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L’administration a mis à jour sa doctrine en matière de prix de transfert

Après une nouvelle version du Guide des prix de transfert à l’usage des PME, une mise à jour importante des commentaires administratifs a été publiée fin 2023, marquée par l’objectif de l’administration de renforcer l’encadrement des opérations entre entreprises liées.


Au sommaire de cet article :

  • Présentation générale du nouveau Bofip
  • Présentation générale du Guide des prix de transfert à l’usage des PME
  • Une mise à jour qui intervient dans un contexte de « lutte contre les fraudes aux finances publiques »

Cet article a été rédigé par Alexandre Chaussat et Frank Deleon, EY Société d’Avocats et publié dans les Actualités du Navis.

Le 22 novembre 2023, l’administration fiscale a procédé à une mise à jour importante du Bofip en matière de prix de transfert et du Guide des prix de transfert à l’usage des PME. Cette mise à jour a pour objectif d’encadrer davantage les opérations réalisées entre les entreprises liées et intervient dans un contexte plus large de « lutte contre les fraudes aux finances publiques » annoncée par le Gouvernement.

Présentation générale du nouveau Bofip

La mise à jour Bofip en matière de prix de transfert apporte des précisions relatives aux services intragroupe, aux transactions financières, à l’usage de la médiane, aux actifs incorporels difficiles à évaluer et à la méthode du partage de bénéfices. Elle réitère aussi la référence à la notion d’entrepreneur principal (BOI-BIC-BASE-80-10-10, 22-11 2023).

Dans le cadre des services intragroupe, il est désormais précisé que les entreprises doivent justifier la rémunération d’une prestation de services en vérifiant si celle-ci répond à un besoin réel de la société bénéficiaire et en évitant tout double emploi. Par ailleurs, afin d’apprécier la réalité des services reçus, l’administration recommande de tenir compte de l’intérêt économique ou commercial que l’entreprise en retire (BOI-BIC-BASE-80-10-10 nos 210 s.).

Sur le volet des transactions financières (BOI-BIC-BASE-80-10-10 nos 234 s.), la mise à jour contient de nouveaux développements concernant les prêts intragroupes, les accords de gestion centralisée de la trésorerie et les garanties, afin de s’aligner avec les règles prévues par la dernière édition des Principes OCDE.

Concernant la dernière édition des principes OCDE, il convient de se reporter au Rapport « Instructions sur les prix de transfert relatives aux transactions financières », adopté le 20 janvier 2020 par le Cadre inclusif OECD/G20 sur le Beps et intégré au Chapitre I (nouvelle Section D.1.2.2) et dans le nouveau Chapitre X des Principes applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales parus le 25 janvier 2022 et voir 2020G_000620-20Gbl_TP_OECD_releases_final_TP_guidance_on_financial_transactions.pdf (ey.net).

Sur les prêts intragroupes : afin de déterminer un taux d’intérêt de pleine concurrence, l’administration rappelle qu’il convient de caractériser les risques supportés par le prêteur et l’emprunteur, de délimiter la transaction en prenant en compte notamment les relations commerciales et financières de la transaction, et de considérer l’effet d’appartenance au groupe et l’existence ou non de clauses financières restrictives.

Sur les accords de gestion centralisée de la trésorerie : l’administration indique notamment qu’il convient de tenir compte des faits et circonstances propres aux soldes transférés et des modalités fixées par ces accords.

Sur les garanties : l’administration reprend la définition des garanties financières posée par l’OCDE, selon laquelle « une garantie financière prévoit l’obligation pour le garant d’exécuter des obligations financières déterminées en cas de défaillance du bénéficiaire de la garantie » (Rapport « Instructions sur les prix de transfert relatives aux transactions financières », OCDE, février 2020, point n°10.155) et rappelle que plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour évaluer le prix de pleine concurrence des garanties.

Sur le recours à la médiane, les commentaires préconisent désormais le recours à la médiane « en l’absence d’éléments permettant de sélectionner un point particulier comme étant le plus approprié » (BOI-BIC-BASE-80-10-10 n° 280).

En matière d’actifs incorporels difficiles à évaluer (BOI-BIC-BASE-80-10-10 n° 232), la mise à jour prévoit une référence aux préconisations de l’OCDE sur le contrôle des transactions relatives à ces incorporels et reprend en substance la définition des actifs incorporels telle qu’indiquée par les Principes OCDE (voir le paragraphe 6.189 des Principes applicables en matière de prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales parus le 25 janvier 2022).

Sur la méthode du partage de bénéfices, l’administration vient préciser que cette méthode est appropriée pour les situations suivantes (BOI-BIC-BASE-80-10-10 n° 190) :

  • « lorsque les parties à la transaction apportent des contributions uniques et à forte valeur ajoutée (par exemple des actifs incorporels répondant à ces deux caractéristiques) ; et/ou
  • en présence d’opérations fortement intégrées de telle sorte qu’il est difficile d’évaluer de manière fiable la contribution de chaque partie isolément ; et/ou
  • en cas de prise en charge conjointe de risques économiques significatifs ou de prise en charge séparée des risques étroitement liés. »

Le Bofip précise par ailleurs que l’absence de transactions étroitement comparables entre entreprises indépendantes ne doit pas conduire dans tous les cas à retenir la méthode transactionnelle de partage des bénéfices. Des transactions suffisamment comparables, sans être identiques à la transaction contrôlée, peuvent en effet conduire à des résultats plus fiables que l’utilisation inappropriée de la méthode transactionnelle de partage des bénéfices (BOI-BIC-BASE-80-10-10 n° 190). Ce faisant, l’administration fiscale rappelle que la méthode du partage de bénéfices n’a pas vocation à être une méthode « balai » mais qu’elle doit être utilisée dans les seules situations où elle est spécifiquement adaptée.

 

Cette précision est la bienvenue car les situations dans lesquelles la méthode transactionnelle de partage des bénéfices est appropriée a fait l’objet d’évolutions. Cette méthode était autrefois envisagée comme une méthode de dernier recours. L’édition 2006 du Guide des prix de transfert à l’usage des PME indiquait à ce titre que « cette méthode ne doit être utilisée qu’en dernier recours, ce qui suppose d’avoir démontré que les autres méthodes ne sont pas pertinentes ».

Par la suite, l’administration fiscale française a manifesté son intention de ménager un environnement plus propice à l’application de cette méthode, permettant d’améliorer l’information de l’administration et de mieux maîtriser la matière imposable sur le territoire (voir notamment le Rapport de la Commission des finances de l’Assemblée nationale publié en septembre 2018).

Enfin, cette nouvelle version du Bofip réitère la référence à la notion d’entrepreneur principal (BOI-BIC-BASE-80-10-10 n° 110) alors même que la jurisprudence a récemment relativisé l’application stricte des conséquences tirées de cette notion afin de prendre davantage en considération l’éventuel contrôle des risques supporté par une entité qualifiée de « routinier » (CE 4-10-2021 n° 443130, SAS RKS et CE 4-10-2021 n° 443133, Sté SKF Holding France). En effet, dans deux décisions de 2021, le Conseil d’Etat a censuré une cour administrative d’appel qui s’était bornée à constater que la société n’était pas « l’entrepreneur principal » au sein du groupe alors qu’elle aurait dû rechercher si la position fonctionnelle de la société au sein du groupe lui donnait une quelconque vocation à assumer des « risques spécifiques », soit, au cas d’espèce, les risques stratégiques et les risques opérationnels.

Présentation générale du Guide des prix de transfert à l’usage des PME

La Direction générale des finances publiques a publié un Guide des prix de transfert à l’usage des PME afin de les aider à définir une politique de prix de transfert et à appliquer des prix conformes au principe de pleine concurrence.

Ce guide, dont l’édition 2023 constitue la dernière mise à jour, présente de manière simple et pédagogique les éléments nécessaires à l’établissement et la justification d’une politique de prix, illustrés par de nombreux exemples ( guide prix_transfert_pme.pdf (impots.gouv.fr), édition 2023). Il reprend en substance les nouveaux développements figurant dans la dernière version du Bofip telles que présentés ci-avant.

Une mise à jour qui intervient dans un contexte de « lutte contre les fraudes aux finances publiques »

Il convient de souligner que la mise à jour du Bofip et du Guide des prix de transfert à l’usage des PME intervient dans un contexte plus large de « lutte contre les fraudes aux finances publiques », qui s’est traduit notamment par des mesures incluses dans le Projet de loi de finances pour 2024 et aujourd’hui adoptées.

Ces mesures incluent notamment l’abaissement à 150 millions d’euros de chiffre d’affaires ou d’actif brut au bilan du seuil de l’obligation de tenir à la disposition de l’administration une documentation prix de transfert. De plus, l’opposabilité aux entreprises de la documentation dans laquelle elles présentent leur politique de prix de transfert est renforcée, contraignant les entreprises à se justifier en cas de non-application de la politique documentée (pour plus de détails, voir Elfie Ossard-Quintaine et Nadia Sabin, « Prix de transfert : quand l’administration renforce ses moyens pour contrôler tous les groupes », Option Finance 10-11-2023).

Cette mise à jour s’inscrit également dans un contexte d’intensification des contrôles fiscaux en matière de prix de transfert. Le montant total des rehaussements prix de transfert a dépassé trois milliards d’euros pour l’année 2022, en augmentation de près de 19 % par rapport à 2021.

Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé le 9 mai 2023, par la voix de Gabriel Attal alors ministre délégué chargé des Comptes publics, son intention d’augmenter les effectifs du contrôle fiscal et de la lutte contre la fraude fiscale d’ici à 2027. Sur fond de présentation du plan de lutte contre la fraude fiscale et douanière, il a été annoncé que « les effectifs du contrôle fiscal et de la lutte contre la fraude fiscale seront augmentés de 15 % d’ici la fin du quinquennat, soit 1 500 équivalents temps plein supplémentaires ».

Cette tendance à l’augmentation des moyens alloués aux administrations fiscales est également constatée pour d’autres administrations fiscales, dont l’Internal Revenue Service aux Etats-Unis qui a récemment annoncé l’embauche de près de 20 000 nouveaux employés au cours des deux prochaines années, dans le cadre d’un plan d’investissement de 80 milliards de dollars (U.S. IRS to hire nearly 20,000 staff over two years with $80 billion in new funds | Reuters).

Ce qu'il faut retenir

Ainsi la mise à jour du Bofip et du Guide des prix de transfert à l’usage des PME ne sont pas des actions isolées de l’administration fiscale. Elles s’inscrivent dans le cadre d’un effort concerté de lutte contre les fraudes fiscales. Entre nouvelles règles fiscales, intensification des contrôles fiscaux et renforcement des moyens des administrations fiscales, il est plus que jamais nécessaire pour les entreprises de se tenir informés des évolutions réglementaires et de s’y adapter.

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