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Procédures collectives : Règle de conflit de lois en cas d’instance en cours dans un autre Etat membre

Un arrêt de la Cour de cassation considère qu’une créance reconnue par la décision d’un tribunal italien est opposable à la procédure de sauvegarde du débiteur français bien que le mandataire judiciaire n’ait pas été mis dans la cause de l’instance en Italie. Retrouvez nos explications.

Article co-rédigé avec Natacha Armand, Avocat.

Au cas d’espèce, une société de droit italien a engagé une procédure en paiement d’une somme d’argent contre une société de droit français devant le Tribunal de Commerce de Milan. En cours d’instance, la société de droit français est placée en procédure de sauvegarde. La société italienne déclare sa créance au passif de la procédure collective. Le mandataire judiciaire l’informe que cette créance est contestée dans son intégralité en raison de l’instance en cours. Le juge commissaire constate dans son ordonnance rendue par suite de l’audience de contestation de la créance, qu’une instance est en cours et rappelle à la société créancière la nécessité de suivre les prescriptions de l’article R.624-11 du Code de commerce¹ une fois l’instance terminée.

 

Entretemps, la société italienne, en application des règles de procédure civile italienne, sollicite du Tribunal de Commerce milanais qu’il l’autorise à citer le mandataire judiciaire. Elle se voit refuser cette demande au motif que ne sont pas apparus aux juges italiens, « d’éléments à même de faire considérer comme existant un litisconsortium nécessaire et que des raisons d’économie et de promptitude de procès suggèrent de ne pas élargir la discussion contradictoire. ».

 

Le tribunal italien rend ensuite un jugement de condamnation à l’encontre de la société française. Cette dernière n’interjetant pas appel de la décision, cette décision est communiquée par la société italienne au greffe du tribunal de la procédure collective en France aux fins d’inscription de sa créance au passif de la procédure collective.

 

La société débitrice française conteste alors l’inscription de cette créance au motif que la décision italienne serait inopposable à la procédure collective en ce que le mandataire judiciaire n’aurait pas été mis dans la cause conformément à la loi française².

 

Après avoir vainement tenté de contester cette inscription devant le juge-commissaire, la société française assigne la société italienne devant le tribunal de la procédure collective afin de voir constater que la décision de la juridiction italienne est réputée non avenue et inopposable à la procédure collective pour avoir été prononcée hors la présence de ses organes et qu'il en est de même des actes subséquents, dont l’inscription de la créance à son passif. Sa demande est rejetée et la Cour d’appel confirme l’analyse du tribunal.

 

La société française se pourvoit alors en cassation en considérant que la Cour d’appel a violé les articles 369³ et 372⁴ du code de procédure civile ainsi que les principes d’ordre public interne et international de l’arrêt des poursuites individuelles et d’interruption de l’instance en cas de procédure collective. La société française faisait notamment valoir l’absence de reprise régulière de l’instance à défaut de mise en cause des organes de la procédure collective.

 

La Cour de cassation, dans son arrêt du 13 décembre 2023⁵, rejette ce pourvoi en rappelant que l'article 15 du règlement modifié CE n°1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, applicable aux faits de l’espèce, dispose que les effets de la procédure d'insolvabilité sur une instance en cours concernant un bien ou un droit dont le débiteur est dessaisi, sont régis exclusivement par la loi de l'Etat membre dans lequel cette instance est en cours. Or, la Cour de Justice de l’Union européenne a dit pour droit que cet article 15 doit être interprété en ce sens qu'il s'applique à une instance en cours devant un Etat membre ayant pour objet la condamnation d'un débiteur au paiement d'une somme d'argent dans le cas où ce débiteur a été déclaré insolvable dans le cadre d'une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre Etat membre⁶.

 

Elle considère en conséquence que n’est pas fondé le moyen qui postule au contraire qu'en application de la loi française, la juridiction italienne ne pouvait statuer en l'absence de mise en cause du mandataire judiciaire et que, faute de l'avoir fait, sa décision est non avenue par application de l'article 372 du code de procédure civile français.

 

Cette décision a le mérite de mettre le droit du côté de l’équité, la société italienne ayant usé des moyens légaux en sa possession - découlant du droit italien - afin de mettre dans la cause le mandataire judiciaire de sa débitrice. Le Tribunal milanais a toutefois refusé de faire droit à sa demande par application du droit italien.

 

La décision de la Cour de cassation fait une application stricte du règlement européen qui prévaut sur la loi française et écarte, en conséquence, l’application de la règle française selon laquelle une condamnation du débiteur postérieure à l’ouverture de sa procédure collective, même passée en force de chose jugée, est réputée nulle et sans effet, du fait de l’arrêt des poursuites individuelles résultant de l’article L.622-21 du code de commerce.⁷

 

Ainsi, seules les règles de procédure civile et celles relatives au droit des procédures collectives de l’Etat membre dans lequel l’instance est en cours s’appliquent pour traiter les effets de la procédure d'insolvabilité de la débitrice sur l’instance en cours.

 

En l’espèce, la débitrice n’a subi aucun préjudice du fait de l’absence de mise en cause du mandataire judiciaire dans l’instance italienne. En effet, le but poursuivi par la loi française avec l’obligation de mettre en cause les organes de la procédure en cas d’instance en cours concernant un bien ou un droit dont le débiteur est dessaisi, est de s’assurer que la reconnaissance de l’existence d’une créance antérieure ne puisse permettre au créancier d’appréhender l’actif de la société débitrice, alors que sa créance doit être traitée comme celle de tous les autres créanciers, dans le cadre du plan de poursuite de l’activité ou dans le cadre de la liquidation de l’entreprise.

 

En l’espèce, le juge commissaire était informé de l’existence d’une instance en cours en Italie et le tribunal italien avait connaissance de la procédure de sauvegarde de la société débitrice française. La situation a donc clairement été exposée par la société italienne qui, une fois sa créance devenue certaine, en a demandé l’inscription au passif de la société française, comme le requiert l’article R.624-11 du Code de commerce. Aucun contournement du droit des entreprises en difficulté français n’a été permis par cette décision.

 

On précisera, enfin, que si cette décision a été rendue à l’aune des dispositions de l’article 15 de l’ancien règlement CE n°1346/2000 du 29 mai 2000, l’article 18 du règlement « Insolvabilité » (UE) 2015/848 du 20 mai 2015, aujourd’hui applicable, reprend la même règle de conflit de lois. Ainsi, la décision de la Cour de cassation du 13 décembre 2023 conserve toute sa valeur.

Ce qu'il faut retenir

Les effets de la procédure d'insolvabilité d’un débiteur issu d’un Etat membre de l’Union Européenne sur une instance en cours dans un autre Etat membre de l’Union Européenne, instance ayant pour objet la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent, sont régis exclusivement par la loi de l'Etat membre dans lequel cette instance est en cours. S’appliquent donc à cette instance les règles de procédure civile et de droit des entreprises en difficulté de l’Etat où l’instance est en cours et aucune disposition légale ou réglementaire de l’Etat du débiteur ne sauraient y faire échec.

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