglementation, modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur.
  • la suite de la procédure était déjà prévue par la loi : le salarié qui ne reprend pas son travail à l'issue de ce délai est présumé avoir démissionné et est privé des indemnités de rupture et du droit à l'indemnisation chômage.

Cette présomption de démission étant une présomption simple, le salarié peut la contester devant la juridiction prud’homale, laquelle devra se prononcer sur la nature de la rupture et les conséquences associées et qui devra statuer au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine.

C’est dans ce contexte que plusieurs associations et syndicats dont Le Cercle Lafay, l’UNSA, la Confédération FO et la CGT, ont sollicité, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat, l'annulation du décret et du questions-réponses.

Les requérants contestaient :

  • l’absence d’application à ce dispositif, de la convention 158 de l’OIT sur le licenciement, défini comme une « cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur ».
  • le délai de 15 jours à compter de la présentation de la mise en demeure dont dispose le salarié pour faire connaître ses intentions. A leur sens, ce délai serait trop court compte tenu du délai de mise en instance d’un recommandé à la Poste, et ne tiendrait pas compte, des circonstances exceptionnelles qui empêchent le salarié de reprendre le travail (emprisonnement, hospitalisation, troubles psychiatriques…). Par ailleurs, le décret aurait dû préciser que la mise en demeure doit mentionner les risques encourus par le salarié en cas d’absence de reprise du travail.
  • le « questions-réponses », en ce qu’il fermait la voie du licenciement pour faute, une procédure qui ne prive pas le salarié du droit à percevoir une allocation d’assurance chômage, contrairement à la démission.

Par une décision très attendue rendue le 18 décembre 2024, le Conseil d’Etat a rejeté les recours pour les motifs suivants :

  • le décret ne permet pas de faire bénéficier le salarié des garanties prévues par la convention internationale du droit du travail n° 158 sur le licenciement, dans la mesure où cette convention n'a vocation à s'appliquer qu'en cas de cessation du contrat de travail à l'initiative de l'employeur « et non dans les situations de démission volontaire ». Or, « si c’est bien l’employeur qui initie la procédure par l’envoi d’une mise en demeure, c’est en réalité le salarié, par son absence persistante sans justification, qui est à l’initiative de la rupture de la relation de travail ». 
  • « pour que la démission du salarié puisse être présumée en application de ces dispositions, ce dernier doit nécessairement être informé, lors de la mise en demeure, des conséquences pouvant résulter de l’absence de reprise du travail sauf motif légitime justifiant son absence ». La mise en en demeure de l'employeur devra donc contenir ces informations.
  • concernant la mise en demeure par laquelle l’employeur demande au salarié de justifier son absence et de reprendre son poste, « en fixant ce délai minimum à quinze jours à compter de la date de présentation de la mise en demeure et non à compter de sa réception », le décret n’est ni contraire à la loi ni manifestement erroné. Le Conseil d’Etat rappelle par ailleurs que « l’abandon de poste ne peut pas être considéré comme volontaire en cas de motif légitime, par exemple des raisons médicales, l’exercice du droit de retrait ou du droit de grève, le refus du salarié d’exécuter une instruction contraire à la réglementation, ou des modifications du contrat à l’initiative de l’employeur ».
  • le questions-réponses ayant été retiré, la contestation sur l’impossibilité d’enclencher la procédure de licenciement pour faute grave en cas d'abandon de poste est devenue sans objet.

Le nouveau dispositif légal de présomption de démission en cas d'abandon de poste du salarié est définitivement validé par cette décision de la plus haute juridiction administrative.

Par ailleurs, le Conseil d’État ne s’étant pas prononcé sur l'application de la procédure de licenciement pour faute, il appartiendra au juge judiciaire, à l’occasion de futurs contentieux prud’homaux, de se positionner sur la question.

Ce qu'il faut retenir

Les employeurs devront donc être prudents dans l’application du nouveau dispositif de présomption de démission en cas d’abandon de poste d’un salarié et devront veiller à respecter à la lettre les prescriptions du décret telles qu’elles figurent à l’article R.1237-13 du Code du travail.