Les principales mesures de la réforme des retraites du 14 avril 2023 intéressant les employeurs
La loi de financement rectificative de la sécurité sociale (LFRSS) pour 2023 qui comporte l’essentiel de la réforme des retraites, a été adoptée in fine en commission mixte paritaire le 16 mars 2023 (voir notre article publié au lendemain de l’annonce du texte initial en janvier dernier).
Le même jour le Gouvernement a été autorisé par le Conseil des ministres à engager sa responsabilité pour faire adopter le texte sans vote, en application de l’article 49.3 de la Constitution. Les motions de censure déposées contre le texte ayant été rejetées, le texte est devenu définitif.
La décision attendue du Conseil constitutionnel du 14 avril 2023 a permis de mettre enfin la touche « presque » finale au texte : la plupart des mesures ont été validées mais une trentaine de décrets seront nécessaires pour permettre l’application de certaines mesures. Deux projets de décrets viennent ainsi d’être rendus publics portant notamment sur l’âge d’ouverture des droits par génération et sur les dispositifs de départs anticipés pour carrières longues et retraite anticipée : nous vous tiendrons informés de l’évolution de ces textes.
En attendant, nous avons sélectionné les mesures de la loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 intéressant plus particulièrement les entreprises.
Les conséquences à identifier du relèvement de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans
L’article 10 de la loi prévoit qu’à compter du 1er septembre 2023, l’âge légal de départ à la retraite serait progressivement relevé à raison de trois mois par année de naissance. Il sera donc fixé à 63 ans et 3 mois en 2027, puis à 64 ans en 2030. Peu de modifications ont été apportées durant les débats sur cette mesure phare présente dès le projet de texte initial.
La durée d’assurance pour bénéficier d’une retraite à taux plein est fixée à 43 annuités (172 trimestres) à l’horizon 2027 (et non plus 2035) : il s’agit là d’une accélération de la réforme Touraine de 2014.
Enfin l’âge pour bénéficier d’une pension de retraite à taux plein sans condition de trimestre reste fixé à 67 ans.
Cette première série de mesures devrait, en principe, repousser les départs en retraite de salariés et donc modifier les projections d’évolution de la population salariée dans les entreprises.
Pour autant, tous les secteurs et tous les employeurs ne seront pas impactés de la même manière. Ainsi par exemple, une entreprise qui emploie majoritairement des cadres diplômés Bac+5 ne devrait connaître que peu d’évolutions de ce point de vue : ces salariés étant entrés dans la vie active après l’âge de 22 ans auraient, en tout état de cause, dû atteindre au moins 64 ans pour valider le nombre de trimestres requis.
De plus, les situations particulières de départs anticipés à partir de 62 ans, pour carrières longues¹, raisons de santé, handicap ou incapacité², mentionnées dans notre précédent article, ont été assouplies. Les départs dans ce cadre pourraient, dans certains cas, compenser les situations de maintien prolongé dans l’emploi.
L’impact réel pour chaque entreprise est donc délicat à évaluer et une analyse fine de la population (âge, ancienneté, fonctions, pénibilité des tâches, taux d’accidents et maladies professionnels, politique interne sur la santé, politique de recrutement, etc.) est nécessaire pour parfaire une gestion adaptée des emplois à moyen et long terme.
Des surcoûts à anticiper
Pour prendre en compte l’objectif d’amélioration de l’embauche et du maintien en activité des salariés âgés, l’article 2 du projet de loi instaurait un « index seniors » avec des indicateurs fixés par décret et adaptés par branche professionnelle.
Visant le même objectif d’augmentation du taux d’emploi des seniors (relativement faible taux d’emploi des 55-64 ans en France, à 56% selon la DARES, alors que la moyenne au sein de l’Union Européenne est de 60,5%), le Sénat avait proposé la création d’un CDI de fin de carrière.
Ces dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel car non compatibles avec le format particulier d’une loi de finances. Elles pourraient être réintroduites dans un projet de loi à venir dans un calendrier proche au regard de la nécessité pour ce taux d’emploi d’augmenter à brève échéance.
- Surcoût pour les ruptures conventionnelles homologuées
En revanche, pour limiter le recours aux ruptures conventionnelles homologuées (RCH) dans les années précédant l’âge de départ en retraite, l’article 4 de la loi créé une contribution patronale au taux unique de 30% applicable aux indemnités de rupture conventionnelle quel que soit l’âge du salarié et aux indemnités de mise à la retraite d’office. L’article a été adopté sans modification par le Sénat puis la CMP. Il a toutefois été précisé que ce dispositif s’applique aux indemnités versées à l’occasion des ruptures de contrat de travail intervenant à compter du 1er septembre 2023.
L’indemnité de rupture versée au salarié en droit de bénéficier d’une pension de retraite jusqu’alors soumise à cotisation pourra désormais bénéficier du même régime d’exonération que les autres indemnités de rupture. En revanche, elle reste soumise à l’impôt sur le revenu.
Cette disposition génère un surcoût non négligeable en cas de rupture conventionnelle homologuée (« RCH »). En effet, pour les salariés qui n’étaient pas en âge de bénéficier d’une pension de retraite, l’indemnité de RCH était exonérée de cotisations et de CSG-CRDS dans certaines limites mais soumise au forfait social au taux de 20% calculé sur le montant exonéré. Ce forfait est dorénavant porté à 30 % pour la part exonérée de cotisations.
Des dispositifs de gestion des seniors amenagés
- Aménagement du dispositif de retraite progressive
En matière de transition pré-retraite, le dispositif de retraite progressive qui permet de réduire son activité professionnelle dans les deux années qui précèdent l’âge de la retraite, tout en percevant une partie de sa pension de retraite, est aménagé. Il sera désormais accessible plus facilement à tous les salariés quelle que soit la durée du travail (forfaits-jours, VRP, rémunérés à la tâche, etc.) qui s’applique à eux, sur simple demande à l’employeur. Les possibilités de refus par l’employeur sont limitées aux situations où la réduction du temps de travail est incompatible avec l’activité économique de l’entreprise³.
- Adaptation des dispositifs de cumul emploi-retraite
Le cumul emploi-retraite permet de cumuler totalement une pension de retraite avec des revenus d’activités, sous certaines conditions : rompre tout lien professionnel avec sonemployeur, bénéficier du taux plein et avoir liquidé la totalité de ses pensions de vieillesse de base et complémentaire. Lorsque toutes les conditions ne sont pas réunies, le cumul est partiel.
Le cumul emploi-retraite total permettra dorénavant de créer des droits supplémentaires - ce qui n’était pas le cas jusqu’alors - à une nouvelle retraite de base dont le montant sera plafonné et déconnecté de la première pension. Un délai de carence de six mois sera toutefois appliqué aux salariés reprenant une activité auprès de leur dernier employeur. La fin de la période de cumul emploi-retraite et la liquidation de cette nouvelle retraite n’ouvre pas droit à une nouvelle indemnité de départ ou de mise à la retraite.
De plus, le dispositif de cumul emploi-retraite plafonné serait assoupli dans certains secteurs dans le cadre de décrets à venir.
En revanche, le « plan d’épargne couple solidaire » alimenté par les membres d’un couple (mariés ou pacsés) à hauteur de leurs moyens et dont les sommes épargnées devaient être réparties lors de la liquidation de manière inversement proportionnelle aux versements effectués, qui avait été proposé par le Sénat, n’a pas été retenu dans la dernière version du projet de loi.
In fine quel plan d’actions adopter ?
Les employeurs doivent d’abord cartographier et analyser les mesures qu’ils ont pu mettre en place au sein de l’entreprise dans le cadre d’accords collectifs intergénérationnels, de gestion des parcours professionnels ou autres, pour s’assurer de leur adéquation avec les nouveaux textes issus de la réforme.
Mais l’ensemble des politiques RH internes est sans doute également à relire dans ces nouvelles perspectives :
- politique de recrutement : quelle place est laissée à l’emploi de salariés plus âgés ?
- politique de lutte contre les discriminations : quelles mesures ou modes d’organisation peuvent permettre d’éviter d’écarter les salariés plus âgés ?
- gestion des carrières : quel rôle est donné aux salariés expérimentés dans la formation et la transmission des savoir-faire, des savoir-être et de la culture d’entreprise ?
- politique de formation : quelles formations sont adaptées aux profils seniors en matière de reconversion si nécessaire ? Comment sont préparées les fins de carrière ?
- organisation du travail : accepte-t-on au sein de l’entreprise aussi facilement des aménagements du temps de travail pour les 45 ans et plus aidants leurs parents, que pour les jeunes parents en charge de jeunes enfants ?
- politique de santé et sécurité : existe-t-il des mesures adaptées aux difficultés liées à la santé que peuvent rencontrer les salariés plus âgés ?
Le choix des mesures qui devront être modifiées ou mises en place dépend de l’analyse de l’existant, mais aussi de l’activité, des orientations stratégiques et des perspectives de l’entreprise … et bien sûr des besoins qui en découlent.