7 min de temps de lecture 22 févr. 2024
Réunion de personnes

Procédures collectives : Règle de conflit de lois en cas d’instance en cours dans un autre Etat membre

Par Gérard Leonil

Avocat Associé, Business Law, France

Le « non » tu l’as, tente le « oui ».

7 min de temps de lecture 22 févr. 2024
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Un arrêt de la Cour de cassation considère qu’une créance reconnue par la décision d’un tribunal italien est opposable à la procédure de sauvegarde du débiteur français bien que le mandataire judiciaire n’ait pas été mis dans la cause de l’instance en Italie. Retrouvez nos explications.

Article co-rédigé avec Natacha Armand, Avocat.

Au cas d’espèce, une société de droit italien a engagé une procédure en paiement d’une somme d’argent contre une société de droit français devant le Tribunal de Commerce de Milan. En cours d’instance, la société de droit français est placée en procédure de sauvegarde. La société italienne déclare sa créance au passif de la procédure collective. Le mandataire judiciaire l’informe que cette créance est contestée dans son intégralité en raison de l’instance en cours. Le juge commissaire constate dans son ordonnance rendue par suite de l’audience de contestation de la créance, qu’une instance est en cours et rappelle à la société créancière la nécessité de suivre les prescriptions de l’article R.624-11 du Code de commerce¹ une fois l’instance terminée.

Entretemps, la société italienne, en application des règles de procédure civile italienne, sollicite du Tribunal de Commerce milanais qu’il l’autorise à citer le mandataire judiciaire. Elle se voit refuser cette demande au motif que ne sont pas apparus aux juges italiens, « d’éléments à même de faire considérer comme existant un litisconsortium nécessaire et que des raisons d’économie et de promptitude de procès suggèrent de ne pas élargir la discussion contradictoire. ».

Le tribunal italien rend ensuite un jugement de condamnation à l’encontre de la société française. Cette dernière n’interjetant pas appel de la décision, cette décision est communiquée par la société italienne au greffe du tribunal de la procédure collective en France aux fins d’inscription de sa créance au passif de la procédure collective.

La société débitrice française conteste alors l’inscription de cette créance au motif que la décision italienne serait inopposable à la procédure collective en ce que le mandataire judiciaire n’aurait pas été mis dans la cause conformément à la loi française².

Après avoir vainement tenté de contester cette inscription devant le juge-commissaire, la société française assigne la société italienne devant le tribunal de la procédure collective afin de voir constater que la décision de la juridiction italienne est réputée non avenue et inopposable à la procédure collective pour avoir été prononcée hors la présence de ses organes et qu'il en est de même des actes subséquents, dont l’inscription de la créance à son passif. Sa demande est rejetée et la Cour d’appel confirme l’analyse du tribunal.

La société française se pourvoit alors en cassation en considérant que la Cour d’appel a violé les articles 369³ et 372⁴ du code de procédure civile ainsi que les principes d’ordre public interne et international de l’arrêt des poursuites individuelles et d’interruption de l’instance en cas de procédure collective. La société française faisait notamment valoir l’absence de reprise régulière de l’instance à défaut de mise en cause des organes de la procédure collective.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 13 décembre 2023⁵, rejette ce pourvoi en rappelant que l'article 15 du règlement modifié CE n°1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité, applicable aux faits de l’espèce, dispose que les effets de la procédure d'insolvabilité sur une instance en cours concernant un bien ou un droit dont le débiteur est dessaisi, sont régis exclusivement par la loi de l'Etat membre dans lequel cette instance est en cours. Or, la Cour de Justice de l’Union européenne a dit pour droit que cet article 15 doit être interprété en ce sens qu'il s'applique à une instance en cours devant un Etat membre ayant pour objet la condamnation d'un débiteur au paiement d'une somme d'argent dans le cas où ce débiteur a été déclaré insolvable dans le cadre d'une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre Etat membre⁶.

Elle considère en conséquence que n’est pas fondé le moyen qui postule au contraire qu'en application de la loi française, la juridiction italienne ne pouvait statuer en l'absence de mise en cause du mandataire judiciaire et que, faute de l'avoir fait, sa décision est non avenue par application de l'article 372 du code de procédure civile français.

Cette décision a le mérite de mettre le droit du côté de l’équité, la société italienne ayant usé des moyens légaux en sa possession - découlant du droit italien - afin de mettre dans la cause le mandataire judiciaire de sa débitrice. Le Tribunal milanais a toutefois refusé de faire droit à sa demande par application du droit italien.

La décision de la Cour de cassation fait une application stricte du règlement européen qui prévaut sur la loi française et écarte, en conséquence, l’application de la règle française selon laquelle une condamnation du débiteur postérieure à l’ouverture de sa procédure collective, même passée en force de chose jugée, est réputée nulle et sans effet, du fait de l’arrêt des poursuites individuelles résultant de l’article L.622-21 du code de commerce.⁷

Ainsi, seules les règles de procédure civile et celles relatives au droit des procédures collectives de l’Etat membre dans lequel l’instance est en cours s’appliquent pour traiter les effets de la procédure d'insolvabilité de la débitrice sur l’instance en cours.

En l’espèce, la débitrice n’a subi aucun préjudice du fait de l’absence de mise en cause du mandataire judiciaire dans l’instance italienne. En effet, le but poursuivi par la loi française avec l’obligation de mettre en cause les organes de la procédure en cas d’instance en cours concernant un bien ou un droit dont le débiteur est dessaisi, est de s’assurer que la reconnaissance de l’existence d’une créance antérieure ne puisse permettre au créancier d’appréhender l’actif de la société débitrice, alors que sa créance doit être traitée comme celle de tous les autres créanciers, dans le cadre du plan de poursuite de l’activité ou dans le cadre de la liquidation de l’entreprise.

En l’espèce, le juge commissaire était informé de l’existence d’une instance en cours en Italie et le tribunal italien avait connaissance de la procédure de sauvegarde de la société débitrice française. La situation a donc clairement été exposée par la société italienne qui, une fois sa créance devenue certaine, en a demandé l’inscription au passif de la société française, comme le requiert l’article R.624-11 du Code de commerce. Aucun contournement du droit des entreprises en difficulté français n’a été permis par cette décision.

On précisera, enfin, que si cette décision a été rendue à l’aune des dispositions de l’article 15 de l’ancien règlement CE n°1346/2000 du 29 mai 2000, l’article 18 du règlement « Insolvabilité » (UE) 2015/848 du 20 mai 2015, aujourd’hui applicable, reprend la même règle de conflit de lois. Ainsi, la décision de la Cour de cassation du 13 décembre 2023 conserve toute sa valeur.

  • Sources

    1. Pour mémoire, l’article R.624-11 du Code de commerce dispose : « Le créancier dont les droits ont été reconnus par une décision d'une autre juridiction passée en force de chose jugée adresse au greffier du tribunal qui a ouvert la procédure une expédition de cette décision. / Le greffier avise le mandataire judiciaire ainsi que l'administrateur et le commissaire à l'exécution du plan, s'il y a lieu, de toute modification ainsi apportée à l'état des créances ».
    2. Article 373 du code de procédure civile : « L'instance peut être volontairement reprise dans les formes prévues pour la présentation des moyens de défense. A défaut de reprise volontaire, elle peut l'être par voie de citation. »
    3. Art. 369 du code de procédure civile : « L'instance est interrompue par […] l'effet du jugement qui prononce la sauvegarde, le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire dans les causes où il emporte assistance ou dessaisissement du débiteur ; […] ».
    4. Art. 372 du code de procédure civile : « Les actes accomplis et les jugements même passés en force de chose jugée, obtenus après l'interruption de l'instance, sont réputés non avenus à moins qu'ils ne soient expressément ou tacitement confirmés par la partie au profit de laquelle l'interruption est prévue. »
    5. Cass. Com., 13 décembre 2023, n°22-17.464, inédit
    6. CJUE, 6 juin 2018, n° C-250/17, Tarrago Da Silveira
    7. La reprise d’instance est visée par l’article L.622-22 du code de commerce : « Sous réserve des dispositions de l'article L. 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L. 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant. »

Ce qu'il faut retenir

Les effets de la procédure d'insolvabilité d’un débiteur issu d’un Etat membre de l’Union Européenne sur une instance en cours dans un autre Etat membre de l’Union Européenne, instance ayant pour objet la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent, sont régis exclusivement par la loi de l'Etat membre dans lequel cette instance est en cours. S’appliquent donc à cette instance les règles de procédure civile et de droit des entreprises en difficulté de l’Etat où l’instance est en cours et aucune disposition légale ou réglementaire de l’Etat du débiteur ne sauraient y faire échec.

A propos de cet article

Par Gérard Leonil

Avocat Associé, Business Law, France

Le « non » tu l’as, tente le « oui ».

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