Les opérateurs économiques sont les premières victimes des injonctions contradictoires des autorités douanières et fiscales sur les prix de transfert. Conscientes des difficultés, l’OCDE et l’UE ont élaboré un corpus de normes visant à faciliter les transactions internationales, mais la singularité de leurs approches respectives a tendance à nuire à la sécurité des échanges intergroupes.
Depuis la fin des années 1960, le travail considérable mené par l’OCDE sur les prix de transfert a permis la création d’un référentiel incontournable offrant, d’une part, aux opérateurs économiques des repères théoriques indispensables à la détermination de leurs prix intragroupes, et, d’autre part, aux administrations un cadre technique permettant de prévenir et de remédier efficacement aux divergences d’interprétation. En parallèle, les pratiques douanières ont également fait l’objet d’un puissant mouvement d’harmonisation dans le cadre de la construction du marché unique européen. Ces deux mouvements semblent pourtant être restés étrangers l’un à l’autre, plaçant aujourd’hui les entreprises face à un casse-tête juridique et économique pour respecter des normes différentes et contradictoires.
Les autorités douanières et fiscales ont une approche unilatérale du prix des marchandises importées. Les premières ont pour mission de s’assurer, à partir des transactions et des flux de marchandises, que la valeur en douane déclarée contient bien tous les éléments pertinents et qu’elle n’est pas sous-estimée. Les secondes, à l’inverse, vérifient que le prix enregistré en comptabilité n’est pas surestimé, afin de réduire la base d’imposition de l’importateur.
Face à ces logiques contradictoires, les entreprises multinationales sont, en matière fiscale, contraintes de gérer leurs flux de façon bilatérale, le prix pouvant être contesté tant par les vérificateurs du pays d’exportation que par ceux du territoire d’importation.
Consciente que ces divergences d’analyse constituaient par nature un obstacle au développement du commerce international, l’OCDE a élaboré un corpus de normes particulièrement développé, qui fait aujourd’hui référence et permet de prévenir ou de résoudre les doubles impositions.
En matière douanière, la mise en place du grand marché unique le 1er janvier 1993 a consacré l’achèvement de l’union douanière avec notamment la suppression des formalités douanières entre les États membres et l’harmonisation du traitement des marchandises provenant de l’extérieur de l’Union, quel que soit leur lieu de dédouanement. La législation douanière applicable en France est aujourd’hui européenne.
Ces deux mouvements d’harmonisation ont répondu à un objectif commun : faciliter le développement du commerce international. Le paradoxe actuel est que, menés de façon séparée, leur singularité respective nuit aujourd’hui à la sécurité juridique des transactions internationales.
On pourrait s’en étonner en constatant que la plupart des administrations douanières acceptent de reconnaître, sous certaines conditions, la valeur transactionnelle pour déterminer la valeur en douane.
La difficulté provient des aléas inhérents à toute activité commerciale. Les entreprises doivent en effet, au cours de l’exercice, réviser le prix de leurs marchandises pour tenir compte de différents éléments : variation du volume ou du prix des ventes, changement de l’environnement économique (inflation, taux d’intérêt, etc.), ou augmentation des coûts d’exploitation. Or la mise en œuvre de la méthode transactionnelle de la marge nette, la plus couramment utilisée pour valoriser les prix d’achat des distributeurs, nécessite de pouvoir adapter ceux-ci au cours de l’exercice. L’entreprise va ajuster ses prix, soit en cours d’exercice, soit à sa clôture, pour pouvoir respecter l’objectif de marge opérationnelle conforme aux attentes des administrations fiscales des pays d’exportation et d’importation.
Fiscalement, le traitement de ces nécessaires ajustements est particulièrement complexe, d’autant que leur mise en œuvre peut prendre différentes formes². Une première analyse doit s’opérer pour déterminer si l’ajustement est une opération soumise à TVA. De manière très schématique, ce sera le cas si la variation peut être liée directement au flux initial de marchandises, mais une analyse fine des contrats permettant cette évolution doit être menée. Ensuite, les modalités de déclaration et de justification devront être préparées avec soin pour répondre aux attentes des administrations fiscales au regard de l’impôt sur les bénéfices, d’éventuelles retenues à la source et crédits d’impôt.
Interviendra ensuite la mise en conformité douanière, qui impliquera de payer des droits supplémentaires en cas d’ajustement à la hausse du prix de vente, sans, la plupart du temps, pouvoir obtenir le remboursement de ceux qui ont été perçus dans l’hypothèse inverse³.
Les droits de douane, s’ils sont conséquents, constitueront alors en tant que tels un élément perturbateur dans les deux cas de figure, diminuant la marge réalisée sur la transaction, et entraînant une modification de son équilibre économique. Avec les effets de décalage, le profit devant être attribué à une société sera grevé par ces coûts, créant alors un nouveau risque fiscal…
Au total, il est primordial que les administrations fiscales et douanières ouvrent un chantier commun sur ces sujets afin d’articuler leurs législations et missions sans pénaliser les opérateurs économiques.