Selon la Cour de justice de l’Union européenne, la Commission ne peut pas évaluer l’existence d’un avantage sélectif à l’aune d’un principe de pleine concurrence inspiré de celui de l’OCDE lorsqu’une telle norme n’est pas incorporée en tant que telle dans le droit interne². Le cadre de référence est constitué du seul droit national.
Dans le cadre de ses enquêtes ciblant des rulings fiscaux accordés par certains Etats membres à des multinationales, la Commission européenne avait notamment considéré que le Luxembourg avait accordé, à travers un ruling, une aide d’Etat à une entreprise du groupe Fiat qui fournissait des services de trésorerie et de financement aux autres sociétés du groupe en validant la méthode de détermination de la rémunération de ces services sur la base de la méthode transactionnelle de la marge nette³.
Une des questions posées dans le contentieux qui s’en est suivi – et qui se retrouve dans d’autres affaires⁴ – portait sur la possibilité ou non pour la Commission de caractériser l’existence d’un avantage fiscal en comparant le régime accordé par voie de ruling à un régime « normal » reposant sur le principe de pleine concurrence découlant des lignes directrices de l’OCDE, alors même que celui-ci ne serait pas repris tel quel par le droit national.
En effet, conformément à une jurisprudence récente très explicite⁵, la détermination du cadre de référence doit être opérée sur la base du seul droit national existant (incluant, le cas échéant, le droit de l’Union européenne et international transposé dans l’ordre interne), à l’exclusion de toute règle générale « idéale » ou « hypothétique » qui aurait les faveurs de la Commission.
Toutefois, dans une Communication de 2016, qui rassemble des solutions jurisprudentielles établies mais aussi des positions non encore avalisées par les juges européens, la Commission avait affirmé que le principe de pleine concurrence devait « obligatoirement être respecté par les Etats membres » et qu’il faisait « nécessairement partie intégrante de l'appréciation faite par la Commission, au regard de l'article 107 § 1 TFUE […] indépendamment de la question de savoir si un Etat membre a incorporé ce principe dans son système juridique national »⁶.
C’est le positionnement qu’elle avait mis en œuvre dans l’affaire Fiat et que le Tribunal de l’Union européenne avait validé en 2019. Il avait admis que la Commission recoure au « principe de pleine concurrence » comme un « outil » permettant une « approximation fiable » du bénéfice imposable qui aurait été dégagé par des entreprises autonomes dès lors que le droit luxembourgeois ne distinguait pas entre celles-ci et les entreprises membres d’un groupe aux fins de leur assujettissement à l’impôt, toutes étant soumises au principe du prix du marché⁷.
Dans sa décision 8 novembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne retient à l’inverse que le Commission ne pouvait pas faire application d’un principe de pleine concurrence distinct de celui défini par le droit luxembourgeois en se contentant d’identifier l’expression abstraite de ce principe dans l’objectif poursuivi par le système général de l’impôt sur les sociétés au Luxembourg sans prendre en compte la façon dont ce principe est concrètement incorporé dans ce droit. Pour déterminer si le ruling en cause conférait un avantage sélectif à son bénéficiaire, la Commission aurait dû tenir compte, lors de la définition du système de référence, du principe de pleine concurrence tel que prévu à l’article 164, paragraphe 3, du code des impôts luxembourgeois et précisé dans la circulaire n° 164/2 qui prévoyait des règles spécifiques pour déterminer une rémunération de pleine concurrence.
La position retenue, qui illustre une nouvelle fois la difficulté à déterminer l’imposition « normale » de référence, indispensable à la caractérisation d’une aide d’Etat, devrait désormais encadrer l’examen par les services de la Commission des affaires portant sur les prix de transfert, même si certaines interrogations demeurent sur la portée pratique de cette solution.
Un réconfort pour la Commission tout de même : la décision affaiblit les critiques évoquant l’incompatibilité au regard du droit des aides d’Etat des projets comme l’ancien ACCIS ou l’annoncé BEFIT qui s’écartent des règles de pleine concurrence pour déterminer l’assiette d’imposition des sociétés.