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La prochaine transposition de la directive « Fusions-Scissions-Transformations » transfrontalières – Episode 2 : Quel contrôle de légalité ?

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Comme nous l’indiquions dans notre précédent article¹, la directive (UE) 2019/2121 du 27 novembre 2019, modifiant la directive (UE) 2017/1132² (ci-après, la « Directive » ou la « Directive modifiée »), est venue harmoniser et sécuriser juridiquement le cadre des opérations de fusion, scission et transformation transfrontalières.

L’harmonisation des règles relatives à ces opérations transfrontalières, avec un renforcement de cette harmonisation en matière de fusions transfrontalières (lesquelles bénéficiaient déjà d’un régime juridique propre¹), était attendue. Cette directive a, en effet, notamment pour objet de faciliter la mobilité des sociétés au sein de l’Union européenne (ci-après « UE ») qui, bien que consacrée par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE ») sur la base du principe de la liberté d’établissement², ne faisait jusqu’à présent pas l’objet de règles harmonisées, à l’exception de celles applicables aux sociétés européennes (SE)³.

Toutefois, compte tenu des enjeux en cause, les institutions européennes ont introduit une procédure poussée de contrôle de légalité des opérations transfrontalières ainsi que des mécanismes protecteurs des intérêts des parties prenantes. Nous détaillerons, dans ce deuxième « épisode », la procédure de contrôle de légalité ; la protection des parties prenantes fera ainsi l’objet d’un troisième « épisode ».

Il convient d’ores et déjà de souligner que la procédure de contrôle de légalité risque d’allonger les délais de réalisation des opérations transfrontalières sachant que les fusions transfrontalières, déjà encadrées, seront également impactées par ce nouveau dispositif. En effet, précisons que les dispositions relatives au dispositif de contrôle offrent un socle commun aux trois types d’opérations transfrontalières visées par la directive (UE) 2019/2121, avec toutefois certaines spécificités selon l’opération envisagée.

1. Le contrôle préalable de légalité par l’Etat membre d’origine⁴ ou par l’Etat membre dont relève la société absorbée ou scindée

L’autorité compétente :

Les Etats membres devront désigner l’autorité compétente⁵ (tribunal, notaire ou autre autorité compétente comme par exemple, une autorité fiscale ou une autorité responsable des services financiers comme le mentionne le considérant 34 de la directive (UE) 2019/2121) qui contrôlera la légalité de l’opération transfrontalière, et délivrera ainsi un certificat préalable à l’opération attestant du respect des procédures et formalités nationales par la société transformée, absorbée ou scindée⁶.

A cet égard, précisons que l’habilitation en faveur du Gouvernement, prévue par le projet de loi DDADUE⁷ aux fins de transposition de la directive (UE) 2019/2121, mentionne d’ores et déjà que l’autorité compétente chargée du contrôle préalable sera le greffier du tribunal de commerce. En effet, le Sénat a souhaité, dans le cadre de l’examen du texte en première lecture, limiter le champ de l’habilitation en y insérant cette précision. Saisie de la question dans le cadre des travaux parlementaires, la Commission des lois du Sénat⁸ a considéré qu’il serait pertinent que « le contrôle préalable à l’opération transfrontalière soit effectué par un seul acteur. […] en droit interne, ce contrôle est déjà confié au greffier du tribunal de commerce dans le ressort duquel est immatriculée la société participant à l’opération. En outre, les greffiers des tribunaux de commerce, en leur qualité d’officiers ministériels, assurent une police juridique et économique des actes des sociétés. Cette compétence semble particulièrement utile à l’aune du renforcement du contrôle de légalité des opérations transfrontalières prévu par la directive. ».

Le Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris (ci-après « HCJP »), ayant précédemment émis un rapport sur la transposition de la directive (UE) 2019/2121⁹, avait également suggéré que la compétence soit octroyée à un seul acteur « afin de développer une cohérence des pratiques ». Le HCJP envisageait, en outre, que soit adjoint un droit d’opposition du Procureur de la République à la compétence de contrôle de l’autorité désignée. Il conviendra d’attendre l’ordonnance de transposition pour voir si cette option est retenue.

Missions et pouvoirs de l’autorité compétente :

L’autorité compétente devra opérer tant un contrôle formel qu’un contrôle anti-fraude et anti-abus.

En effet, d’une part, elle devra examiner un certain nombre d’éléments figurant au dossier de demande tels que¹⁰ :

  • le projet de l’opération transfrontalière en vérifiant que celui-ci contient bien toutes les informations nécessaires ;
  • le rapport de l’organe de direction ou d’administration ;
  • le rapport de l’expert indépendant sur la soulte en espèces à attribuer aux associés exerçant leur droit de sortie¹¹ ;
  • l’avis des représentants des salariés ou des salariés eux-mêmes sur l’opération ;
  • le cas échéant, l’indication par la société de la mise en place de la procédure de création d’un groupe spécial de négociation dans le cadre de la participation des salariés ;
  • toutes observations apportées par les parties prenantes ; et
  • toutes informations sur l’approbation de l’opération par l’assemblée générale.

D’autre part, outre le contrôle du contenu du dossier, l’autorité compétente sera dotée du pouvoir de bloquer une opération transfrontalière « s’il est déterminé, conformément au droit national, que [l’opération] est réalisée à des fins abusives ou frauduleuses menant ou visant à se soustraire au droit de l’Union ou au droit national ou à le contourner, ou à des fins criminelles. »¹².

Les Etats membres devront fixer les modalités pratiques de ce contrôle anti-fraude et anti-abus. La Directive modifiée indique, qu’en cas de soupçons, l’autorité compétente devra tenir compte « des faits et des circonstances pertinents, tels que, le cas échéant et sans les considérer isolément, les facteurs indicatifs dont l’autorité compétente a pris connaissance¹³ au cours de [son contrôle], notamment lors de la consultation des autorités pertinentes.¹⁴». La Directive modifiée prévoit, en effet, que l’autorité compétente puisse consulter d’autres autorités qui « sont qualifiées dans les différents domaines concernés »¹⁵par l’opération transfrontalière en cause et notamment les autorités de l’Etat membre de destination (ou de l’Etat membre dont relève la société absorbante ou les sociétés bénéficiaires en cas de fusion ou de scission). Par ailleurs, l’autorité compétente pourra avoir recours à un expert indépendant dans le cadre de son évaluation.

Toutefois, il convient de relever que les notions de fraude et d’abus ne sont pas strictement définies. Le considérant 35 de la directive (UE) 2019/2121 apporte certaines précisions : l’opération transfrontalière ne peut notamment pas conduire au contournement des droits des travailleurs, du paiement des cotisations de sécurité sociale ou des obligations fiscales. Il s’agit notamment d’empêcher la création de sociétés-écrans ou de boîtes aux lettres¹⁶. A contrario, comme le mentionne le considérant 36, « L’autorité compétente peut considérer le fait que l’opération transfrontalière ait pour conséquence que la direction effective ou l’activité économique sera implantée dans l’Etat membre où la ou les sociétés doivent être immatriculées après l’opération transfrontalière comme une indication d’absence d’abus ou de fraude. ».

La généralité de ces notions ne favorise pas la sécurité juridique. Le HCJP, dans son rapport précité, affirmait – en reprenant les illustrations du considérant 35 de la directive (UE) 2019/2121 – qu’« il pourrait être envisagé de viser explicitement, outre les fins criminelles, la recherche du contournement des droits des travailleurs, créanciers ou associés ou du paiement des obligations de sécurité sociale ou obligations fiscales. […]. ». Il relevait tout de même que « toute précision sur l’objet du contrôle s’éloignerait nécessairement de la généralité voulue par la Directive ».

Lors de la première lecture du projet de loi DDADUE, la Commission des lois du Sénat précisait que « Les échanges avec le Gouvernement ont mis en exergue sa volonté de transposer fidèlement la directive s’agissant des dispositions relatives au contrôle préalable de légalité. ». Néanmoins, elle notait que : « en droit interne, les notions de fraude ou d’abus sont communes aux différentes branches du droit et ne connaissent pas de définitions précises mais plutôt des précisions jurisprudentielles. Il s’agit toujours, pour chaque domaine du droit, d’une approche casuistique. ». Elle relevait également que le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC) souhaitait « disposer d’une définition précise des notions d’abus et de fraude dans l’objectif de pouvoir affiner leur contrôle de légalité […] ». Pour autant, le rapporteur de la commission n’a pas estimé utile que soit prévue une définition de ces notions car des lignes directrices seraient élaborées « afin de permettre aux greffiers des tribunaux de commerce de disposer d’un référentiel commun pour la réalisation de leur contrôle de légalité ».

En tout état de cause, au regard de l’étendue du contrôle à mener, l’évaluation préalable effectuée par l’autorité compétente de l’Etat membre d’origine ou de l’Etat membre dont relève la société absorbée ou scindée, pourrait s’avérer longue.

Durée du contrôle préalable¹ :

A cet égard, la Directive modifiée fixe un délai : le contrôle devra être réalisé dans un délai de trois mois à compter de la date de réception du dossier. Cependant, un délai supplémentaire approprié, à déterminer par chaque Etat membre, pourra être accordé aux sociétés pour régularisation lorsque toutes les conditions applicables ou les formalités préalables nécessaires n’auront pas été accomplies.

En outre, la Directive modifiée prévoit un délai supplémentaire de trois mois qui s’ajoute au délai susvisé de trois mois lorsque l’autorité compétente doit tenir compte d’informations supplémentaires ou mener des activités d’enquête supplémentaires à raison d’un soupçon sérieux de réalisation d’une opération transfrontalière à des fins abusives ou frauduleuses.

De surcroît, la Directive envisage un possible dépassement de ces délais si, « en raison de la complexité de la procédure transfrontalière, il n’est pas possible de réaliser l’évaluation dans les délais prévus […] ». Les Etats membres devront alors veiller à ce que le demandeur soit informé des raisons du retard avant l’expiration de ces délais.

En conséquence, au regard de la durée du contrôle préalable et de son champ d’application élargi, il conviendrait que les sociétés concernées détaillent et justifient au mieux les objectifs de leur projet d’opération transfrontalière.

A noter qu’en cas de contentieux relatif au certificat préalable à l’opération transfrontalière, il se pourrait qu’une compétence exclusive soit confiée à la Cour d’appel de Paris comme l’a précisé la Commission des lois du Sénat dans le cadre des travaux parlementaires.

Enfin, lorsque le certificat préalable sera émis, celui-ci sera transmis à l’autorité compétente de l’Etat membre de destination¹⁸au moyen d’un système d’interconnexion des registres¹⁹. Cette dématérialisation devrait ainsi faciliter et accélérer certaines étapes de la procédure de contrôle.

2. Contrôle de la légalité de l’opération transfrontalière par l’Etat membre de destination²⁰ou par l’Etat membre dont relève la société absorbante ou bénéficiaire

S’agissant des transformations et scissions transfrontalières, l’autorité compétente de l’Etat membre de destination (en cas de transformation transfrontalière) ou de la société bénéficiaire (en cas de scission transfrontalière) devra vérifier le respect des dispositions nationales en matière d’immatriculation et de constitution de sociétés et, le cas échéant, le respect des modalités relatives à la participation des salariés²¹.

S’agissant des fusions transfrontalières, comme c’est déjà le cas, l’autorité compétente de l’Etat membre dans lequel la société absorbante est immatriculée contrôlera la légalité de la fusion pour la partie de la procédure relative à la réalisation de celle-ci.

En particulier, l’autorité compétente devra se voir remettre le projet de traité sur l’opération transfrontalière tel qu’approuvé par l’assemblée générale²². Par ailleurs, le certificat préalable devra être accepté par l’autorité comme « preuve concluante de l’accomplissement correct des procédures et formalités préalables ». L’autorité compétente approuvera, ensuite, l’opération transfrontalière dès qu’elle aura déterminé que les conditions requises sont remplies.

Il convient de souligner que si la Directive modifiée laisse le soin aux Etats membres de fixer la date de prise d’effet de l’opération transfrontalière, celle-ci ne pourra être, en tout état de cause, que postérieure aux contrôles de légalité des autorités compétentes des Etats membres concernés par l’opération²³.

Au-delà du contrôle préalable renforcé, le législateur européen a également souhaité mettre en place des règles permettant de préserver les intérêts des différentes parties prenantes à l’opération. Plus de détails, dans le prochain épisode !

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