9 min de temps de lecture 27 févr. 2023
Personnes en discussion dans un couloir

Que faut-il retenir de l’ANI «historique» sur le partage de la valeur ?

Par Marie-Pascale Piot

Avocat, Associate Partner, EY Société d’Avocats, France

Stratégie, dialogue, co-construction et partage pour conseil en droit du travail pragmatique et efficient !

9 min de temps de lecture 27 févr. 2023
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L’ANI sur le partage de la valeur créé une obligation de partage des résultats dans les TPE bénéficiaires et de prise en compte de résultats exceptionnels dans les entreprises de 50 salariés et plus.

En résumé :

  • L’Accord sur le partage de la valeur a été qualifié d’historique
  • Il vise à développer la participation et l’actionnariat salarié notamment dans les PME
  • Il recommande plus de transparence sur la politique fiscale des entreprises
  • L’accord sera transposé dans une loi à venir

L’accord national interprofessionnel « ANI », conclu le 10 février est en cours de signature par les organisations patronales et syndicales. A ce jour, l’ANI a été signé par le Medef, la CPME et l’U2P et par la CFDT, FO et la CFTC du côté des syndicats, la CFE-CGC devrait également signer, mais c’est moins probable pour la CGT.

Cet ANI a été qualifié d’historique à plusieurs reprises dans la mesure où il prévoit notamment la mise en œuvre d’un dispositif de partage de la valeur dans les entreprises de 11 à 49 salariés qui ont un résultat bénéficiaire, avant le 1er janvier 2025, l’obligation faite aux branches de prévoir avant le 30 juin 2024 un dispositif de participation facultatif pour les entreprises de moins de 50 salariés, la prise en compte des « résultats exceptionnels » dans les entreprises de 50 salariés et plus, la pérennisation de la prime de partage de la valeur « PPV » et la facilitation des opérations d’actionnariat salarié.

Il couvre ainsi effectivement de nombreux aspects de rémunération collective et un large panel d’entreprises.

L’entrée en vigueur des mesures envisagées est conditionnée d’une part à son extension mais surtout à sa transposition législative et réglementaire de manière fidèle et dans les meilleurs délais selon Madame Elisabeth Borne, PM.

Rappel des grands principes applicable aux systèmes de rémunération

Le préambule de l’ANI prend soin dans un premier temps, de rappeler la définition du partage de la valeur en se référant à un document sur le sujet corédigé paritairement¹, publié en 2019 : «la répartition juste et optimale des richesses créées entre les différentes parties prenantes pour à la fois davantage d’efficacité économique – renforcer la compétitivité coût et hors coût des entreprises et dynamiser une croissance durable et davantage de progrès social – créer des emplois de qualité et augmenter le pouvoir d’achat » et l’objectif de la réflexion « dynamiser le partage de la valeur ».

Les partenaires sociaux réaffirment ensuite la place primordiale du salaire comme forme de reconnaissance du travail fourni et, son corollaire, l’importance du principe de non-substitution entre salaires et dispositifs de partage de la valeur existants (les dispositifs en place de long date, tel l’intéressement et la participation ou les plus récents telle la prime de partage de la valeur - PPV)

L’ANI rappelle également l’importance du principe législatif de non-substitution pour tous les dispositifs existants à savoir : un tel dispositif ne doit pas remplacer un élément de salaire (le texte précise : " toutes rémunérations versées à l’occasion ou en contrepartie du travail … primes régulières, occasionnelles ou exceptionnelles" quelle que soit sa source : accord, contrat de travail ou usage, ce qui devrait rendre l'analyse complexe) en vigueur dans l'entreprise ou qui deviendraient obligatoires en vertu de dispositions légales et/ou de clauses contractuelles. Il rappelle également le principe d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, et les partenaires sociaux incitent les négociateurs au sein des branches professionnelles et des entreprises à se saisir des multiples outils à leur disposition sur ce sujet.

L’accord rappelle enfin les obligations des branches professionnelles en matière de négociation sur les salaires et les classifications et l’importance de mener de telles négociations collectives tant au niveau des entreprises que des branches … et adresse un rappel à l’ordre à destination des pouvoirs publics qui tardent souvent à publier les arrêtés d'extension rendant obligatoire les avenants signés à l’ensemble des entreprises concernées au sein de la branche !

Sensibilisation, communication et partage des informations sur la politique fiscale

Le second chapitre de l’accord vise à promouvoir l’ensemble des systèmes de rémunération (salaire, épargne salariale mais aussi avantages sociaux tels que les CESU (chèque emploi service universel) préfinancés et couvertures sociales surcomplémentaires).

La mise en place de bilans sociaux individuels est encouragée pour « mieux valoriser ces dispositifs mis en place et financés par l’entreprise."

L’accord rappelle également le rôle de la base de données économiques, sociales et environnementale (BDESE) comme outil d’information sur ces sujets dans les entreprises de 50 salariés et plus dotées d’un Comité Social Economique (CSE).

Il est à noter à cet égard que l’accord rappelle l'intégration des déclarations fiscales selon le dispositif BEPS "pays par pays" dans la BDESE, et encourage la transmission des informations "sur la politique fiscale au sein du groupe [...] le cas échéant au comité de groupe pour l’application de l’article L 2332-1 du code du travail et au comité d’entreprise européen pour l’application de l’article L.2343-2 du code du travail" et "sur la politique fiscale de l’entreprise" au CSE dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière prévue à l’article 2312-25 du code du travail.

Développement de la participation dans les PME

Les entreprises de moins de 50 salariés, non pourvues d’un accord de participation, pourraient mettre en place un tel accord prévoyant une formule dérogatoire pouvant donner un résultat supérieur ou inférieur à la formule légale prévue en matière de participation aux résultats de l’entreprise :

  • soit directement dans le cadre d'un accord collectif,
  • soit en appliquant le dispositif de branche.

Dans ce cadre, les branches professionnelles doivent ouvrir, avant le 30 juin 2024, une négociation visant à prévoir un tel dispositif facultatif dérogatoire.

Par ailleurs, toutes les entreprises dont l'effectif est compris entre 11 et moins de 50 salariés devront mettre en place, au 1er janvier 2025, un dispositif légal : participation, intéressement, PPV ou abondement à un plan d'épargne entreprise ou retraite, si elles n'en ont pas déjà un.

Cette obligation est soumise à condition : réaliser un bénéfice net fiscal positif au moins égal à 1% du chiffre d’affaires pendant 3 années consécutives (l’accord précise qu’il s’agira des années 2022, 2023 et 2024 pour la 1ère mise en place).

Les organisations signataires proposent par ailleurs de supprimer la règle reportant de 3 ans l’obligation de mise en place de la participation en présence d’un accord d’intéressement préexistant lorsque l’entreprise franchit le seuil de 50 salariés.

Prise en compte des résultats exceptionnels dans les entreprises de plus de 50 salariés

Les entreprises de 50 salariés et plus ayant au moins un délégué syndical et assujetties à l'obligation de mise en place de la participation légale aux résultats de l’entreprise, devront, avant le 30 juin 2024, porter à l’ordre du jour des négociations salariales, les modalités de prise en compte de « résultats exceptionnels » qui pourront être réalisées via le versement automatique d'un supplément de participation ou d'intéressement ou une « nouvelle discussion » sur le versement d'un des dispositifs de partage de la valeur.

L’accord précise qu’il s’agit :

  • des « résultats » au sens de la participation,
  • réalisés en France,
  • et présentant un caractère exceptionnel qui devra être défini par l’employeur.

Développement des outils de partage de la valeur

Plusieurs mesures sont préconisées par les organisations signataires qui demandent l'adoption de dispositions légales permettant notamment :

  • de placer la PPV dans un plan d'épargne entreprise ou plan d’épargne retraite lorsqu'ils existent ;
  • d’octroyer au plus deux PPV chaque année dans la limite de quatre par an ;
  • de maintenir le régime fiscal et social de la PPV en vigueur au 1er janvier 2023 pour les entreprises de moins de 50 salariés et du cadre prévu par la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, pour les entreprises de plus de 50 salariés ;
  • la simplification du forfait social (sans autre précision sur le quantum) ;
  • de promouvoir l’intéressement de projet ;
  • de faciliter le choix de critères au titre de la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE) dans les accords d’intéressement en précisant la notion de critère aléatoire et de promouvoir une épargne verte, solidaire et responsable en incitant à l’orientation des fonds de l’épargne salariale vers des supports d’investissements à visée sociale, en faveur de la transition écologique ou de l’économie productive ;
  • de créer trois nouveaux cas de déblocage anticipé des PEE pour adapter l’épargne salariale aux nouveaux défis : pour les dépenses liées à la rénovation énergétique des résidences occupées à titre principale, pour faire face aux dépenses engagées en tant que proche aidant sous réserve de fournir les justificatifs et pour l’acquisition d’un véhicule dit « propre » (neuf ou d’occasion) ; 
  • etc.

Mesures visant à faciliter les opérations d’actionnariat salarié

L’accord constate que le dispositif d’actionnariat salarié qui permet aux salariés de détenir des actions de la société qui les emploie, n’est pas adapté aux entreprises qui ne peuvent pas ouvrir leur capital du fait de leur particularité ou de la complexité de l’opération.

Les partenaires sociaux demandent ainsi la mise en place par accord collectif d’un autre dispositif de partage de la valeur basé non plus sur l’action mais sur la valorisation de l’entreprise : le « Plan de partage de la valorisation de l’entreprise".

Il s’agirait d’attribuer au salarié un montant indicatif et à l’issue d’une durée de trois ans, le salarié perçoit le montant correspondant au pourcentage de valorisation de l’entreprise appliqué à ce montant indicatif. Pour les entreprises non cotées, les modalités de valorisation devront être définies dans le plan en fonction d'indicateurs financiers pertinents (l'EBITDA est donné comme exemple). Les sommes versées bénéficient du régime fiscal et social favorable des dispositifs de PPV.

Les partenaires sociaux demandent également une sécurisation des plans d’actionnariat salarié pour les salariés qui prennent un risque dans ce cadre sur leur emploi et sur leur capital en cas de difficultés, une augmentation des plafonds d’attribution d’actions et de faciliter le développement des sociétés de management dites « ManCo ».

***

La Première ministre, Elisabeth Borne, s’est engagée à transposer de façon « fidèle et totale », l’accord conclu par les partenaires sociaux. Ces mesures pourraient ainsi être intégrées au projet de loi sur le plein-emploi annoncé au printemps.

Ce qu'il faut retenir

L’ANI aborde et développe la plupart des outils collectifs de rémunération à disposition des entreprises : salaires, participation, actionnariat salarié, etc. Il créé notamment une nouvelle obligation de partage des résultats dans les entreprises de moins de 50 salariés qui ont un résultat bénéficiaire.

Il vise également à développer la communication et la transparence, dans le cadre du dialogue social, sur ces sujets.

A propos de cet article

Par Marie-Pascale Piot

Avocat, Associate Partner, EY Société d’Avocats, France

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