7 min de temps de lecture 29 janv. 2024
Femme faisant ses factures dans sa cuisine

Réforme de la facturation électronique : où en est-on en ce début d’année ?

Par Gwenaëlle Bernier

Avocat Associée, Tax Technology & Transformation Leader, Western Europe Maghreb

Tax Technology & Transformation leader. Accompagne ses clients sur des missions mêlant fiscalité internationale et nouvelles technologies. En charge de la transformation digitale.

7 min de temps de lecture 29 janv. 2024
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Quelles sont les dernières nouvelles concernant la réforme de la facturation électronique obligatoire en France ?

Au sommaire :

  • Adoption du report de la réforme
  • Impact du report de la réforme sur les projets en cours au sein des entreprises
  • La réforme s’inscrit dans un objectif de lutte contre la fraude

1. Adoption du report de la réforme

L’article 91 de la loi de finances pour 2024¹ modifie, une nouvelle fois, le calendrier de mise en œuvre de la réforme de facturation électronique obligatoire.

Pour rappel, cette réforme comporte essentiellement deux obligations :

  • une obligation de transmission sous forme électronique en temps réel des factures domestiques échangées entre professionnels (via une plateforme certifiée ou « PDP », ou via la plateforme de l’Etat qui sera « le portail public de facturation » ou PPF), appelée « e-invoicing »,
  • et une obligation de transmission des données de facturation en temps quasi-réel des autres factures (internationales, intracommunautaires et B2C), appelée « e-reporting ».

Ce calendrier, initialement calé au 1er janvier 2023, puis reporté au 1er juillet 2024, sera finalement repoussé au 1er septembre 2026, en raison d’importants retards pris par l’Etat dans le développement informatique de la plateforme gouvernementale qui structurera à l’avenir les échanges de factures entre les 4 millions d’entreprises privées françaises.

Le nouveau calendrier maintient une entrée en vigueur conjointe de l’obligation de e-invoicing et de l’obligation de e-reporting :

  • à compter du 1er septembre 2026 pour les grandes entreprises et les ETI ;
  • à compter du 1er septembre 2027 pour les PME et les micro-entreprises (sous réserve qu’elles ne soient pas membre groupe TVA (constituant un assujetti unique) ;
  • ces deux dates pourront être décalées par décret, respectivement, jusqu’au 1er décembre 2026 et jusqu’au 1er décembre 2027.

La catégorie à laquelle se rattache chaque entreprise devra s’apprécier au niveau de chaque entité juridique, selon les critères de la Loi LME, à la date du 1er janvier 2025 sur la base du dernier exercice clos avant cette date (i.e. pour la plupart des entreprises, l’exercice clos le 31 décembre 2024) ou, en l’absence d’un tel exercice, sur celle du premier exercice clos à compter de cette date.

L’obligation de recevoir des factures électroniques devra s’appliquer dès le 1er septembre 2026 quelle que soit la taille de l’entreprise. Cette date pouvant potentiellement être décalée par décret au plus tard au 1er décembre 2026.

Enfin, ce nouveau calendrier sera subordonné à ce que le gouvernement obtienne du Conseil de l’Union européenne une nouvelle autorisation de dérogation aux articles 218 et 232 de la Directive TVA : la précédente dérogation, accordée le 17 janvier 2022, n’est valide que jusqu’au 31 décembre 2026. Pour rappel, cette dérogation ne concerne que l’obligation de « e-invoicing », l’obligation de « e-reporting » n’étant pas sujette à une obligation de conformité aux règles communautaires en matière de TVA. Toutefois, les chances d’obtenir une telle dérogation sont importantes puisque l’obligation de « e-invoicing » à la française ressemble fortement aux prescriptions de la proposition de directive VIDA², publiée par la Commission européenne en décembre 2022 et sur la base de laquelle la Commission vient d’accorder en 2023 une dérogation semblable à l’Allemagne, à la Roumanie, et s’apprête à le faire pour d’autres pays européens.

2. Impact du report de la réforme sur les projets en cours au sein des entreprises

Au-delà de ce que dit le texte de l’article 91 de la loi de finances pour 2024 sur la réforme, cette mise en œuvre différée emporte bien d’autres changements de calendrier que les entreprises doivent intégrer dans la réévaluation de leurs projets en cours, notamment pour pouvoir répondre à la question « quand doit-on les relancer ? ».

Tout d’abord, la phase pilote - pendant laquelle les entreprises pourront s’entrainer à s’échanger des factures électroniques via le PPF et les PDP -, démarrerait à la fin du 1er semestre 2025, cette échéance dépendant du développement de la plateforme gouvernementale (PPF) qui devrait être finalisé à l’automne 2024. Or c’est cette phase pilote qui, seule, permettra :

  • de finaliser le développement informatique des solutions proposées, permettant ainsi aux PDP de finaliser leurs dossiers de certification ;
  • de garantir que la pleine la sécurité et confidentialité des données sera assurée ;
  • ou encore, de mesurer la performance du PPF et l’impact d’un échange « en temps réel » de factures entre entreprises à grande échelle.

Ensuite, le décret et l’arrêté du 7 octobre 2022³ seront réécris en mars 2024, et c’est à ce moment-là que nous saurons :

  • si les nouvelles mentions fiscales sur les factures (dont le numéro de SIREN, le lieu de livraison, la mention « bien/service/mixte ») demeurent obligatoires à compter du 1er juillet 2024 ou si cette obligation est également reportée au 1er septembre 2026, ce qui n’est pas neutre d’un point de vue informatique, et ;
  • si le délai pour la certification des PDP est corrélativement repoussé au 1er septembre 2027 (le délai actuel étant celui du 1er juillet 2025).

D’autre part, les « spécifications techniques externes », qui donnent un peu le mode d’emploi précis de mise en œuvre de la réforme seront à nouveau mises à jour au printemps 2024⁴. Il conviendra d’être particulièrement attentif aux précisions qui seront apportées à certains cas d’usage et au modèle de données du « e-reporting » (des données de facturation, de paiement et de cycle de vie des factures), qui ne semble pas abouti à date.

Enfin, le projet de BOFiP commentant les impacts de la réforme est toujours annoncé pour le printemps 2024.

Nous attendrons particulièrement les conséquences de la réforme sur les futures modalités de contrôle fiscal des entreprises, tant cette réforme devrait bouleverser la pratique du droit de communication et du contrôle, avec un accès en temps réel des services de contrôle aux données des entreprises.

3. La réforme s’inscrit dans un objectif de lutte contre la fraude

La réforme ne doit pas être pensée qu’en termes techniques. Il convient aussi de prendre en compte l’évolution des règles du contrôle fiscal.

A cet égard, une autre disposition de la loi de finances pour 2024, l’article 112, prévoit notamment l’approfondissement de l’expérimentation permettant à l’administration de collecter des données de manière automatisée sur des interfaces numériques (appelée aussi « data mining »), par la création d’une nouvelle procédure d’investigation sous pseudonyme au profit de l’administration fiscale. Cette procédure pourra s’appliquer pour la recherche et la constatation de certains manquements graves, notamment les manquements délibérés, qui sont ajoutés au dispositif.

Ce dispositif vise à mettre en œuvre certaines annonces faites par le Gouvernement dans le cadre du plan de lutte contre la fraude, le 9 mai 2023.

Or, dans ce plan, le ministre du budget de l’époque indiquait :

« La facturation électronique sera un saut qualitatif et quantitatif en matière de lutte contre la fraude à la TVA ou à d’autres impôts sur les bénéfices : les données [de facturation collectées par l’administration], viendront enrichir la programmation des contrôles via le data mining de l’administration fiscale. […] La mesure consiste à mettre en place l’infrastructure technique nécessaire à l’utilisation des données de la facturation électronique pour exploiter pleinement son potentiel de lutte contre la fraude d’ici 2027-2028 […] »

Ne pas faire le lien entre la réforme de la facturation électronique obligatoire et l’extension du dispositif d’exploitation des données par le nouvel outil intelligent de data mining de l’administration (appelé GALAXIE) pourrait se révéler un péché mortel. L’épicentre de l’enjeu fiscal de la réforme se déplace ainsi sur la problématique centrale de la qualité de la donnée et de son exploitation en temps réel par l’administration fiscale avec l’assistance de l’intelligence artificielle, bien au-delà de la simple de transmission en temps réel de factures dans un format spécifique vers le PPF.

C’est ainsi à l’aune du besoin de résoudre cette problématique qu’il convient de déterminer le bon « timing » pour reprendre les travaux de transposition de la réforme. Si ce sujet n’avait pas été intégré au projet initial, disposer d’un délai supplémentaire de deux ans de délai ne sera pas de trop !

En attendant, du côté de l’administration, les travaux continuent :

  • la liste, provisoire et ne valant pas immatriculation, des PDP candidates à ce jour vient d’être publiée par le service d’immatriculation⁵ ;
  • la FAQ dédiée à la facturation électronique a été mise à jour par l’administration fiscale début janvier⁶ ;
  • la prochaine réunion de la Communauté des Relais est prévue le 16 février 2024 et la Mission Facturation Electronique de la DGFIP poursuit l’animation de nombreux ateliers de travail avec les entreprises en cours des prochaines semaines...

Ce qu'il faut retenir

Le nouveau calendrier maintient une entrée en vigueur conjointe de l’obligation de e-invoicing et de l’obligation de e-reporting, mais le décale de près de 2 ans :

  • à compter du 1er septembre 2026 pour les grandes entreprises et les ETI ;
  • à compter du 1er septembre 2027 pour les PME et les micro-entreprises (sous réserve qu’elles ne soient pas membre groupe TVA (constituant un assujetti unique) ;

L’épicentre de l’enjeu fiscal de la réforme se déplace sur la problématique centrale de la qualité de la donnée et de son exploitation en temps réel par l’administration fiscale avec l’assistance de l’intelligence artificielle, bien au-delà de la simple de transmission en temps réel de factures dans un format spécifique vers le PPF.

C’est ainsi à l’aune du besoin de résoudre cette problématique qu’il convient de reprendre les travaux de transposition de la réforme sans tarder, car le chantier est nouveau et structurant pour presque toutes les entreprises.

A propos de cet article

Par Gwenaëlle Bernier

Avocat Associée, Tax Technology & Transformation Leader, Western Europe Maghreb

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