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Quel prélèvement sur les cessions de participations substantielles par des sociétés de pays tiers ?

Si le prélèvement sur les cessions réalisées par des sociétés établies hors de l’Union européenne est contraire à la libre circulation des capitaux, seule une fraction peut être restituée.¹

Dans une décision récente², le Conseil d’Etat retient que, si les modalités d’imposition des cessions de participations substantielles réalisées par des sociétés établies dans un Etat tiers sont contraires à la libre circulation des capitaux, cette contrariété permet seulement d’obtenir la restitution de la fraction excédant l’impôt qui aurait été dû si elles avaient été résidentes en France.

Dans cette affaire, un limited partnership établi aux îles Caïman avait cédé des titres d’une société française ; la plus-value avait été soumise au prélèvement de l’article 244 bis B du code général des impôts, au taux de 45 % alors en vigueur. La société avait alors demandé la restitution des sommes versées au motif que ce prélèvement était contraire à la libre circulation des capitaux. L’argumentation a convaincu les juges du fond qui ont prononcé la décharge de l’intégralité du prélèvement³. D’apparence assez simple, l’affaire soulevait plusieurs questions.

Tout d’abord, la société pouvait-elle se prévaloir de la libre circulation des capitaux alors que les îles Caïman bénéficiaient, à l’époque, du statut particulier de pays et territoires d’outre-mer (PTOM), ou la situation relevait-elle du régime d’association applicable aux PTOM ? Composant avec des solutions jurisprudentielles variables⁴, le Conseil d’Etat reconnait qu’à défaut de disposition expresse permettant de leur appliquer les règles des traités prévues pour les relations entre Etats membres, les PTOM bénéficient de la libre circulation des capitaux comme un Etat tiers.

Par ailleurs, la libre circulation des capitaux pouvait-elle être invoquée contre le prélèvement de l’article 244 bis B ? Selon la jurisprudence, ressortent de la libre circulation des capitaux les législations qui ne s’appliquent pas exclusivement aux situations dans lesquelles l’investisseur exerce une influence décisive sur la société établie dans un Etat membre. Pour le Conseil d’Etat, tel est bien le cas du prélèvement de l’article 244 bis B qui s’applique en cas de détention de 25 % des droits aux bénéfices de la société cédée – appréciée à un moment quelconque au cours des cinq années précédant la cession et non à la date de celle-ci – sans considération des droits de vote détenus par l’entité cédante.

Ensuite, la restriction à la libre circulation des capitaux découlant du traitement défavorable du cédant non-résident, soumis au prélèvement litigieux, était-elle couverte par la clause de gel de l’article 64 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui permet de maintenir les restrictions aux investissements directs en provenance ou vers les pays tiers lorsqu’elles existaient déjà au 31 décembre 1993 ? Le Conseil d’Etat retient que la restriction litigieuse n’existait pas en l’état à cette date :

  • pour les sociétés étrangères assimilables à des sociétés de capitaux, le prélèvement ne leur a été applicable qu’à compter du 2 janvier 1994 - même si la loi de finances rectificative pour 1993 modificatrice a été adoptée le 31 décembre 1993 -, et elles bénéficiaient ainsi jusqu’à cette date d’un traitement plus favorable ;
  • pour celles assimilables à des sociétés de personnes, il n’existait pas de différence de traitement au 31 décembre 1993, le taux du prélèvement étant alors identique à celui applicable aux plus-values de cession de titres réalisées par des sociétés de personnes établies en France.

A cet égard, la décision met en lumière le fait que les dispositions de l’article 244 bis B ne sont toujours pas conformes au droit de l’Union européenne, malgré les modifications apportées par la loi de finances rectificative pour 2022. En effet, la condition selon laquelle l’entité cédante établie dans un Etat tiers ne doit pas exercer d’influence sur la société cédée pour bénéficier de l’équivalence de traitement, qui visait à exclure les investissements directs et s’aligner sur le champ d’application matériel de la clause de gel, s’avère injustifiée puisque la condition temporelle de la clause de gel n’est, de toutes façons, pas satisfaite.

Un autre éclairage intéressant porte sur les conséquences concrètes d’une incompatibilité avec le droit de l’Union européenne. Prenant le contrepied d’une précédente décision AVM dans laquelle il avait prononcé la décharge de l’intégralité du prélèvement après avoir constaté son incompatibilité à la liberté d’établissement, le Conseil d’Etat confirme sa position consacrée depuis lors selon laquelle l’administration ou le juge de l'impôt qui constate la contrariété d’une imposition au droit de l’Union européenne ne doit dégrever que dans la mesure nécessaire au rétablissement de l’équivalence de traitement⁶

Reste à la cour de renvoi à déterminer l’impôt qui aurait été dû par la cédante si elle avait été établie en France. Affaire à suivre…


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