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Inventorier les contributions financières étrangères
Les entreprises internationales doivent en premier lieu pouvoir inventorier l’ensemble des contributions financières dont elles bénéficient en dehors de l’Union européenne.
Une contribution financière n’est pas seulement une « subvention » au sens habituel du terme. Elle peut aussi être constituée par un transfert de fonds ou de passifs tel qu’un apport en capital, un prêt, une garantie de prêt, mais également par des incitations fiscales ou exonérations fiscales, par exemple par des régimes fiscaux avantageux dont peut bénéficier le groupe dans tel ou tel pays.
Attention, la fourniture ou l’achat de biens ou de services sont aussi concernés, ce qui implique notamment que le prix versé à l’entreprise par une entité publique ou privée dans le cadre d’un marché public constitue une contribution financière à intégrer dans les remontées d’informations et le processus de qualification permettant d’appliquer le FSR.
La contribution financière soumise à ce régime n’est pas nécessairement accordée directement par le gouvernement central du pays tiers : non seulement tous les échelons des pouvoirs publics sont pris en compte, mais également toutes les entités, publiques ou privées, dont les actes peuvent être attribués au pays tiers, compte tenu du rôle joué par le gouvernement dans l’économie du pays ou de toute autre circonstance pertinente.
Qualifier les subventions étrangères
L’entreprise doit ensuite être en mesure de qualifier les contributions financières reçues afin de déterminer si elles constituent des subventions étrangères et si celles-ci sont à risque.
Une contribution financière étrangère est une subvention étrangère si elle confère un avantage à l’entreprise et si elle est limitée, en droit ou en fait, à une ou certaines entreprises ou à un ou des secteurs particuliers.
Une telle subvention est à risque si elle est susceptible de fausser le marché intérieur, c’est-à-dire si elle est de nature à y renforcer la position concurrentielle de l’entreprise en affectant réellement ou même potentiellement la concurrence, notamment au regard du montant de la subvention, de sa nature, de la taille de l’entreprise bénéficiaire, de son activité économique et des marchés sur lesquels elle intervient.
Les entreprises concernées
Toute entreprise ou groupe d’entreprises qui a une activité économique dans l’Union européenne, notamment par la réalisation de ventes ou d’achats, qui y réalise une opération de concentration ou qui y candidate à un marché public est soumise au FSR. Tous les secteurs de l’économie sont concernés.
La Commission a pris une première décision d’application du FSR, le 24 septembre 2024, dans le cadre de l’acquisition par un fonds émirati d’une entreprise de télécommunications présente en République tchèque, en Bulgarie, en Hongrie, en Serbie et en Slovaquie. La Commission a considéré qu’à défaut d’engagements contraignants, les mécanismes de garantie illimitée, les subventions, les prêts et autres instruments de dette que les Emirats Arabes Unis ont accordé au fonds seraient susceptibles de bénéficier indirectement à l’entreprise et de créer un avantage déloyal pour cette entreprise, de nature à fausser la concurrence dans le secteur des télécommunications, par exemple en finançant le déploiement d’infrastructures.
Contrôles et sanctions de la Commission
La Commission européenne est seule compétente pour qualifier et examiner les subventions étrangères qui pourraient fausser le marché intérieur.
Pour cela elle dispose principalement de 4 outils :
- Une nouvelle obligation de notification de concentration notamment pour les acquisitions de groupe européens réalisant un chiffre d’affaires de plus de 500 m€ par des entreprises qui ont reçu des contributions financières (même non qualifiables de subventions) de plus de 50m€ sur les trois dernières années ;
- Une obligation de notification des contributions financières reçues (ou de déclaration) pour les entreprises qui candidatent à des appels d’offres publics de plus de 250 m€ (125 m€ en cas d’allotissement) ;
- Le pouvoir d’imposer la notification de toute opération de concentration et de toute participation à un appel d’offres publics, même si les seuils ci-dessus ne sont pas atteints, si la Commission pense que les entreprises concernées ont pu bénéficier de subventions étrangères aux cours des trois années précédentes ;
- Plus généralement un droit de contrôle de toute information, quelle qu’en soit la source, concernant des subventions qui pourraient fausser le marché intérieur.
Comme en matière d’ententes ou d’abus de position dominante, la Commission peut exercer tous ses pouvoirs de demandes d’informations, d’audition et d’inspection à l’égard des entreprises concernées. Elle a déjà procédé à différentes investigations, y compris par perquisition, par exemple dans le secteur des panneaux photovoltaïques ou des équipements de sécurité. Plusieurs centaines d’opérations (concentrations et appels d’offres) lui ont déjà été notifiées et des plaintes lui ont été adressées par différentes entités.
Si une distorsion de concurrence actuelle ou potentielle est constatée, la Commission peut imposer des mesures correctives ou rendre contraignants les engagements proposés par l’entreprise concernée, à condition qu’ils soient suffisants pour remédier pleinement et efficacement à la distorsion. Ces mesures correctives et engagements possibles incluent la restriction temporaire d’activité commerciale, l’interdiction de certains investissements, la publication de résultats de R&D, la cession de certains actifs, l’octroi de licences à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires pour les actifs acquis ou développés avec l’aide de subventions étrangères, l’obligation pour les entreprises concernées d’adapter leur structure de gouvernance, ou encore le remboursement de la subvention étrangère avec intérêts.
En termes de sanctions, le FSR prévoit des amendes pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires total réalisé par le groupe au cours de l’exercice précédent en cas de défaut de notification préalable, de contournement des obligations de notification, ou de réalisation d’une concentration notifiée sans autorisation. Des amendes peuvent également être imposées pour la transmission d’informations inexactes ou dénaturées, le défaut de coopération, et le non-respect des engagements. Les risques en termes d’image et de demandes indemnitaires sont aussi à prendre en compte.
L’autre risque principal associé au FSR est le blocage des opérations de concentration ou de réponse à appels d’offres pendant des mois, et éventuellement de perte de ces opportunités, en cas d’incapacité des parties à fournir rapidement des informations pertinentes et complètes à la Commission concernant les contributions financières de pays tiers dont elles ont bénéficié au cours des trois dernières années.
Actions en mettre en œuvre et opportunité
Le FSR a des implications importantes pour les groupes internationaux exerçant une activité dans l’Union européenne.
Ces groupes doivent évaluer leur niveau de risque au regard du FSR, auditer les contributions financières étrangères qu’ils peuvent recevoir, et mettre en place des systèmes de contrôle interne pour assurer l’efficacité des processus mis en œuvre. Plus spécifiquement, ils doivent être en mesure de :
- Qualifier et identifier les avantages financiers dont ils bénéficient à travers le monde et qui seraient potentiellement à risque ;
- Faire face efficacement à d’éventuels contrôles inopinés de la Commission européenne, en lui présentant un recensement complet et en répondant de manière rapide, précise et sécurisée à ses questions ;
- Pouvoir compléter rapidement d’éventuels dossiers de notification en tant qu’acquéreur, cible d’une opération de concentration, ou en tant que candidat à un marché public, et ne pas retarder ou bloquer ces opérations par manque de préparation.
Ces démarches peuvent utilement s’intégrer dans leur programme de conformité au droit de la concurrence, avec la mise en place d’outils de reporting et d’approche du risques adaptés.
Ce faisant, les groupes internationaux ont également l’opportunité de se différencier :
- en tant que cible ou en tant qu’acquéreur capable de fournir rapidement les informations utiles dans le contexte d’une notification de concentration, notamment si l’opération excède les seuils FSR ou si elle excède seulement les seuil nationaux d’examen des concentrations et fait l’objet d’un examen par une autorité nationale de concurrence, qui pourrait ainsi remonter des informations à la Commission et provoquer éventuellement une analyse FSR de l’opération ;
- en tant que candidat potentiel à des procédures d’appel d’offres publics qui excèderait les seuils FSR ou qui feraient l’objet d’un contrôle de la Commission en deçà de ces seuils ;
- en tant que groupe structuré dans lequel l’identification des contributions financières étrangères permet un pilotage éclairé de certains choix stratégiques.
Les entreprises nationales ont donc tout intérêt à mettre en place dès que possible l’organisation et les outils qui leurs permettront de traiter efficacement la réglementation qui s’imposent à elle en matière de subventions étrangères.