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Contrôle des concentrations : l’article 22 et les autres situations de contrôle « sous les seuils »

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En droit de la concurrence, de nouveaux mécanismes de contrôle des concentrations émergent. Retrouvez nos explications.


En droit de la concurrence, au-delà du contrôle des concentrations dépassant les seuils nationaux ou européens, d’autres situations sont à envisager :

  • L’article 22 du règlement concentrations ;
  • L’abus de position dominante ;
  • Le contrôle au titre du règlement relatif aux subventions étrangères.

Par un simple changement de pratique, annoncé en septembre 2020 et consacré en mars 2021, la Commission a étendu son contrôle des concentrations à des opérations passant à la fois sous les seuils européens et sous les seuils nationaux. Les cas de mise en œuvre de l’article 22 du règlement “concentrations”¹ commencent à se développer, ce qui impose aux entreprises d’en connaître le régime. Mais cette disposition n’est pas le seul fondement juridique permettant un contrôle des concentrations « sous les seuils ».

L’article 22 du règlement “concentrations”

Une opération de concentration correspond juridiquement à un changement durable dans le contrôle d’une entreprise, notamment par voie de cession d’actions ou de fonds de commerce, d’octroi d’un droit de véto minoritaire sur les décisions stratégiques, de fusion, ou de création d’une entreprise commune économiquement autonome².

 

Ces opérations sont soumises à un contrôle des autorités de concurrence, afin d’évaluer leurs impacts sur la concurrence, notamment au regard de l’accroissement des pouvoirs de marché qui en résulte. Ce contrôle s’opère généralement via une demande d’autorisation préalable³. Le fait de ne pas respecter cette procédure en commençant directement ou indirectement à mettre en œuvre l’opération, avant d’avoir obtenu le feu vert des autorités compétentes, est sévèrement sanctionné⁴.

 

Dans l’Union européenne, les concentrations les plus importantes sont autorisées par la Commission européenne⁵ et les opérations de moindre ampleur sont généralement soumises à une ou plusieurs autorités nationales, lorsque leurs seuils nationaux de contrôle sont franchis⁶. Ces seuils sont fixés principalement au regard des chiffres d’affaires des parties, et/ou parfois en fonction de leurs parts de marché⁷.

 

L’article 22 du règlement concentrations⁸ prévoit toutefois qu’un ou plusieurs Etats membres peuvent demander à la Commission d’examiner toute concentration qui n’atteint pas les seuils européens mais qui affecte le commerce entre Etats membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des Etats membres qui formulent cette demande.

 

Ce texte n’indique pas précisément si un Etat membre peut faire cette demande d’examen à la Commission alors même que ses seuils de contrôle nationaux ne sont pas atteints. C’est sur ce point que la pratique de la Commission a changé.

 

Dans un discours du 11 septembre 2020 devant l’International Bar Association⁹, Margrethe Vestager, Commissaire à la Concurrence et Vice présidente de la Commission, a annoncé : “And in recent years, the Commission has had a practice of discouraging national authorities from referring cases to us which they didn’t have the power to review themselves…. the time has come to change our approach. We plan to start accepting referrals from national competition authorities of mergers that are worth reviewing at the EU level – whether or not those authorities had the power to review the case themselves.”

Les autorités nationales de concurrence des Etats membres de l’Union européenne peuvent donc dorénavant demander à la Commission de se saisir de concentrations qui n’atteignent ni les seuils européens, ni leurs propres seuils nationaux.

Les entreprises ou les secteurs potentiellement concernés

Ce changement de pratique a été consolidé par une communication de la Commission du 26 mars 2021¹⁰ sur l’application de l’article 22 du règlement concentrations. Pour justifier cette extension de son champ de contrôle, la Commission souligne dans ce document que des opérations passant sous les seuils nationaux et européens sont parfois susceptibles d’avoir un effet significatif sur le marché de l’Union, même si les parties ne réalisent pas ou peu de chiffres d’affaires sur le territoire européen au moment de la concentration. Elle prend à cet égard pour exemples le secteur de l’économie digitale et celui des médicaments. Mais elle précise aussi que des considérations similaires peuvent plus largement s’appliquer aux entreprises qui ont un accès ou un impact sur des actifs ayant une valeur concurrentielle, tels que les matières premières, la propriété intellectuelle, les données ou les infrastructures¹¹ et que l’article 22 s’appliquera notamment lorsque, pour au moins l’une des parties, le chiffre d’affaires ne reflète pas son potentiel concurrentiel réel ou futur, par exemple au regard de sa capacité d’innovation ou de la fourniture de produits ou de services qui constituent des intrants ou composants clés pour certains secteurs¹². Cette communication de la Commission insiste enfin sur le fait que l’application de l’article 22 n’est limitée à aucun secteur économique¹³.

La mise en œuvre de l’article 22 n’est donc pas limitée au killer acquisitions ou aux secteurs de l’économie digitale ou des médicaments.

De nouveaux cas de mise en œuvre de l’article 22

Comme souvent, c’est l’Autorité française de la concurrence (ensuite suivie sur ce dossier par les autorités de concurrence de cinq autres Etats membres) qui a été pionnière sur ce sujet, en transmettant le 9 mars 2021 à la Commission la première demande de mise en œuvre de l’article 22 du règlement concentrations. Dans l’affaire Illumina/Grail, la société américaine Illumina a pris le contrôle de Grail, entreprise innovante intervenant dans l’élaboration d’un test sanguin de dépistage du cancer fondé sur la technologie du séquençage génomique.

Les parties ont contesté la possibilité de mise en œuvre de l’article 22 et refusé de suspendre l’opération, ce qui a notamment conduit, le 13 Juillet 2022, le Tribunal de l’Union européenne (TUE) à confirmer la possibilité d’application de l’article 22 sous les seuils nationaux¹⁴ et, un an plus tard, le 12 juillet 2023, la Commission européenne à sanctionner l’entreprise américaine Illumina à hauteur de 432 millions d’euros¹⁵, soit 10% du chiffre d’affaires du groupe, (et symboliquement Grail à hauteur de 1.000 euros¹⁶) pour gun jumping.

Le 18 août 2023, la Commission a ouvert une procédure d’examen du rachat de la société israélienne Autotalks par la société américaine Qualcomm, dans le secteur des technologies de communication, notamment dans l’industrie automobile et les infrastructures routières, pour l’échange d’informations des véhicules entre eux et avec leur environnement¹⁷. Ce dossier n’a pas été identifié par un ou plusieurs Etats membres mais directement par la Commission. L’article 22 lui permet en effet d’informer un ou plusieurs Etats membres qu’elle considère qu’une concentration peut faire l’objet d’une demande d’examen sur le fondement de cet article. La Commission a ici informé tous les Etats Membres et quinze d’entre eux, dont la France, ont activé l’article 22. Selon l’Autorité de la concurrence, Autotalks est « une entreprise innovante décrite comme pionnier dans son domaine, dont le chiffre d’affaires ne reflète pas son potentiel concurrentiel actuel ou futur. En outre, la valeur de l’opération rapportée au chiffre d’affaires limité de la cible est de nature à démontrer les perspectives importantes de développement que Qualcomm anticipe pour les technologies en cause ». Au terme de sa première analyse la conduisant à saisir la Commission, l’Autorité de la concurrence considère que « l’opération accroîtrait sensiblement le pouvoir de marché de Qualcomm et pourrait notamment conduire à une augmentation sensible des prix dans les secteurs en cause, mais également à des conséquences en matière d’innovation. ».

Le 21 août 2023, à la demande de trois Etats membres et d’un Etat de l’EEE¹⁸, la Commission a également ouvert une procédure d’examen du rachat de l’activité européenne de négoce et de compensation d’électricité de Nasdaq (Nasdaq Power) par la Bourse européenne de l’énergie de Deutsche Boerse (EEX)¹⁹. Selon la Commission, cette opération répond aux critères d’application de l’article 22 en particulier car elle semble conduire au regroupement des deux seuls fournisseurs de services de négociation en bourse et la compensation ultérieure des contrats énergétiques dans les pays scandinaves. Ces services sont considérés comme essentiels pour la stabilité et la prévisibilité des prix de l’énergie au bénéfice des consommateurs et des entreprises.

Les affaires précitées ne couvrent pas toutes les applications de l’article 22 mais uniquement celles pour lesquelles la Commission a accepté d’examiner un dossier à la demande d’Etats membres dont les seuils de contrôle nationaux n’étaient pas dépassés. En effet, la Commission peut aussi examiner des concentrations sur le fondement de l’article 22 par exemple, lorsque seuls les seuils d’un ou deux Etats membres sont dépassés. Il est intéressant de noter que dans ce cas, la Commission prend également en compte la saisine des autres Etats dont les seuils ne sont pas franchis. Ainsi, le 15 février 2023, à la demande de seize Etats membres dont la France, la Commission a accepté d’examiner l’acquisition de Figma par Adobe²⁰ sur le marché des logiciels de création interactive de produits et outils logiciels de tableaux blancs. Cette opération avait été notifiée en Allemagne et en Autriche et l’article 22 a donc permis un examen plus large par la Commission des impacts de l’opération sur le marché de l’Union et des autres Etats membres, dont la France, dont les seuils n’étaient pas atteints.

La combinaison des critères dégagés par la Commission et des cas d’utilisation ci-dessus permet ainsi de mieux cerner le risque d’application de l’article 22 lorsqu’une opération de concentration se trouve sous les seuils européens et nationaux.

Les autres cas de contrôle des concentrations « sous les seuils »²¹

Les développements récents de la jurisprudence et de la réglementation de l’Union européenne ont fait naître deux nouveaux risques de contrôle et de sanction associés aux opérations de concentrations.

La concentration contrôlée en tant qu’abus de position dominante. Depuis l’adoption du premier règlement concentrations du 21 décembre 1989²², il était communément admis que le contrôle des concentrations relevait de ce seul règlement et de ceux qui lui succédaient²³. L’Autorité de la concurrence française avait donc rejeté la plainte de la société Towercast à l’encontre de TDF à l’occasion de l’acquisition par TDF de son concurrent Itas. Towercast a alors saisi la Cour d’appel de Paris qui a elle-même saisi la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE)  d’une question préjudicielle. Par un arrêt du 16 mars 2023²⁴, la CJUE a décidé qu’une opération qui n’excède pas les seuils de contrôle fixés par le règlement concentrations, peut être sanctionnée en tant qu’abus de position dominante, sur le fondement direct de l’article 102 du TFUE. La Cour précise à cet égard que « le seul constat du renforcement de la position d’une entreprise ne suffit pas pour retenir la qualification d’un abus, puisqu’il faut établir que le degré de domination ainsi atteint entraverait substantiellement la concurrence ». Les entreprises en situation de position dominante sur un marché et qui projettent une opération qui n’excèdent pas les seuils de contrôle des concentrations²⁵ doivent donc vérifier que cette opération ne constitue pas un abus.

La concentration contrôlée en cas de subventions étrangères. Le règlement du 14 décembre 2022 relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur²⁶ crée également un nouveau cas de contrôle des concentrations éventuellement applicable alors que les seuils nationaux ou européens ne seraient pas atteints (il s’agira, finalement, d’un cas de notification additionnelle lorsqu’ils sont atteints)²⁷. En application de ce texte, une concentration doit être notifiée à la Commission lorsque la cible ou une des parties à la fusion ou l’entreprise commune est établie dans l’Union et réalise un chiffre d’affaires d’au moins 500 millions d’euros dans l’Union et lorsque les parties ont reçu des contributions financières de pays tiers, directes ou indirectes, de plus de 50 millions d’euros durant les 3 dernières années²⁸ précédant l’accord. Mais la Commission peut ordonner qu’une opération lui soit notifiée sur le fondement de ce texte même si ces seuils spécifiques ne sont pas dépassés « si elle soupçonne que des subventions étrangères ont pu être octroyées aux entreprises concernées²⁹ ». Les entreprises ou groupes qui reçoivent des contributions financières d’Etats non-membres de l’Union européenne doivent donc anticiper la possibilité d’un contrôle de leurs opérations de concentration même si ces opérations n’excèdent pas les seuils de notification.

Ainsi, le contrôle des concentrations, au titre du droit de la concurrence, ne se limite pas à l’atteinte des seuils nationaux ou européens. D’autres situations doivent être envisagées par les entreprises : à ce jour, le contrôle sur le fondement de l’article 22 du règlement concentrations, le risque d’abus de position dominante et le risque associé aux subventions étrangères. Et, peut-être, d’autres situations à venir…

Ce qu'il faut retenir

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