5 min de temps de lecture 30 nov. 2023
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Nullité d’une cession de droits sociaux : nullité des assemblées ?

Par Christine Rocha

Avocat, Senior Manager – Business Law, France – Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

Christine Rocha est en charge de la doctrine, de la capitalisation des savoirs et de leur partage auprès des équipes en droit des affaires.

5 min de temps de lecture 30 nov. 2023
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Les assemblées auxquelles ont participé des associés réputés ne jamais avoir eu cette qualité sont-elles nulles ? Réponse dans un arrêt rendu le 11 octobre 2023.

En résumé :

  • Sont irrégulières les décisions collectives auxquelles ont participé des associés réputés ne jamais avoir eu cette qualité suite à l’annulation d’une cession de parts sociales ;
  • La nullité des décisions collectives sera prononcée si cette irrégularité est de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

L’arrêt rendu par la Cour de cassation, le 11 octobre 2023¹, concerne les effets collatéraux de la nullité d'une cession de droits sociaux qui induit, pour le cessionnaire, la perte rétroactive de la qualité d’associé et, pour le cédant, sa réintégration en qualité d’associé. Plus précisément, cet arrêt illustre les conséquences d’une telle annulation sur la validité des décisions collectives des associés prises entre la date de la cession litigieuse et le prononcé de sa nullité. 

Au cas d’espèce, en 1998, une associée a cédé les parts qu'elle détenait dans le capital social d’une SARL lesquelles représentaient la moitié du capital. Après son décès intervenu douze ans plus tard, ses héritiers ont contesté ladite cession en faisant valoir que l'acte constituait un faux. Ils ont ainsi assigné les cessionnaires en annulation de la cession, en réintégration des parts sociales à l’actif successoral du défunt et en annulation des assemblées qui s’étaient tenues avec les cessionnaires en tant qu’associés. La Cour d’appel a fait droit aux demandes des héritiers en considérant que le point de départ de la prescription de l’action se situait au plus tôt à la date du décès de leur mère² et a jugé que les assemblées qui s’étaient tenues depuis le 31 mai 2010³ étaient nulles.

C’est dans ce contexte que la chambre commerciale de la Cour de cassation rend cet arrêt du 11 octobre 2023, publié au bulletin.

Les demandeurs au pourvoi se fondaient notamment sur les dispositions du dernier alinéa de l’article L.223-27 du code de commerce [nullité facultative des assemblées irrégulièrement convoquées] pour faire valoir que « l'annulation d'un contrat de cession portant sur des parts d'une société commerciale n'entraîne pas l'annulation en cascade de l'ensemble des délibérations votées postérieurement à la conclusion de ce contrat ; que les assemblées générales qui se sont tenues en présence des cessionnaires ont la nature d' « assemblées irrégulièrement convoquées » […], de sorte qu'il appartient au juge d'apprécier au cas par cas s'il y a lieu de prononcer l'annulation des délibérations subséquentes en tenant compte, notamment, de l'intérêt social, des effets perturbateurs qui pourraient résulter de l'annulation pour la société, et de l'incidence concrète qu'aurait eu le vote des cédants sur le sens des délibérations contestées […] ».

Ce texte avait, par le passé, servi de fondement juridique dans une affaire similaire ayant donné lieu à un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 janvier 2016⁴. On peut ainsi comprendre l’argumentaire des demandeurs au pourvoi bien que l’angle d’appréciation de l’irrégularité n’ait pas été le même. En effet, dans l’arrêt du 5 janvier 2016, les juges du fond avaient alors considéré que l’article L.223-27 du code de commerce était applicable non pas en raison de la tenue d’assemblées en présence d’associés réputés ne jamais avoir eu cette qualité, mais en raison de la réintégration rétroactive du cédant dans son statut d’associé de sorte que les assemblées étaient irrégulières parce qu’il n’avait pas été convoqué. La Cour d’appel de Paris avait néanmoins rejeté les demandes d’annulation des assemblées litigieuses en rappelant que l'article L.223-27 du code de commerce excluait toute nullité automatique des assemblées irrégulièrement convoquées et conférait donc au juge un pouvoir d'appréciation en fonction de l'atteinte à l'intérêt social.

Cependant, dans l’espèce commentée, la Cour de cassation refuse l’application de l’article L.223-27 du code de commerce. La Haute Cour estime que la Cour d’appel a jugé, à bon droit, que la situation qui lui était soumise ne rentrait pas dans les prévisions de ce texte puisque la problématique ne concernait pas tant celle d’une convocation irrégulière de l’assemblée mais celle de la participation et du vote de plusieurs associés à une assemblée générale alors même qu’après le prononcé de la nullité de cession de droits sociaux, ils ont rétroactivement perdu ce statut. La Haute Cour conclut que la Cour d’appel a pu se fonder sur l’article 1844 du code civil, disposition dont il résulte que seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives de la société.

Elle ajoute qu’en raison de la combinaison de cet article 1844 et de l'article 1844-10 al. 3 du code civil relatif à la nullité des actes ou délibérations des organes sociaux, la participation d'une personne n'ayant pas la qualité d'associé aux décisions collectives d'une SARL constitue une cause de nullité des assemblées générales au cours desquelles ces décisions ont été prises. La chambre commerciale se rallie ainsi à la position de la troisième chambre civile⁵ qui avait approuvé le prononcé de la nullité de l’assemblée d’une SCI à laquelle les héritiers d’un associé décédé avaient pris part alors qu’ils n’avaient pas été agréés dans les conditions prévues par les statuts. Ils ne pouvaient donc pas se prévaloir de la qualité d’associé de la SCI.

Les conséquences de l’application de l’article 1844 du code civil sont importantes : les assemblées auxquelles les cessionnaires ont participé, alors qu’ils sont réputés ne jamais avoir eu cette qualité, sont nulles. Toutefois, la chambre commerciale apporte une limite au prononcé de la nullité : encore faut-il que l’irrégularité tenant à la participation à l’assemblée d’une personne n’ayant pas la qualité d’associé soit de nature à influer sur le résultat du processus de décision. On reconnaîtra ici la formule déjà employée, quelques mois plus tôt, par cette même chambre commerciale dans son arrêt « Larzul 2 »⁶.

On peut néanmoins se poser la question de savoir comment appréhender concrètement ce critère. Pour en revenir à notre affaire, on observera que la Cour de cassation approuve la Cour d’appel qui a annulé les assemblées litigieuses en jugeant que les associés réputés ne jamais avoir eu cette qualité détenaient la moitié des parts sociales composant le capital social de la SARL. Doit-on dès lors s’en tenir uniquement à un calcul arithmétique des droits de vote en cause ?

Compte tenu du champ d’application de l’article 1844 du code civil, la portée de la solution s’étend au-delà des décisions collectives des associés de SARL et sera transposable quelle que soit la forme sociale de la société commerciale concernée. Dans des espèces similaires à celle de l’arrêt du 11 octobre, la nullité pourra concerner des assemblées tenues pendant plusieurs années et entraîner des conséquences pratiques particulièrement lourdes au regard des obligations de restitution qui en découlent.

  • Sources

    1. Cass. Com. 11 octobre 2023, 21-24.646, Publié au bulletin
    2. Nous ne détaillerons pas ici le premier moyen du pourvoi qui portait sur la prescription et qui a été rejeté par la Cour de cassation.
    3. A noter qu’il n’est pas expliqué précisément pourquoi la Cour d’appel a retenu cette date. Elle a probablement appliqué la prescription triennale prévue pour les actions en nullité d’actes et délibérations postérieurs à la constitution de la société (art. 1844-14 du code civil et art. L.235-9 du code de commerce).
    4. Cour d’appel de Paris, 5 janvier 2016, n°14/21.649
    5. Cass. Civ. 3ème, 8 juillet 2015, n°13-27.248, publié au bulletin
    6. Cass. Com. 15 mars 2023, n°21-18.324, publié au bulletin – La Cour de cassation a affirmé, en effet, que tout intéressé peut poursuivre l’annulation des décisions collectives des associés d’une SAS prises en violation de clauses statutaires stipulées en application de l’article L.227-9, al. 1er, du code de commerce lorsque cette violation est de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

     

Ce qu'il faut retenir

Il résulte de la combinaison des articles 1844, alinéa 1, et 1844-10, alinéa 3, du code civil que la participation d'une personne n'ayant pas la qualité d'associé aux décisions collectives d'une société constitue une cause de nullité des assemblées générales au cours desquelles ces décisions ont été prises, dès lors que l'irrégularité est de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

A propos de cet article

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