Chapitre 1
Jetons, contrats et portefeuilles
Comment la blockchain dompte la complexité de la supply chain
Paul R. Brody, EY Global Innovation Leader – Blockchain, est du même avis. La force de la blockchain, explique-t-il, réside dans sa capacité à modéliser numériquement les relations du monde réel à travers n’importe quel écosystème de supply chain. « Vous avez des acheteurs et des vendeurs, des cultivateurs et des constructeurs, des [prestataires de services] de transport et de logistique, des grossistes, des distributeurs, des détaillants et des consommateurs finaux. Il y a tellement de transferts de marchandises de la ferme à la table, de la mine au magasin, ou dans n’importe quelle autre [chaîne de valeur]. »
Les supply chains impliquent généralement un large éventail d’accords et d’obligations contractuelles complexes, comme les ajustements contractuels associés aux changements de prix des composants, à l’exhaustivité des commandes expédiées, à l’état des marchandises reçues et au calendrier des livraisons.
« Pourtant, les mécanismes qui régissent les supply chains aujourd’hui sont un mélange complexe de processus manuels et numériques, les commandes étant passées sur plusieurs canaux et les différents acteurs effectuant eux-mêmes le suivi des stratégie et transactions sur les progiciels de gestion intégrés (ERP), ce qui conduit à la création de silos de données, à l’adoption de solutions de contournement, à une transparence limitée et, en général, à une inefficacité d’ensemble », affirme Paul Brody. Dans la pratique, ajoute-t-il, « les entreprises consacrent aujourd’hui beaucoup de temps et d’argent à superviser leurs supply chains, c’est-à-dire à vérifier que tout s’est déroulé – et se déroulera – selon les termes acceptés. Ces efforts peuvent être considérablement réduits grâce à la blockchain. »
En effet, la complexité des supply chains permet à la blockchain de donner toute sa mesure. « Ce qu’il y a de bien avec la blockchain, c’est qu’elle introduit de l’ordre, de la simplicité, de la confiance, de la visibilité et de l’automatisation dans ce qui est autrement un environnement chaotique », explique Paul Brody. Pour ce faire, elle convertit avec élégance les relations de la supply chain en jetons, contrats et portefeuilles numériques. Les jetons représentent les actifs échangés ; les contrats dits intelligents (smart contracts) numérisent les termes exprimés dans les accords de la supply chain ; les portefeuilles sont des réceptacles pour les jetons et les contrats des divers acteurs. « La blockchain devient un moyen remarquablement efficace de faire fonctionner l’ensemble de manière plus fluide, sécurisée, visible et efficace », poursuit-il.
Chapitre 2
Des vins aux roues
Comment la technologie de blockchain est utilisée pour lutter contre la contrefaçon dans l’industrie du vin et dans les autres secteurs d’activité.
Dennis Post, responsable du développement des services de blockchain pour l’Advanced Technology Tax Lab d’EY, qui aide les entreprises membres d’EY à résoudre leurs problèmes fiscaux, tient à démontrer comment la blockchain est déjà passée du laboratoire à la ligne de production. « L’un des grands défis qui se posent au secteur vitivinicole est de pouvoir authentifier l’origine des produits, car il y a beaucoup de contrefaçon », donne-t-il comme exemple. EZ Lab, spécialisé dans la blockchain, et les équipes d’EY ont travaillé en étroite collaboration pour développer une plateforme appelée The Wine Blockchain. Après s’être appuyé à l’origine sur Ethereum, EZ Lab a fini par développer sa propre plateforme de blockchain appelée Certo pour ce projet. « Les agriculteurs, les vignerons et les détaillants peuvent s’inscrire à l’aide d’une signature numérique chiffrée afin que les consommateurs puissent vérifier ce qu’ils achètent », explique Dennis Post. Depuis son lancement en 2017, plus de 200 000 $ de produits vinicoles ont été négociés grâce à cette plateforme.
En Italie, l’entreprise Carrefour dispose désormais d’une plateforme de blockchain de production complète qui surveille l’état de santé des poulets élevés en plein air ainsi que la véracité des informations les concernant. Intégrée à la solution Ops Chain, elle-même basée sur Ethereum, elle permet aux clients de scanner un QR code figurant sur l’emballage à l’aide de leur smartphone pour tout savoir du poulet, depuis sa naissance jusqu’à sa mise en rayon. Dévoilée en juin 2018, cette plateforme devrait être déployée pour huit autres gammes de produits d’origines animale et végétale, dont les œufs, le fromage, le lait, les oranges, les tomates, le saumon et le steak haché de bœuf, afin de garantir une « traçabilité complète des produits », selon les propres termes de Carrefour.
Autre exemple du rôle potentiel de la blockchain, mais dans un contexte encore plus vaste et tourné vers l’avenir : Tesseract, une blockchain axée sur l’industrie du transport développée par EY pour aider à accroître la propriété fractionnée de véhicules. Avec Tesseract, les utilisateurs peuvent savoir qui possède n’importe quelle combinaison de véhicules individuels ou de flottes, qui les utilise et vérifier si les paiements ont bien été effectués. Les véhicules et les trajets sont enregistrés numériquement sur la blockchain et les stratégie et transactions sont automatiquement réglées entre les propriétaires, les opérateurs et les fournisseurs de services tiers via un système de paiement par utilisation et à source unique. La propriété des actifs est flexible et peut être partagée ou exclusive. Les actifs de transport étant des éléments essentiels de toute supply chain physique, la blockchain peut aider à ouvrir une nouvelle ère de mobilité.
Chapitre 3
La fiscalité au sein des blockchains industrielles et publiques
Les gouvernements sont en train de découvrir en quoi la technologie de blockchain pourrait leur permettre d’améliorer la collecte des impôts pour eux-mêmes et pour les contribuables.
Jusqu’à présent, nous avons parlé des avantages de la blockchain du point de vue des entreprises et des consommateurs. Mais comme l’explique Jeff Saviano, EY Global Tax Innovation Leader : « Les gouvernements et les autorités fiscales peuvent aussi bien y trouver leur compte. Les agences gouvernementales jouent un rôle de premier plan dans le développement des plateformes de blockchain dans le but de promouvoir leurs politiques et d’en améliorer l’utilisation pour les citoyens. »
La blockchain peut, par exemple, être utilisée pour renforcer la capacité des autorités fiscales à prévenir la fraude. Selon Dennis Post, le manque à gagner fiscal (c’est-à-dire la différence entre les recettes fiscales réelles et celles qui auraient dû être collectées s’il n’y avait pas eu de fraude) est estimé à environ 5 % du PIB mondial, soit 3 mille milliards de dollars par an. « C’est un problème extrêmement important qui s’est jusqu’à présent révélé difficile à résoudre », ajoute-t-il.
La blockchain offre le potentiel de réduire ce manque à gagner de manière significative en créant presque systématiquement une piste d’audit rigoureuse à travers les supply chains. Gijsbert Bulk, EY Global Indirect Tax Leader, cite l’exemple de la TVA ou des droits de douane. « Il devient beaucoup plus difficile de cacher des stratégie et transactions ou de créer de fausses factures », explique-t-il. « Les autorités fiscales peuvent voir toutes les activités le long d’une [chaîne de valeur], toutes les ventes et tous les achats, et à quels prix. »
De plus, la blockchain pourrait améliorer l’efficacité et la sécurité en matière de fiscalité transfrontalière. Cela commence par les matières premières, les composants ou les produits finis, pour lesquels il est nécessaire de préciser aux douanes de nombreuses informations afin de certifier l’origine, la composition et la destination des marchandises. C’est à ce stade que les autorités non seulement perçoivent des droits, mais évaluent également si les produits sont légaux ou dangereux à l’importation ou conformes aux accords commerciaux. Ici, déclare Ros Barr, EY Global Indirect Tax Knowledge Leader : « La blockchain pourrait considérablement rationaliser ces processus tout en améliorant la précision. »
La blockchain commencera également à avoir un impact (potentiellement profond) sur les prix de transfert d’entreprises plus importantes. De nombreux pays s’orientent déjà vers la conformité fiscale numérique pour la TVA et les douanes. Au fur et à mesure qu’un nombre croissant d’entreprises participent à ce genre de systèmes (de plus en plus basés sur la blockchain), les décideurs politiques auront accès à des données encore plus détaillées concernant non pas seulement des entreprises individuelles, mais des chaînes de valeur entières.
Avec toute cette masse de données à disposition, les pays d’accueil pourront examiner à la loupe les prix et la rentabilité, comme jamais auparavant. À ce titre, explique Jeff Saviano, les autorités fiscales disposeront des mêmes données et des mêmes outils analytiques d’IA et d’apprentissage automatique que les entreprises. « Les entreprises devront accorder une attention toute particulière aux prix de transfert, en utilisant toujours les données disponibles à des fins de modélisation et en étant prêtes à répondre aux demandes de renseignements ou aux diverses exigences », ajoute-t-il.
L’Advanced Technology Tax Lab d’EY, qui a été inauguré en novembre 2018, prévoit d’être au cœur des développements liés à la blockchain dans le cadre d’une mission plus large dont l’objectif est de résoudre les problèmes fiscaux complexes grâce à l’application de technologies avancées. Pour parvenir à réaliser de telles percées, le laboratoire collabore avec le Massachusetts Institute of Technology et le célèbre professeur Alex « Sandy » Pentland. Ensemble, ils cherchent à comprendre comment les machines peuvent accroître l’efficacité des fiscalistes.
Chapitre 4
Une adoption généralisée mais limitée dans sa portée
Malgré tout son potentiel, la blockchain industrielle se heurte à des obstacles, et notamment à la lenteur des stratégie et transactions. Mais cela changera à mesure que le nombre d’entreprises maîtrisant cette technologie augmentera.
La blockchain n’est cependant pas la panacée. L’un des principaux problèmes est son temps de réponse, qui peut être long. Ethereum, par exemple, ne traite parfois que 15 stratégie et transactions par seconde. Les développeurs ont intégré le fait que la vitesse était un élément à prendre en compte lors de la conception des processus, et pour l’améliorer, ils se concentrent notamment sur l’authentification, afin de la rendre moins lourde. Autre problème : pour qu’une blockchain devienne utile à un grand nombre d’acteurs différents, il faut consacrer beaucoup de temps à l’élaboration de normes acceptables pour tous ceux qui y participent.
Néanmoins, 2019 s’annonce comme un bon cru pour la technologie. Dennis Post affirme qu’il s’attend à ce qu’un « grand nombre » de POC et d’essais soient mis en production cette année. « Beaucoup de monde adopte la blockchain, mais l’utilise de façon limitée aujourd’hui. Elle va cependant considérablement se développer et s’accélérer à mesure que les entreprises acquièrent de l’expérience », prédit-il.
Un avis partagé par Daren Campbell, EY Intelligent Automation leader. « La popularité de la blockchain s’étend et transforme progressivement notre approche de l’automatisation. Au lieu de tirer parti de la technologie pour automatiser une section du processus, la blockchain a la capacité non seulement d’automatiser l’intégralité du processus, mais aussi de la rendre nettement plus efficace en repensant l’art du possible avec la collecte intelligente de données d’événements. La technologie mûrit rapidement et offre de nombreux avantages organisationnels. »
Kurt Neidhardt, Global Co-Leader de l’équipe Tax Technology & Transformation d’EY ajoute : « La blockchain sera peut-être le pas de géant grâce auquel les fiscalistes d’entreprise afficheront des pics de valeur et d’efficacité. Elle tient compte du virage actuel des départements fiscaux modernes vers l’analyse stratégique et minimise presque instantanément la quantité de ressources nécessaires pour saisir et communiquer les données transactionnelles.»En effet, C. John Langley, Jr., professeur clinique de la gestion de la supply chain et directeur du développement pour le Centre de recherches sur les supply chains du Penn State University Smeal College of Business, affirme que le potentiel de la blockchain augmentera de façon exponentielle une fois qu’elle commencera à interagir avec d’autres technologies en évolution rapide.
À commencer par les objets connectés. Sur ce point, C. J. Langley déclare : « La numérisation et la connectivité des capteurs nous permettent de voir où se trouvent les choses et de déterminer leur état à chaque étape du processus. Cette expédition est-elle dans les temps ? Les aliments, les médicaments, même les vins, sont-ils transportés ou stockés à la bonne température ? Ce sont là des considérations qui peuvent s’avérer cruciales en matière de sécurité et de qualité des produits… et la blockchain assistée par l’IoT peut tout suivre dans un dossier indélébile. »
L’ajout de l’intelligence artificielle (IA) et de l’apprentissage automatique pourrait donner un nouvel élan. « Nous en sommes au stade où la capacité d’analyser et de répondre à ce que les données peuvent nous dire devient l’un des outils les plus disruptifs disponibles », explique C. J. Langley. « On le voit régulièrement : avec les bonnes données et la capacité d’analyser et de répondre à ces données, les entreprises peuvent tirer leur épingle du jeu. La blockchain combinée à d’autres technologies est en train de complètement changer la donne. »
Les agences gouvernementales jouent un rôle de premier plan dans le développement de la plateforme de blockchain, leur objectif étant de promouvoir leurs politiques et d’améliorer l’expérience des citoyens.
Chapitre 5
Les principales mesures
Envisagez de prendre ces mesures pour tirer parti de la technologie de blockchain et comprendre les implications fiscales.
- Les organisations doivent s’assurer d’avoir des collaborateurs qui comprennent à la fois la blockchain et la gamme complète des technologies numériques, y compris l’intelligence artificielle et l’analyse avancée.
- Rejoignez, ou créez, des groupes sectoriels, puis, en leur sein, explorez et guidez de manière active le développement de blockchains.
- Les grands acteurs, ceux qui ont une vision transformatrice, doivent chercher à impliquer leurs clients, leurs fournisseurs, leurs partenaires et même leurs concurrents afin d’identifier les besoins essentiels et la manière dont la blockchain pourrait y répondre.
- Évaluez les potentielles conséquences de la blockchain sur le travail de vos fiscalistes internes. Elle pourrait entraîner une amélioration de l’efficacité et de la sécurité, mais aussi plus de contrôle de la part des autorités à l’avenir.
Ce qu'il faut retenir
L’intégration de la blockchain industrielle dans les supply chains est de plus en plus rapide. Elle annonce des ruptures fondamentales les processus de base et promet des avantages aux entreprises et aux consommateurs.