En matière de fiscalité des particuliers, la principale mesure consiste en une revalorisation de 4,8 % du barème de l’impôt sur le revenu et de différents seuils et limites liés afin de tenir compte de l’inflation.
En matière de fiscalité des entreprises, le projet comprend, notamment, la transposition de la directive visant à assurer un niveau minimum d’imposition mondial pour les groupes d’entreprises², plus couramment appelée directive « Pilier 2 », et le rallongement du calendrier de suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Dans un souci de favoriser la transition énergétique, le projet prévoit, entre autres, la création d’un crédit d’impôt au titre des investissements en faveur de l’industrie verte et la suppression de niches fiscales « brunes ».
Enfin, le projet inclut également certaines mesures du plan de lutte contre la fraude aux finances publiques comme, par exemple, le renforcement des règles concernant le contrôle des prix de transfert des groupes.
Fiscalité des entreprises
Imposition minimale des grands groupes d’entreprises
Comme attendu, le projet assure la transposition de la directive adoptée afin d’assurer la mise en œuvre dans les Etats membres de l’Union européenne des règles globales anti-érosion de la base d’imposition approuvées le 14 décembre 2021 par le Cadre inclusif de l’OCDE (règles OCDE)³.
De manière simplifiée, ces règles visent à faire en sorte que les groupes d’entreprises dont le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 750 millions d’euros⁴ supportent sur leurs bénéfices un taux d’imposition minimal de 15 % dans chaque juridiction.
Le taux effectif d’imposition devra être calculé, pour chaque exercice et pour chaque juridiction, en faisant le rapport entre la somme des montants corrigés des impôts couverts des entités constitutives situées dans ladite juridiction et le bénéfice qualifié net de celles-ci⁵. En cas d’insuffisance d’imposition constatée dans une juridiction, un impôt complémentaire, calculé sur une assiette correspondant au bénéfice qualifié net du groupe dans ladite juridiction minoré d’une déduction fondée sur la substance⁶, devra être acquitté.
En principe⁷, cet impôt complémentaire devra être versé par l’entité mère ultime du groupe dans son Etat de résidence selon la règle d’inclusion du revenu. A défaut, cet impôt devra être collecté, au prorata, dans les juridictions appliquant ces règles dans lesquelles sont établies les autres entités constitutives du groupe selon la règle des bénéfices insuffisamment imposés. En outre, les juridictions peuvent décider de mettre en place un impôt complémentaire national afin de collecter elle-même cet impôt au titre des entités constitutives établies sur leur territoire.
La transposition envisagée par le projet, qui insère ces règles conséquentes et complexes dans un nouveau chapitre ad hoc créé dans le code général des impôts (CGI)⁸, est fidèle au contenu de la Directive mais reprend certaines précisions apportées par les commentaires et orientations administratives adoptés par le Cadre inclusif postérieurement à l’adoption de la Directive, dont notamment les mesures de sauvegarde « Safe Habours » transitoires publiées par l’OCDE le 20 décembre 2022⁹.
Comme l’autorisent la Directive et les règles OCDE, le projet prévoit en parallèle la création d’un impôt national complémentaire qualifié auquel pourront être assujetties les entités constitutives établies en France.
L’impôt complémentaire, qu’il soit déterminé selon la règle d’inclusion du revenu, selon la règle relative aux bénéfices insuffisamment imposés ou selon les règles de l’impôt national complémentaire qualifié, ne serait pas déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés.
S’agissant des règles de procédure, le projet précise qu’il convient en principe de suivre les règles applicables en matière d’impôt sur les sociétés sous réserve de dérogations particulières. Parmi ces règles spéciales, le délai de reprise de l’administration s’exercerait jusqu’à la fin de la cinquième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due et des pénalités particulières seraient applicables en cas de manquements déclaratifs¹⁰.
Ces règles s’appliqueraient aux exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023, à l’exception de la règle sur les bénéfices insuffisamment imposés qui s’appliquerait, en principe¹¹, aux exercices ouverts à compter du 31 décembre 2024.
Prenant en compte la poursuite des travaux au niveau de l’OCDE, le projet prévoit d’habiliter le gouvernement à compléter ou à préciser les dispositions relatives à la déclaration, au recouvrement, au contrôle et aux sanctions par ordonnance. Le texte renvoie également à un décret le soin de préciser, notamment, le contenu des obligations déclaratives.
Création d’un crédit d’impôt au titre des investissements dans l’industrie verte
Conformément aux annonces faites en mai lors de la présentation du projet de loi relatif à l’industrie verte, le projet prévoit la création d’un crédit d’impôt au titre des investissements dans l’industrie verte (C3IV).
Ce nouveau dispositif concernerait les entreprises qui réaliseraient sur le territoire national des dépenses d’investissement en lien avec des activités contribuant à la production de batteries, de panneaux photovoltaïques, d’éoliennes et de pompes à chaleur¹².
Les dépenses d’investissement prises en compte couvriraient aussi bien les acquisitions d’actifs corporels (terrains et constructions compris) que les acquisitions de droits incorporels nécessaires à l’activité¹³.
Le taux du crédit d’impôt serait fixé à 20 %, porté à 25 % pour les investissements réalisés dans une zone à finalité régionale (ZAFR) ou à 40 % pour ceux effectués dans les régions ultrapériphériques (RUP). Ces différents taux seraient majorés de 10 % pour les moyennes entreprises et de 20 % pour les petites entreprises¹⁴.
Le montant maximal de l’aide serait en principe de 150 millions d’euros par entreprise mais serait rehaussé à, respectivement, 200 millions d’euros ou à 350 millions d’euros pour les investissements réalisés dans des ZAFR ou des RUP.
Le crédit d’impôt, calculé sur la base des dépenses éligibles exposées au titre de chaque exercice, serait imputable sur l’impôt sur les sociétés ou l’impôt sur le revenu, le montant excédant l’impôt dû étant immédiatement restitué au contribuable.
Le bénéfice de ce crédit d’impôt serait conditionné au respect de la réglementation européenne sur les aides d’Etat et à l’obtention préalable d’un agrément de l’administration.
Afin d’éviter le transfert d’activités déjà exercées dans l’Union européenne, cette aide ne pourrait s’appliquer que si l’entreprise n’a pas procédé, au cours des deux exercices précédant le dépôt de l’agrément, à un transfert vers la France d’activités similaires ou identiques depuis un autre Etat membre ou un Etat de l’Espace économique européen. De plus, l’entreprise devrait, notamment, respecter l’ensemble de ses obligations, fiscales, sociales et environnementales, s’engager à exploiter les investissements éligibles pendant cinq ans¹⁵ à compter de leur mise en service et ne pas transférer des actifs ayant bénéficié du crédit d’impôt hors de France au cours des deux exercices suivant leur mise en service.
Ce dispositif serait applicable aux projets agréés jusqu’au 31 décembre 2025 et dont le dépôt de la demande a été effectué à compter du 27 septembre 2023. Toutefois, l’entrée en vigueur du dispositif est subordonnée à sa validation par la Commission européenne.
Renforcement des règles relatives aux prix de transfert
Comme cela avait été annoncé dans le cadre du plan de lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques¹⁶, le projet contient différentes mesures visant à faciliter les contrôles des prix de transfert.
En premier lieu, le seuil de chiffres d’affaires ou de l’actif brut figurant au bilan à partir duquel une société est tenue de présenter à l’administration une documentation complète de la politique de prix de transfert du groupe¹⁷ serait rabaissé de 400 millions à 150 millions d’euros pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024.
En deuxième lieu, le texte envisage de rendre opposable aux entreprises le contenu de leur documentation prix de transfert. A cette fin, les dispositions de l’article 57 du CGI seraient modifiées afin de présumer l’existence d’un transfert de bénéfices à l’étranger en cas d’écart entre le résultat déclaré par la société et le montant qui aurait été atteint si les règles prévues dans sa documentation¹⁸ avaient été respectées. Cette présomption pourrait toutefois être renversée par la société si elle parvient à démontrer, par tout moyen, qu’elle n’a pas procédé à de tels transferts par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente. A défaut de précision, cette nouvelle règle serait applicable aux exercices clos à compter du 31 décembre 2023.
En troisième lieu, le montant minimal de l’amende sanctionnant le défaut de présentation par une entreprise de sa documentation prix de transfert¹⁹ serait relevé de 10 000 euros à 50 000 euros.
Enfin, s’inspirant des préconisations figurant dans les principes OCDE applicables en matière de prix de transfert²⁰, le projet permet à l’administration de rectifier le prix de cession des actifs incorporels difficiles à évaluer²¹ sur la base des résultats postérieurs à l’exercice au cours duquel a eu la transaction, le contribuable pouvant y échapper en invoquant une des quatre situations envisagées par les principes OCDE²² qui sont littéralement reprises dans le texte²³. Par ailleurs, concernant de telles cessions, le délai de reprise de l’administration serait étendu jusqu’à la fin de la sixième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due et l’administration pourrait les contrôler sans que cela ne constitue la réitération d’une vérification de comptabilité.
Modification du calendrier de suppression de la CVAE
La loi de finances pour 2023 avait prévu la suppression sur deux ans de la CVAE dont le montant avait été divisé par deux au titre de l’année 2023 et qui devait intégralement disparaître à compter de l’année 2024²⁴.
Conformément aux annonces du gouvernement, le projet prévoit de reporter l’abrogation de la CVAE en étalant sur quatre ans la suppression du reliquat. Les taux de la CVAE seraient ainsi diminués de 25 % par an entre 2024 et 2026 avant que la contribution ne soit définitivement abrogée en du 2027²⁵.
Le mécanisme de plafonnement en fonction de la valeur ajoutée de la contribution économique territoriale (CET)²⁶ serait également aménagé pour tenir compte de cet étalement de la suppression de la CVAE.
Toutefois, afin de faire un geste immédiat en faveur des PME, le projet prévoit la suppression, dès 2024, de la cotisation minimale de 63 euros à laquelle étaient soumises les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 500 000 euros²⁷.
Mesures diverses
Création d’une taxe sur les bénéfices excédentaires liés à l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance
Une nouvelle contribution à la charge des personnes exploitant des infrastructures de transport de longue distance serait instaurée, à compter du 1er janvier 2024, lorsque, cumulativement, les revenus de l’exploitation encaissés au cours de l’année civile excèdent 120 millions d’euros et le niveau moyen de rentabilité²⁸ de l’exploitant excède 10 %. Selon l’exposé des motifs, cette nouvelle taxe devrait essentiellement concerner les grandes concessions autoroutières et les grands aéroports.
Cette contribution, non déductible de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, serait assise sur la fraction des revenus encaissés au cours de l’année civile qui excède 120 millions d’euros et serait liquidée au taux de 4,6 %.
Taxe sur la valeur ajoutée
Le projet comprend plusieurs mesures visant à lutter contre la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée.
Tout d’abord, les « dropshippers », c’est-à-dire les opérateurs achetant des biens situés en dehors de l’Union européenne et les revendant en ligne en France sans jamais en disposer physiquement, seraient redevables de la TVA à l’importation sur les ventes à distance de biens importés sauf à ce qu’ils s’assurent que la TVA est bien perçue sur l’intégralité du prix du bien lors de l’importation.
Par ailleurs, de nouvelles cessions de certificats de garanties d’origine et de certificats prévus par le code de l’énergie seraient soumises au mécanisme d’autoliquidation de la TVA²⁹.
Enfin, une procédure de mise en conformité fiscale serait introduite pour inciter les assujettis fournissant des services par voie électronique par l’intermédiaire d’une interface en ligne à respecter leurs obligations en matière de TVA, la sanction pouvant aller jusqu’au déréférencement ou à la restriction d’accès.
Le projet prévoit aussi, pour les assujettis non établis dans l’Union européenne devant satisfaire à des obligations déclaratives en France, de remplacer l’accréditation d’un représentant par un dispositif simplifié se limitant à la désignation d’un mandataire lorsque ces assujettis réalisent en France uniquement certaines opérations particulières ne se traduisant par aucun paiement effectif de TVA.
Enfin, le projet transpose la directive TVA du 18 février 2020 concernant le régime particulier des petites entreprises³⁰ afin de permettre aux entreprises établies dans un Etat de l’Union européenne de bénéficier du régime de la franchise en base dans l’ensemble des Etats membres lorsqu’elles réalisent un chiffre d’affaires inférieur à 100 000 euros sur l’ensemble du territoire européen. Afin d’assurer la conformité du droit interne aux modifications résultant de cette Directive, le seuil maximum de chiffre d’affaires permettant de bénéficier du régime de la franchise en base³¹ serait rabaissé à 85 000 euros (au lieu de 91 900 euros).