5 min de temps de lecture 14 avr. 2023
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La reconstitution des capitaux propres après la loi DDADUE

Par Christine Rocha

Avocat, Senior Manager – Business Law, France – Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

Christine Rocha est en charge de la doctrine, de la capitalisation des savoirs et de leur partage auprès des équipes en droit des affaires.

5 min de temps de lecture 14 avr. 2023
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Quels sont les changements apportés au dispositif de reconstitution des capitaux propres par la loi DDADUE ? Retrouvez nos explications.

En résumé :

  • L’article 14 de la loi supprime une « surtransposition » qui n’était pas si contraignante
  • La loi ajoute au dispositif existant, un mécanisme de réduction de capital imposée

La Loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture (dite DDADUE) vise tant à transposer des directives européennes qu’à mettre en conformité le droit français avec des règlements européens adoptés récemment, dans des domaines juridiques variés.

En droit des sociétés, outre les habilitations consenties au Gouvernement en vue de transposer plusieurs directives par voie d’ordonnance¹, l’article 14 de la loi modifie les dispositions du code de commerce relatives à la reconstitution des capitaux propres.

Pour mémoire, en cas de constatation de pertes rendant les capitaux propres d’une société inférieurs à la moitié de son capital social, les dispositions des articles L.223-42 et L.225-248² du code de commerce prévoient que les associés doivent se réunir dans les quatre mois suivant l'approbation des comptes ayant fait apparaître cette perte afin de décider de la dissolution anticipée ou non de la société.

Si les associés décident de poursuivre l’activité de la société, celle-ci est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue, de régulariser la situation. Jusqu’à cette loi, à défaut de régularisation dans ce délai, tout intéressé pouvait demander en justice la dissolution de la société. Les dispositions applicables limitaient cependant le risque de dissolution puisque le tribunal saisi pouvait « accorder à la société un [nouveau] délai maximal de six mois pour régulariser la situation ». De même, une telle dissolution ne pouvait être prononcée si, au jour où le tribunal statuait sur le fond, la régularisation avait eu lieu.

Malgré cette possibilité de régularisation après saisine du tribunal compétent, l’article 14 de la loi DDADUE a modifié la procédure de reconstitution des capitaux propres en ajoutant une nouvelle mesure de régularisation et en repoussant ainsi dans le temps le risque de dissolution anticipée.

Selon l’exposé des motifs accompagnant le projet de loi initial, il s’agissait de supprimer une surtransposition du droit français : « l’article 58 de la directive (UE) 2017/1132 du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés, prévoit qu’en cas de perte grave du capital souscrit, l'assemblée générale de la société doit être convoquée dans un délai fixé par les législations des États membres afin d'examiner s'il y a lieu, soit de dissoudre la société, soit d'adopter toute autre mesure. […] Il convient, dès lors, de modifier la nature de la sanction de la dissolution, en la remplaçant par l'obligation d'apurer les pertes par une réduction du capital social, jusqu'à un minimum. Si cette réduction est faite, alors il n'y aurait plus de sanction de dissolution, malgré le fait que les capitaux propres ne soient pas égaux ou supérieurs à la moitié du capital social. […]. ».

Ainsi, les nouvelles dispositions³ prévoient désormais que « Si, avant l’échéance [c’est-à-dire la clôture du deuxième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue], les capitaux propres de la société n’ont pas été reconstitués à concurrence d’une valeur au moins égale à la moitié du capital social alors que le capital social de la société est supérieur à un seuil fixé par décret en Conseil d’État en fonction de la taille de son bilan, la société est tenue, au plus tard à la clôture du deuxième exercice suivant cette échéance [c’est-à-dire au plus tard à la clôture du quatrième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue], de réduire son capital social [...] pour le ramener à une valeur inférieure ou égale à ce seuil. ».

En conséquence, le législateur retarde le risque de dissolution anticipée en introduisant une obligation d’apurement des pertes via une réduction de capital imposée. Selon l’étude d’impact accompagnant le projet de loi initial, « cette obligation de réduction de capital demeurerait incitative pour les actionnaires, dont le capital social serait réduit au minimum. Elle fournit également un signal et une information importante pour les tiers et pour les créanciers, qui auront la connaissance d'un capital social très réduit. […]

L'objectif est de permettre que le capital social soit réduit à une valeur permettant de ne pas donner aux tiers l'idée d'une surface financière qui soit trop décorrélée de la réalité. […]

Ce seuil apparait devoir dépendre de la taille de la société, et notamment celle de son bilan. C’est la raison pour laquelle il est proposé de renvoyer à un décret en Conseil d’Etat afin de travailler plus finement à la détermination de différents seuils selon la taille de la société. ».

Il ne reste plus qu’à attendre la publication du décret pour que le dispositif soit opérationnel.

A noter que la sanction de la dissolution anticipée – suite à une demande en justice par tout intéressé – demeurera possible si la réduction de capital imposée n’est pas réalisée à l’issue du quatrième exercice suivant celui au cours duquel la constatation des pertes est intervenue. Cependant, comme auparavant, le tribunal pourra accorder à la société un délai (supplémentaire) maximal de six mois pour régulariser la situation et le tribunal ne pourra pas prononcer la dissolution, si, au jour où il statue sur le fond, cette régularisation a eu lieu.

Si l’intention du législateur est louable, on peut se demander si ces modifications étaient véritablement nécessaires. On pourrait même affirmer : « tout ça pour ça » !

  • Sources :

    1. Article 12 portant habilitation du Gouvernement à transposer la directive dite CSRD (la directive n° 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) n° 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d'informations en matière de durabilité) et Article 13 portant habilitation du Gouvernement à transposer la directive (UE) 2019/2121 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 modifiant la directive (UE) 2017/1132 en ce qui concerne les transformations, fusions et scissions transfrontalières
    2. Applicables respectivement aux SARL et aux sociétés par actions
    3. Art. L.223-42 et L.225-248 C.Com. modifiés

Ce qu'il faut retenir

A propos de cet article

Par Christine Rocha

Avocat, Senior Manager – Business Law, France – Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

Christine Rocha est en charge de la doctrine, de la capitalisation des savoirs et de leur partage auprès des équipes en droit des affaires.

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