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Conseil d’Etat : annulation des restrictions sur les dénominations des alternatives végétales

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Les steaks de soja, saucisse végétale et autres jambons vegans au cœur d'un débat juridique opposant la réglementation française aux règles européennes.


En résumé :

  • Le Conseil d’État a annulé les interdictions françaises sur les termes carnés pour les alternatives végétales, alignant la France avec le droit européen.
  • La CJUE avait en effet jugé que ces restrictions pourraient mettre en danger l’uniformité du droit de l’Union.
  • L’avenir pourrait voir une redéfinition des appellations légales pour protéger certaines terminologies.

Steak de soja, saucisse végétale : quand les mots font débat.

Décryptage des enjeux juridiques autour de l’usage des termes carnés pour les alternatives végétales.

L’industrie agroalimentaire, confrontée à des défis majeurs en matière de durabilité notamment, voit émerger des substituts à la viande, ce qui amène les autorités nationales et européennes à encadrer l'utilisation de certaines appellations afin d'éviter toute confusion pour le consommateur.

En 2020, le Parlement a interdit l’utilisation des termes utilisés pour désigner des aliments d’origine animale pour commercialiser des produits contenant des protéines végétales1 (« steaks de soja », « saucisses végétales », …).

Par deux décrets successifs du 29 juin 2022, et du 26 février 20242 la France a tenté de restreindre l’usage de termes traditionnellement associés aux produits carnés, en interdisant leur emploi pour désigner des denrées végétales.

Cependant, cette initiative s’est heurtée au cadre juridique de l’Union européenne, en particulier au règlement (UE) n° 1169/2011 sur l’information des consommateurs (le « Règlement INCO »).

Sur renvoi préjudiciel du Conseil d’Etat, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré, le 4 octobre 2024, que ces interdictions nationales étaient susceptibles de mettre en danger l’uniformité du droit de l’Union3.

Conformément à cet arrêt de la CJUE, le Conseil d’État a, par décisions du 28 janvier 2025, jugé illégaux, comme contraires à la réglementation européenne les décrets de 2022 et 20244.

Ce débat met en lumière les tensions entre les États membres souhaitant préserver certaines dénominations et la réglementation européenne visant à garantir une information claire et uniforme à l’échelle du marché unique.

1. Une réglementation française en conflit avec le droit européen

1.1 Une loi pour protéger les appellations carnées, des décrets controversés

La loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires a introduit l’article L. 412-10 du code de la consommation, qui prohibe l’usage de dénominations d’aliments d’origine animale pour désigner, commercialiser ou promouvoir des produits contenant des protéines végétales.

Le décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 en précisait les modalités d’application, fixant un seuil au-delà duquel ces appellations étaient interdites. Il prohibait ainsi l’usage de termes comme "steak", "saucisse" ou "bacon" pour des alternatives végétales. Cependant, les produits fabriqués hors de France n’étaient pas concernés, afin d’éviter des obstacles à la libre circulation des marchandises.

Saisi par plusieurs associations et entreprises du secteur végétal, notamment Protéines France, l’Union végétarienne européenne et Beyond Meat, le Conseil d’État a, par une décision du 12 juillet 20235, interrogé la Cour de justice de l’Union européenne sur la conformité de ce décret au droit européen. Avant même la réponse de la Cour, le décret n°2024-144 du 26 février 2024 a abrogé le précédent tout en réintroduisant des restrictions similaires. Ce dernier a également été contesté et suspendu par le juge des référés le 10 avril 20246.

1.2 Une réglementation européenne qui prime sur le droit national

Le règlement INCO de 2011 établit un cadre strict pour l’information des consommateurs. Il interdit toute information trompeuse, selon son article 7, et impose des mentions obligatoires, notamment la dénomination du produit, comme précisé dans son article 9. L’article 17 prévoit que la dénomination d’un produit doit être soit sa dénomination légale si elle existe, soit son nom usuel reconnu par les consommateurs, soit un nom descriptif permettant d’identifier ses caractéristiques essentielles.

(i) La dénomination légale est celle définie par la réglementation européenne ou nationale. La viande, par exemple, est définie par le règlement (CE) n° 853/2004 comme les parties comestibles des animaux de boucherie, de volaille et de gibier. Le lait est encadré par le règlement (UE) n° 1308/2013, qui réserve cette appellation aux produits issus de la sécrétion mammaire, sauf exceptions traditionnelles comme le lait de coco ou le lait d’amande.

(ii) Le nom usuel correspond à une appellation reconnue par les consommateurs sans qu’une explication supplémentaire ne soit nécessaire. C’est le cas du beurre de cacahuète qui ne contient pas de beurre ou du pain d’épices qui est distinct d’un pain traditionnel.

(iii) Le nom descriptif, quant à lui, est utilisé lorsqu’il n’existe ni dénomination légale ni nom usuel et permet une description claire du produit. Ainsi, une boisson végétale à base de soja ne peut être appelée lait de soja.

L’article 38 du règlement interdit aux États membres d’adopter ou de conserver des mesures nationales sur des questions déjà harmonisées, sauf si le droit de l'Union l'autorise.

Les requérantes ont fait valoir que l’interdiction française des dénominations carnées pour les alternatives végétales contrevenait à cette harmonisation, les articles 7 et 17 du règlement régissant déjà cette question.

2. L’arbitrage de la CJUE et la décision du Conseil d’Etat : un coup d’arrêt aux restrictions françaises

Le Conseil d’État a saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour clarifier si les restrictions françaises étaient compatibles avec le droit de l’Union européenne.

La Cour a confirmé que le règlement INCO harmonise la protection des consommateurs contre les dénominations trompeuses, limitant ainsi la possibilité pour les Etats membres d'imposer des restrictions supplémentaires sur les dénominations déjà harmonisées. Toutefois, en l'absence de dénomination légale définie au niveau de l'Union, un Etat membre peut établir des règles nationales.

Se posait donc la question de savoir si la réglementation française constituait une dénomination légale permettant de telles restrictions.

Dans ses conclusions, l’avocate générale Ćapeta proposait de répondre par l’affirmative.

La Cour n’a toutefois pas suivi cette approche. Elle a retenu une conception plus stricte de la notion de dénomination légale, en considérant que l’adoption d’une telle dénomination « consiste à associer une expression spécifique à une denrée alimentaire déterminée ».

Elle en conclut que le décret de 2022 ne contient pas de « dénomination légale » au sens du règlement INCO, mais concerne le point de savoir quels sont les « noms usuels » ou les « noms descriptifs » qui ne peuvent pas être utilisés pour désigner les denrées alimentaires à base de protéines végétales Or, à la différence des dénominations légales, les noms usuels et les noms descriptifs ne peuvent pas être réglementés par les Etats membres.

Or, les consommateurs sont en mesure de comprendre des termes comme steak végétal, dès lors qu’un étiquetage clair est présent.

En conséquence, elle a jugé que l’interdiction française était susceptible de mettre en danger l’uniformité du droit de l’Union7.

Conformément à cet arrêt de la CJUE, le Conseil d’État a, par décisions du 28 janvier 2025, jugé illégaux, comme contraires à la réglementation européenne les décrets de 2022 et 20248

3. Les répercussions pour l'industrie agroalimentaire et les perspectives futures

L’annulation des décrets français par le Conseil d’État marque une étape clé dans la protection du marché unique européen et la reconnaissance des alternatives végétales. Cette décision clarifie le cadre réglementaire et sécurise les producteurs d’alternatives végétales.

Une question essentielle se pose toutefois : la France pourrait-elle contourner cette interdiction en définissant des dénominations légales strictes pour des termes comme steak, saucisse ou bacon ? Juridiquement, cela serait envisageable, à condition d’établir une définition précise et objective de ces appellations. Cependant, une telle mesure pourrait être contestée au regard du principe de proportionnalité, qui impose que toute restriction soit justifiée par un objectif légitime, tel que la protection du consommateur, et qu’elle soit proportionnée à cet objectif.

Cette décision pourrait ainsi influencer d’autres réglementations alimentaires à l’avenir, en incitant à une refonte plus large des règles encadrant l’étiquetage et la dénomination des produits alimentaires au sein de l’Union européenne.

Ce qu'il faut retenir

L’annulation des restrictions françaises sur les termes carnés pour les alternatives végétales, suivant une décision de la CJUE, aligne la réglementation française sur le droit européen. Ce revers juridique pose la question de l’encadrement futur des appellations alimentaires. Alors que les alternatives végétales progressent, l’industrie et les législateurs doivent concilier information des consommateurs, conformité réglementaire et adaptation aux évolutions du marché, dans un contexte où les objectifs de durabilité influencent les choix alimentaires et les stratégies industrielles.