La CJUE a rendu une décision clé le 13 mars 2025 (disponible ici : Décision de la CJUE du 13 mars 2025) qui va impacter la classification de dispositifs médicaux (cette notion recouvrant, pour mémoire, de très nombreux produits : pansements, lunettes correctrices, thermomètres, pacemaker, scanner médical).
1. Contexte :
Une société allemande commercialise en tant que dispositif médical deux produits pour le traitement et la prévention d’infections des voies urinaires.
Une association professionnelle allemande dont l’objet statutaire est la défense des intérêts commerciaux de ses membres (parmi lesquels un grand nombre commercialisent des médicaments et des dispositifs médicaux) veut faire interdire la commercialisation de ces produits en tant que dispositifs médicaux : elle considère qu’ils devraient être considérés comme des médicaments (qui ne disposent pas d’autorisation de mise sur le marché).
Deux premières décisions sont rendues par les juridictions allemandes :
- Par un jugement du 15 janvier 2020, le Landgericht Köln (tribunal régional de Cologne) fait droit au recours de l’association.
- Par dans un arrêt du 23 décembre 2020, l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne) rejette l’appel interjeté contre ce jugement : le tribunal considère que les produits en cause sont des médicaments par fonction, au sens de l’article 1er, point 2, sous b), de la directive 2001/83 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain (la Directive Médicaments), dont l’action pharmacologique est exercée par une substance dénommée D-mannose.
Le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) est saisi d’un recours contre l’arrêt du 23 décembre 2020. La société allemande qui commercialise les produits considère en effet que l’action pharmacologique de la substance n’est pas établie (notamment parce que l’interaction est réversible et n’est pas significative).
La Cour fédérale de justice décide de surseoir à statuer et de poser à la CJUE la question préjudicielle suivante : « Le fait que la substance concernée […], par une liaison réversible à des bactéries produite au moyen de ponts d’hydrogène, empêche celles-ci de se fixer à des cellules humaines […] constitue-t-il une action pharmacologique, au sens de l’article 1er, point 2, sous b), premier cas de figure, de la [Directive Médicaments] ? »
2. Analyse de la CJUE :
2.1 Sur les définitions de médicament par fonction et de dispositif médical :
La CJUE reprend les définitions de médicament par fonction et de dispositif médical :
- Est considérée comme « médicament par fonction » « toute substance ou composition pouvant être utilisée chez l’homme ou pouvant lui être administrée en vue soit de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique, soit d’établir un diagnostic médical » (article 1er, point 2, sous b), de la Directive Médicaments.
- Est qualifiée de « dispositif médical » une substance destinée à être utilisée chez l’homme à des fins, notamment, de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie, pour autant que l’action principale de cette substance voulue dans ou sur le corps humain ne soit pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme (article 1er, paragraphe 2, sous a), de la directive 93/42).
La CJUE en déduit qu’une substance ne saurait être qualifiée de « dispositif médical », au sens de cette disposition, si l’action principale voulue dans ou sur le corps humain est obtenue par des moyens pharmacologiques.
2.2 Sur les définitions d’« action pharmacologique » ou de « moyen pharmacologique »
La CJUE constate que le terme « action pharmacologique », au sens de la Directive Médicaments et le terme de « moyen pharmacologique », au sens de la directive 93/42 ne sont pas définis par ces directives, mais se réfèrent « à un même type d’action, à savoir l’action pharmacologique, et doivent dès lors être interprétées de manière uniforme ».
La CJUE rappelle ensuite qu’« il est de jurisprudence constante que, aux fins de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, conformément à leur sens habituel dans le langage courant, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ».
2.2.1 Revue des définitions au regard du sens habituel et des documents d’orientation
La CJUE énumère trois définitions de la notion d’action pharmacologique.
- Au sens habituel, la notion d’« action pharmacologique » désigne les effets d’une substance sur un organisme vivant, notamment à des fins thérapeutiques ou préventives.
- Au sens du document d’orientation MEDDEV 2.1/3 rev. 3 point A.2.1.1 (non contraignant) mis en ligne par la Commission européenne (disponible ici : Document d’orientation MEDDEV 2.1/3 rev. 3), la notion de « moyens pharmacologiques », doit être comprise comme une interaction entre les molécules de la substance concernée et une composante cellulaire, généralement qualifiée de récepteur, qui provoque une réaction directe oui qui bloque la réaction à un autre agent.
- Au sens du document d’orientation sur les cas limites entre les dispositifs médicaux et les médicaments au sens du règlement (UE) 2017/745 (le Document d’orientation GCDM) (disponible ici : Document d’orientation GCDM) (également non contraignant), cette notion est définie, pour préciser la définition du document d’orientation MEDDEV 2.1/3 rev. 3 susvisé, comme une interaction, généralement au niveau moléculaire, entre une substance ou ses métabolites et une composante du corps humain, qui entraîne le déclenchement, le renforcement, la réduction ou le blocage de fonctions physiologiques ou de processus pathologiques.
La CJUE en conclut que ces documents d’orientation définissent de manière large le type d’interaction exigé :
- La substance peut interagir :
- Avec des composantes cellulaires humaines, ou encore
- Avec d’autres composantes cellulaires présentes dans l’organisme de l’utilisateur (e.g. bactéries, virus ou parasites).
- Il n’est pas nécessaire que l’interaction modifie la structure moléculaire de la composante cellulaire concernée.
- Il n’est pas non plus nécessaire que l’interaction entre la substance et la structure moléculaire de la composante cellulaire concernée soit durable.
La CJUE étaye sa conclusion en rappelant qu’elle considère que les définitions de médicament par fonction et par présentation sont d’interprétation large (faisant référence à son arrêt du 20 septembre 2007 – disponible ici : Décision de la CJUE du 20 septembre 2007).
2.2.2 Revue du contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie
La CJUE relève ensuite que la Directive Médicaments prévoit qu’en cas de doute sur la classification d’un produit (médicament vs. autre produit), la priorité doit être accordée à l’application de la qualification de médicament. Elle rappelle ainsi que la Directive Médicaments vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine.
3. Décision de la CJUE
Sur cette base, la CJUE considère qu’une interprétation restrictive de la notion d’« action pharmacologique », au sens de l’article 1er, point 2, sous b), de la Directive Médicaments, qui exclurait les interactions consistant, comme en l’occurrence, en une liaison réversible entre une substance et des bactéries au moyen d’un pont d’hydrogène :
4. Prochaines étapes
Suite à la décision de la CJUE, la Cour fédérale de justice allemande devrait statuer dans le sens de l’interdiction de commercialisation des produits susvisés en tant que dispositifs médicaux. Plus généralement, la poursuite de leur commercialisation risque d’être impactée.
5. Mise en parallèle avec la décision de la CJUE du 19 janvier 2023
(disponible ici : Décision de la CJUE du 19 janvier 2023)
5.1 Contexte :
Deux sociétés allemandes commercialisaient en tant que dispositif médical des gouttes ou sprays nasals.
5.2 Décision de la CJUE
En synthèse, la question posée à la CJUE était ici de déterminer si un produit peut être considéré comme un dispositif médical dans le cas où son mode d’action n’est pas connu avec certitude en l’état des connaissances scientifiques.
En synthèse, la CJUE a considéré que :
- Il appartient au fabricant d’un dispositif médical de démontrer le mode d’action de son produit, i.e. que ce mode d’action n’est ni pharmacologique, ni immunologique, ni métabolique pour que le produit remplisse les conditions requises pour la qualification de dispositif médical.
- En l’absence de connaissances scientifiques démontrant un mode d’action non pharmacologique, immunologique, ou métabolique, il appartient aux juridictions nationales d’apprécier au cas par cas si les conditions relatives au médicament par présentation sont remplies :
- Pour mémoire, est considéré comme « médicament par présentation » « toute substance ou composition présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines » (article 1er, point 2, sous a), de la Directive Médicaments).
- Les juridictions nationales peuvent considérer que la présentation du produit concerné (par exemple sur l’étiquette, la notice ou dans une présentation orale) comme possédant des propriétés curatives ou de nature à atténuer une maladie, les références aux interactions médicamenteuses et aux effets indésirables, ainsi qu’une distribution exclusive en pharmacie, sont des éléments qui, pris dans leur ensemble, sont susceptibles de faire apparaître les produits concernés, aux yeux d’un consommateur moyennement avisé, comme ayant les propriétés d’un médicament (donc comme des « médicaments par présentation ».
6. Proposition de plan d’actions
Les décisions de la CJUE du 13 mars 2025 et du 19 janvier 2023 viennent préciser la ligne de démarcation entre médicaments et dispositifs médicaux.
Ce faisant, des dispositifs médicaux risquent d’être requalifiés en médicaments dans deux grands cas de figure :