7 min de temps de lecture 12 avr. 2023
Selfie d’une femme

Influenceur et réseaux sociaux : focus sur la proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux

Par Carlos Benitez

Avocat | Département IP/IT et Protection des données personnelles

Carlos est avocat en droit de la propriété intellectuelle, des nouvelles technologies et en droit des données à caractère personnel. Il a rejoint EY Société d'Avocats en 2022.

7 min de temps de lecture 12 avr. 2023
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L'Assemblée nationale a adopté le 30 mars dernier, en première lecture, la proposition de loi visant à « encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ». Retrouvez nos explications du texte devant désormais être examiné par le Sénat.

La proposition de loi entend :

  • inscrire une définition légale du métier d'influenceur et d'agent d'influenceurs, tout en prévoyant un cadre contractuel pour la relation entre les deux ;
  • renforcer le rôle des plateformes en ligne face aux contenus illicites ;
  • interdire ou restreindre l'influence par voie électronique pour certains produits et services.

Une proposition de loi pour lutter contre les dérives

Dans un communiqué de presse du 23 janvier 2023¹, la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) constatait que six influenceurs sur dix ne respectaient pas la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs².

Or, tant la DGCCRF que les parlementaires font un constat sans appel de l’essor fulgurant du métier d’influenceur « digital ».

Le dernier communiqué du Ministre de l'Économie³ sur le sujet estime que l’influence commerciale est une véritable filière économique dans les faits et doit le devenir dans le droit. La pratique d’influence commerciale sur les réseaux sociaux connaîtrait depuis quelques années de nombreuses dérives, et ce malgré l’existence des recommandations de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) qui tentent d’encadrer la publicité et le marketing d’influence.

Parmi ces dérives, on trouve la pratique du dropshipping⁴, laquelle a parfois conduit à la livraison de produits contrefaisants ou à l’absence totale de livraison, ou encore des publicités trompeuses ou détournées. Pourtant, les dispositions de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN) encadrent déjà certaines de ces pratiques en imposant notamment l’identification des contenus publicitaires en ligne (art. 20).

A ce stade, deux principaux objectifs ressortent de la proposition de loi : les parlementaires souhaitent régir davantage l’influence commerciale par voie électronique (i) en créant une définition légale et (ii) en encadrant les activités des acteurs de l’influence digitale, afin de renforcer la protection du public visé les influenceurs.

La reconnaissance légale de l’influence par voie électronique

En l’absence d’une définition légale de l’influenceur « digital », le premier article de la proposition de loi vise à inscrire dans le code de la consommation une définition du statut d’influenceur commercial.

Ainsi, seront considérés comme des influenceurs « commerciaux par voie électronique » les personnes physiques ou morales « qui mobilisent leur notoriété auprès de leur audience pour communiquer au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature ». On relèvera qu’il n’est pas anodin que le législateur ait retenu la notion d’influenceur « commercial » et ne se soit pas arrêté au seul terme d’« influenceur ». Cela signifierait-il qu’un influenceur qui ne reçoit pas de contrepartie n’est pas un influenceur au sens du projet de loi ?

Ensuite, l’article 2B de la proposition de loi interdit la promotion de certains produits et services. A titre d’illustration, sont interdites sans exception la promotion des actes, procédés, techniques et méthodes à visée esthétique mentionnés à l’article L. 1151‑2 du code de la santé publique (pourrait rentrer dans cette catégorie la chirurgie esthétique, la promotion de certaines pratiques de « perte de poids » telle que la pratique du jeûne, etc..), ou encore les services non agréés portant sur des actifs numériques (tels que les services fournis sans agréement de vente de jetons numériques, NFT convertibles en argent) .

De manière similaire, si on exclut l’article L.134-1 du code de commerce qui définit l’agent commercial, il n’existe pas, à ce jour, de définition juridique de l’agent d’influenceur.  En conséquence, le législateur se propose d’intervenir sur ce point.

En effet, pour pallier cette lacune, l’article 2 définit l’agent d’influenceur comme la « personne physique ou morale dont l’activité consiste, à titre onéreux, à représenter ou mettre en relation les personnes physiques ou morales exerçant l’activité d’influenceur […], avec des personnes physiques ou morales sollicitant leur service, dans le but de promouvoir, par un moyen de communication électronique, des biens, des services, ou une cause quelconque ».

A noter que cette disposition encadre également les conditions du contrat entre l’influenceur et l’agent d’influenceur. Ce contrat devient en effet solennel, car conclu obligatoirement par écrit sous la forme d’un contrat d’agence au sens des articles L.134-1 à L.134-17 du code de commerce imposant certaines clauses.

La protection du consommateur et la responsabilisation des plateformes

L’article 3 de la proposition a pour objet d’adapter la rédaction de la LCEN afin de rendre obligatoire la mise en place par l’opérateur de plateforme numérique en ligne un mécanisme de signalement. Ce mécanisme devra permettre à tout individu ou à toute entité de signaler la présence d’un « contenu illicite ». A noter que ce mécanisme de signalement semblerait en l’état actuel couvrir tout type de contenu illicite (contrefaçon de droit d’auteur, droit des marques, non-respect de la vie privée, etc.) et pas uniquement les contenus illicites au regard du code de la consommation.

Les opérateurs de plateforme en ligne seront également tenus de publier annuellement un rapport sur les activités de modération de contenus.

On relèvera qu’un amendement a été voté le 30 mars dernier pour ajouter un nouvel article 2C au sein de la proposition de loi. Si l’article est adopté en l’état, la promotion de biens, de services ou d’une cause quelconque réalisée par les influenceurs « commerciaux par voie électronique » devra être explicitement indiquée par une mention claire, lisible et identifiable sur l’image ou la vidéo, sous tous les formats, durant l’intégralité de la promotion. On pourrait imaginer un bandeau qui circule tout au long d’une vidéo indiquant « contenu sponsorisé », « contenu en partenariat avec la marque X ».

Enfin, ce même article 2C entend protéger les internautes en prévoyant  que les images ayant fait l’objet d’une modification par tous procédés de traitement d’image visant à affiner ou à épaissir la silhouette ou à modifier l’apparence du visage doivent être accompagnés de la mention « Images retouchées ». Il s’agirait simplement de transposer une obligation existante en matière de publicité reproduisant l’image de mannequins à celle des influenceurs en ligne⁵, ce qui ne serait pas inutile au vu l’Intelligence artificielle qui est capable de reproduire des images qui paraissent réelles et de la forte présence des mineurs sur les réseaux sociaux.⁶

A suivre…

La proposition de loi a été transmise au Sénat selon une procédure accélérée engagée par le gouvernement le 22 mars 2023. Il faudra encore attendre la position du Sénat et certainement la proposition de la commission mixte paritaire avant de voir cette proposition définitivement adoptée, probablement d’ici cet été.

Ce qu'il faut retenir

A propos de cet article

Par Carlos Benitez

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Carlos est avocat en droit de la propriété intellectuelle, des nouvelles technologies et en droit des données à caractère personnel. Il a rejoint EY Société d'Avocats en 2022.

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