Réunion d'affaires avec documents et ordinateur.

TAE et contribution pour la justice économique : quelles implications pour les entreprises ?

Thèmes associés

Depuis le 1er janvier 2025, l’instauration des TAE et d’une contribution pour la justice économique impliquent une nouvelle donne procédurale.


En résumé :

  • A titre expérimental, ont été créés douze Tribunaux des Activités Economiques en remplacement de Tribunaux de Commerce
  • Cette création s’accompagne de la mise en place d’une contribution pour la justice économique, due par les demandeurs lors de l’introduction de l’instance.
  • Toute entreprise concernée doit prendre en compte cette réforme qu’il s’agisse de stratégie contentieuse ou de pratiques contractuelles.

Cet article a été co-rédigé avec Léa Missakian, manager au sein d’EY Société d’Avocats.

Depuis le 1er janvier 2025, les Tribunaux des Activités Economiques sont venus remplacer les Tribunaux de Commerce de Paris, Marseille, Lyon, Nanterre, Versailles, Limoges, Avignon, Auxerre, Saint-Brieuc, Le Havre, Nancy et Le Mans.

Cette expérimentation d’une durée de 4 ans (jusqu’au 31 décembre 2028) a pour objectif de centraliser le traitement des difficultés des entreprises devant un seul Tribunal, le Tribunal des Activités Economiques, et de mettre fin à la répartition des compétences en la matière entre le Tribunal de Commerce et le Tribunal Judiciaire. Seule exception à cette centralisation : les professions règlementées du droit.

Les Tribunaux des Activités Economiques auront compétence pour gérer les procédures collectives des sociétés civiles comme commerciales, des artisans, des commerçants mais également des professions libérales, des agriculteurs et des associations. Cela concerne tant les procédures de sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire que les procédures amiables (comme les procédures de conciliation et les mandats ad hoc), les procédures d’alerte et les actions relatives aux baux commerciaux en lien avec les procédures collectives.

Pour le reste, les Tribunaux des Activités Economiques se voient transférer l’ensemble des compétences des Tribunaux de Commerce.

Leur création n’a toutefois pas qu’un impact procédural pour les professionnels du droit puisqu’elle s’accompagne de la mise en place d’une contribution pour la justice économique due à l’occasion de l’introduction des instances.

INSTAURATION D’UNE CONTRIBUTION POUR LA JUSTICE ECONOMIQUE

Une contribution, dont les modalités sont fixées par le Décret n° 2024-1225 du 30 décembre 2024 relatif à l'expérimentation de la contribution pour la justice économique, est désormais due pour les procédures introduites devant les Tribunaux des Activités Economiques à compter du 1er janvier 2025.

Les objectifs affichés de la réforme sont, au-delà de participer au financement du service public de la justice, de lutter contre les recours abusifs et dilatoires et de responsabiliser les parties1 ainsi que de favoriser les règlements amiables des différends.

Sur ce point, le paiement de la contribution devrait avoir un effet dissuasif sur la saisine des Tribunaux des Activités Economiques. De plus, la contribution est remboursée en cas d’accord amiable mettant fin au litige (désistement ou transaction). L’effet escompté sur l’évolution des activités contentieuses sera à évaluer.

Sont concernées par le paiement de cette contribution les personnes physiques ou morales de droit privé employant au moins 250 salariés saisissant le tribunal d’une demande initiale dont la valeur est supérieure à 50.000 € (exclusion faite des demandes faites au titre des frais de procédure). Les actions du ministère public, de l’Etat, des collectivités territoriales et des organismes publics de coopération intercommunales sont ainsi exclues ainsi que celles des personnes de droit privé employant moins de 250 salariés.

Le montant de cette contribution correspond à un pourcentage de la valeur des prétentions initiales figurant dans l’assignation, de 1 à 5% selon la qualité du demandeur (personne morale ou personne physique) et prend en compte ses capacités financières avec un plafond de 100.000 €.

Personne morale

CA et résultats moyens sur les 3 dernières années

Montant de la contribution

CA entre 50 et 1.500 M€ et bénéfice > à 3 M€

3% des prétentions (max 50.000 €)

CA > à 1.500 M€ et résultat > 0

5% des prétentions (max 100.000 €)

Personne physique

Revenu fiscal de référence

Montant de la contribution

Entre 250.000 € et 500.000 €

1% des prétentions (max 17.000 )

Entre 500.000 € et 1M €

2% des prétentions (max 33.000 €)

Supérieur à 1M €

3% des prétentions (max 50.000 €)

Si les seuils minimums prévus ne sont pas atteints, aucune contribution n’est due.

Par ailleurs, ne sont pas concernées par la contribution les demandes formées en cours d’instance, ainsi que les prétentions formulées dans le cadre des procédures de règlement des difficultés et dans le cadre des demandes d’homologation d’accords issus d’un mode alternatif de résolution des différends ou d’une transaction.

La sanction du non-paiement de cette contribution par le demandeur est celle de l’irrecevabilité de ses demandes qui pourra être soulevée d’office par le Juge (une rétractation de sa décision pouvant néanmoins être demandée dans un délai de 15 jours suivant la notification de l’irrecevabilité sous réserve du paiement de la contribution).

LES CONSEQUENCES PRATIQUES ET STRATEGIQUES DE CETTE NOUVELLE CONTRIBUTION FINANCIERE

- En demande

En premier lieu, la question se pose pour le demandeur du choix de la juridiction.

Ainsi, dans l’hypothèse où plusieurs juridictions seraient territorialement compétentes pour un litige donné (ce qui peut notamment être le cas en cas de pluralité de défendeurs ou, en matière contractuelle, lorsque le lieu du domicile du défendeur est différent de celui de livraison effective de la chose ou du lieu d’exécution de la prestation), il pourra être envisagé de saisir intentionnellement un Tribunal non concerné par l’expérimentation des Tribunaux des Activités Economiques. En effet, la contribution pour la justice économique n’est due que devant ces 12 Tribunaux.

Cette différence entre les Tribunaux entraîne ainsi un risque de forum shopping, si les demandeurs tendent à massivement saisir les Tribunaux de Commerce au détriment des Tribunaux des Activités Economiques. Un déséquilibre dans la répartition des litiges entre les différents tribunaux pourra être craint et une aggravation de l’engorgement de certains tribunaux.  C’est notamment face à ce risque, et aussi compte tenu du coût jugé excessif de la contribution, que le Barreau de Paris a formé un recours contre le décret relatif à l’expérimentation de la contribution pour la justice économique (qui sera vraisemblablement suivi d’un recours de la Conférence des Bâtonniers).

- En défense

En second lieu, les parties en défense devront également intégrer à leur stratégie l’existence, ou non, de la contribution pour la justice économique puisqu’ils courent le risque de devoir supporter la charge finale de cette contribution.

En effet, la contribution pour la justice économique reçoit le même traitement que les dépens (lesquels s’entendent de l’ensemble des frais directement liés à la procédure judiciaire et comprennent notamment frais d’huissier, émoluments, frais d’expertise etc.). Ainsi, c’est en principe la partie perdante qui devra supporter la charge finale de la contribution pour la justice économique (sauf décision contraire motivée du tribunal) en application de l’article 696 du Code de procédure civile.

Face à ce risque, et en fonction de la solidité de son dossier, la partie en défense sera plus à même d’envisager un mode alternatif de règlement du différend.

Ainsi, toutes les parties à un litige devront adapter l’approche stratégique de leur contentieux.

- Dans les contrats

En dernier lieu, au-delà des litiges existants, il appartient aux entreprises d’anticiper les contraintes posées par cette nouvelle contribution financière en particulier dans le cadre de leur pratique contractuelle.

Notamment, les entreprises devront porter une attention particulière à la rédaction des clauses attributives de juridiction contenues dans leurs modèles de contrat et leurs conditions générales. Il leur reviendra d’apprécier l’intérêt de désigner un tribunal compétent autre qu’un Tribunal des Activités Economiques pour que soit évité le paiement de la contribution pour la justice économique en cas de litige.

Son montant potentiel peut en effet avoir un impact financier non négligeable pour le demandeur à une instance (qui doit - à tout le moins dans un premier temps - en supporter la charge) et pourrait ainsi dissuader les parties de saisir la juridiction en cas de différend.

Il convient ainsi d’analyser au cas par cas, l’intérêt qu’il peut y avoir à désigner ou non un Tribunal des Activités Economiques comme juridiction compétente en prenant en compte les différentes contraintes.

Ainsi, le choix offert en matière de pratiques restrictives de concurrence apparait d’autant plus limité puisque seules les juridictions commerciales spécialisées suivantes sont compétentes pour ces litiges : Paris, Marseille, Lyon, Nancy, Bordeaux, Tourcoing, Fort-de-France et Rennes et que les quatre premières sont concernées par la réforme. Dans ce contexte, les entreprises pourront également être tentées de donner compétence au Tribunal Judiciaire pour le règlement de leurs différents (ce qui est déjà une pratique courante en matière de distribution et est généralement considéré comme une clause valable par les juridictions – sous réserve d’une évolution de leur position …).

Outre la rédaction des futurs contrats et conditions générales, la question du sort des clauses attributives de juridiction existantes et déjà intégrées au socle contractuel applicable se pose également. En particulier, la renégociation de ces clauses est un enjeu pour les entreprises qui pourraient être concernées par le paiement de la contribution pour la justice économique. Quant à l’applicabilité des clauses attributives de juridiction désignant des Tribunaux de Commerce remplacés depuis le 1er janvier 2025 par des Tribunaux des Activités Economiques, la jurisprudence considère que la clause attributive de juridiction ne devient pas caduque du fait que la juridiction désignée n’existe plus et qu’il convient de rechercher la volonté des parties afin de déterminer la juridiction compétente2.  Il n’est toutefois pas à douter que des débats sur le sujet auront inévitablement lieu devant les juridictions afin d’échapper au paiement de la contribution pour la justice économique. 

Au-delà des seules clauses attributives de juridiction, la mise en place de cette contribution invite à réfléchir à son approche générale des litiges et à être dans une logique de règlement amiable des différends en prévoyant notamment des clauses de médiation ou de conciliation préalable à la saisine des juridictions dans ses contrats et conditions générales. Les clauses d’arbitrage apparaissent pour leur part répondre à d’autres besoins notamment au regard des coûts d’une telle procédure.

Enfin, les parties devront également avoir à l’esprit, lorsqu’elles octroient une clause de garantie et qu’elles s’engagent ainsi à supporter les conséquences financières liées à la réalisation du risque associé à la garantie, qu’elles pourront avoir à supporter le coût de la contribution pour la justice économique qui serait due par leur co-contractant. La rédaction de ces clauses doit également faire l’objet d’une vigilance.

Ce qu'il faut retenir

Ainsi, cette nouvelle contribution invite les entreprises à réévaluer leur stratégie judiciaire et adapter leurs contrats en conséquence notamment afin de se prémunir contre la charge financière non négligeable que peut constituer cette contribution.

Au-delà du seul choix de la juridiction, c’est l’approche stratégique contentieuse qui doit être réévaluée. D’autant que la question de la généralisation des Tribunaux des Activités Economiques et donc de la contribution pour la justice économique se posera inévitablement.