9 min de temps de lecture 8 janv. 2024
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Partage de la valeur : mise en place de nombreuses nouvelles mesures

Par Marie Ballenghien

Avocate, Droit social – Senior Manager, France

Avocate en droit social, assistant avec pugnacité les employeurs français et internationaux depuis plus de 15 ans dans l’ensemble de leurs problématiques. Et globetrotter passionnée de découvertes !

9 min de temps de lecture 8 janv. 2024
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La Loi du 29 novembre 2023 s’inscrit dans le mouvement de développement des dispositifs de partage de la valeur initié avec la loi PACTE de 2019.

En résumé :

Sur les quatre titres de la Loi, deux sont spécifiquement dédiés au « partage de la valeur » avec de multiples mesures à portée et horizon distincts :

  • Modifications en matière d’épargne salariale (participation, intéressement, plans d’épargne)
  • Nouvelles obligations de négociation : petites entreprises (dispositif expérimental) et celles de 50+ salariés (si augmentation exceptionnelle du bénéfice)
  • Réforme de la Prime de Partage de la Valeur (PPV) et création d’un nouveau dispositif facultatif de Plan de Partage de la Valorisation de l’Entreprise (PPVE)

La Loi n° 2023-1107 du 29 novembre 2023¹, portant transposition de l'accord national interprofessionnel (ANI) relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise, publiée au JORF n°0277 du 30 novembre 2023², retranscrit - comme son nom l’indique - l’ANI sur le partage de la valeur du 10 février 2023.

Publiée sans avoir fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel, du fait d’un certain consensus quant à son objet, à savoir la transposition d’un texte négocié par les partenaires sociaux, cette loi qui comporte 19 articles présente quatre axes : Renforcer le dialogue social sur les classifications (titre I) ; Faciliter la généralisation des dispositifs de partage de la valeur (titre II) ; Simplifier la mise en place des dispositifs de partage de la valeur (titre III) ; et Développer l’actionnariat salarié (titre IV).

Reprenant la grande majorité des dispositions de l’ANI à quelques exceptions près³, la Loi est entrée en vigueur le 1er décembre 2023, sauf mesures assorties d’une date spécifique, ou conditionnées à la publication d’un décret d’application.

Les principales dispositions de la Loi relatives aux Titres II et III sur le partage de la valeur⁴ sont synthétisées ci-dessous, par thème, en une rapide photographie d’un texte varié… et complexe.

Certaines sont codifiées, d’autres non.

Certaines concernent toutes les entreprises, alors que d’autres sont destinées aux entreprises selon leurs effectifs.

Certaines sont obligatoires, alors que d’autres sont facultatives, l’une et l’autre étant parfois expérimentales.

Certaines sont applicables immédiatement, tandis que d’autres ont une date d’application ultérieure, et d’autres encore nécessitent un décret d’application.

Un décryptage est donc nécessaire !

 

Participation / Intéressement

Plusieurs articles disséminés dans la Loi sur le partage de la valeur, viennent apporter des modifications aux dispositifs et principes relatifs à l’épargne salariale (en particulier, participation et intéressement).

Participation : Principe de non-substitution aux salaires

  • Quoi ?
    Inscription dans le code du travail du principe de non-substitution de la participation à « aucun des éléments de rémunération ».
    Principe obligatoire.
  • Pour qui ?
    Toutes les entreprises ayant / mettant en place un accord de participation.
  • Quand ?
    Depuis le 1er décembre 2023.
  • Point d’attention
    Principe déjà existant pour l’intéressement, les plans d’épargne et la Prime de Partage de la Valeur.

Participation : Formule dérogatoire

  • Quoi ?
    Possibilité de négocier une formule dérogatoire de participation moins favorable que la formule légale.
    Dispositif facultatif et expérimental (pendant 5 ans à compter du 29 novembre 2023).
  • Pour qui ?
    Branches.
    Entreprises de moins de 50 salariés.
  • Quand ?
    Pour les branches, obligation de négocier d’ici au 30 juin 2024.
    Dans les entreprises de moins de 50 salariés, depuis le 1er décembre 2023.
  • Point d’attention
    L’adoption d’une formule dérogatoire moins favorable n’est pas possible pour (i) les régimes de participation mis en place unilatéralement, sauf en présence d’un accord de branche agréé par le ministère du Travail pouvant être appliqué unilatéralement ; (ii) les entreprises déjà dotées d’une participation volontaire à formule dérogatoire au 1er décembre 2023.

Participation : Suppression du report d’assujettissement

  • Quoi ?
    Suppression du report de l’assujettissement à participation au troisième exercice clos après le franchissement du seuil en présence d’un accord d’intéressement appliqué sans discontinuer.
    Mesure obligatoire.
  • Pour qui ?
    Entreprises franchissant le seuil d’assujettissement à participation, dotées d’un accord d’intéressement.
  • Quand ?
    Depuis le 1er décembre 2023.
  • Point d’attention
    Les entreprises qui bénéficiaient déjà du report avant la Loi en conservent le bénéfice jusqu’au terme prévu.

Participation : Recalcul après rectification

  • Quoi ?
    Légalisation de l’obligation de recalculer le montant de la RSP lorsque la déclaration des résultats est rectifiée par l’Administration fiscale ou le juge des impôts.
    Mesure obligatoire.
  • Pour qui ?
    Toutes les entreprises soumises à participation.
  • Quand ?
    Depuis le 1er décembre 2023.
  • Point d’attention
    Obligation auparavant réglementaire (ancien article D.3324-40 du Code du travail) désormais légalisée (article L.3326-1-1).

Participation / Intéressement : Avances

  • Quoi ?
    Possibilité de mettre en place des avances (au moins trimestrielles) sur les sommes dues au titre de l’intéressement et de la participation et sécurisation du système de remboursement en cas de trop-perçu (retenue sur salaire).
    Mesure facultative.
  • Pour qui ?
    Toutes les entreprises concernées par la participation / l’intéressement.
  • Quand ?
    Mise en œuvre subordonnée à un décret à paraître déterminant les conditions d’information des bénéficiaires.
  • Point d’attention
    Jusqu’à présent, l’Administration admettait les avances mensuelles sur intéressement mais non sur la participation. Désormais les deux peuvent faire l’objet d’avances, mais qui ne peuvent plus être mensuelles.

Intéressement : Encadrement

  • Quoi ?
    Introduction de la possibilité de fixer un salaire plancher et/ou un salaire plafond pour la répartition individuelle de l’intéressement.
    Mesure facultative.
  • Pour qui ?
    Toutes les entreprises concernées par l’intéressement.
  • Quand ?
    1er décembre 2023.

Partage de la Valeur : Généralisation des dispositifs aux petites entreprises

  • Quoi ?
    Mise en place d’un dispositif de partage de la valeur au titre de l’exercice suivant les 3 exercices consécutifs au cours desquels un bénéfice net fiscal (retenu pour la formule légale de calcul de la participation) au moins égal à 1% du chiffre d’affaires a été réalisé.
    Le dispositif de partage de la valeur peut être soit un régime de participation, soit un régime d’intéressement, soit d’un abondement à un plan d’épargne (PEE/PER), soit d’une Prime de Partage de la Valeur (PPV).
    Dispositif obligatoire et expérimental (pendant 5 ans à compter du 29 novembre 2023), non codifié.
  • Pour qui ?
    Entreprises d’au moins 11 et moins de 50 salariés non soumises à l’obligation de participation, qui ont réalisé pendant trois exercices consécutifs un bénéfice net fiscal au moins égal à 1 % du chiffre d'affaires.
    Exclusion des entreprises individuelles et des sociétés anonymes à participation ouvrière.
  • Quand ?
    Exercices ouverts après le 31 décembre 2024.
  • Points d’attention
    • Obligation réputée satisfaite lorsqu’une participation, ou un intéressement, ou un abondement à PEE/PER, ou une PVV s’applique au titre de l’exercice considéré (suivant les 3 exercices consécutifs).
    • Pas de précision sur les modalités de calcul des effectifs ni sur l’incidence éventuelle de la survenance d’une variation des effectifs en cours de période.
    • Aucun montant minimal n’est précisé.
    • Sanction non précisée à défaut d’une telle mise en place.

Partage de la Valeur en cas d’augmentation exceptionnelle du bénéfice

  • Quoi ?
    Création d’une nouvelle obligation d’instauration d’un mécanisme de partage de la valeur en cas de bénéfice exceptionnel :
    • Versement d’un supplément de participation ou d’intéressement lorsque de tels dispositifs existent, ou
    • Ouverture d’une nouvelle négociation pour mettre en place
      • Un dispositif d’intéressement, ou
      • Abondement sur un plan d’épargne (PEE/PER), ou
      • Prime de Partage de la Valeur

Enumération non limitative des critères pouvant être pris en compte pour définir le bénéfice exceptionnel : taille de l’entreprise, secteur d’activité, survenance d’une ou plusieurs opérations de rachats d’actions de l’entreprise suivie de leur annulation dès lors que ces opérations n’ont pas été précédées des attributions aux salariés, bénéfices réalisés lors des années précédentes, évènements exceptionnels externes à l’entreprise intervenus avant la réalisation du bénéfice.
Dispositif obligatoire codifié à l’article L.3346-1du Code du travail.

  • Pour qui ?
    Entreprises d’au moins 50 salariés disposant d’au moins un délégué syndical.
    Exclusion des entreprises (i) dotées d’un accord de participation ou d’intéressement comportant déjà une clause spécifique prenant en compte les bénéficies exceptionnels ou (ii) dotées d’un accord de participation prévoyant une formule dérogatoire.
  • Quand ?
    Entrée en vigueur de l’obligation d’instauration du mécanisme à compter du 1er décembre 2023.
    Les entreprises dotées d’un accord de participation ou d’intéressement au 29 novembre 2023 ont une obligation de négocier la définition de l’augmentation exceptionnelle du bénéfice et les modalités du partage de la valeur d’ici au 30 juin 2024.
  • Points d’attention
    Obligation de négociation et non de conclure.
    Aucun montant minimal n’est précisé.
    Absence de sanction spécifique prévue à ce stade en cas d’absence de négociation.
    Incertitude : la négociation peut-elle avoir lieu avec le CSE ou est-elle obligatoirement menée avec le délégué syndical ?

Prime de Partage de la Valeur (« PPV ») [dispositions non codifiées]

PPV : le doublé 

  • Quoi ?
    Possibilité d’attribuer deux PPV au titre d’une année civile.
    Mesure facultative.
  • Pour qui ?
    Toutes les entreprises.
  • Quand ?
    Depuis le 1er décembre 2023.
  • Point d’attention
    Absence de majoration des plafonds d’exonération (à apprécier globalement si 2 PPV sont versées).

PPV : prolongation des exonérations

  • Quoi ?
    Prolongation pour 3 ans de l’exonération de CSG-CRDS et d’IR sur la PPV (rémunérations inférieures à 3 SMIC annuels).
  • Pour qui ?
    Entreprises de moins de 50 salariés.
  • Quand ?
    Primes versées du 1er janvier 2024 au 31 décembre 2026.
  • Point d’attention
    Absence de majoration des plafonds d’exonération.
    Modalités d’appréciation des effectifs non définies.

PPV : Affectation à un plan d’épargne

  • Quoi ?
    Affectation possible de la PPV à un plan d’épargne (PEE/PER) avec exonération d’impôt sur le revenu (dans les mêmes limites que les exonérations sociales) et abondement possible de l’employeur.
  • Pour qui ?
    Toutes les entreprises.
  • Quand ?
    Selon décret à paraître.
  • Point d’attention
    Absence de majoration des plafonds d’exonération.

Plan de Partage de la Valorisation de l’Entreprise (« PPVE »)

  • Quoi ?
    • Création d’un nouveau dispositif permettant de verser aux salariés une prime en fonction de l’augmentation de la valeur de l’entreprise sur trois ans, bénéficiant à tous les salariés ayant une ancienneté d’au moins un an (ancienneté moindre pouvant être retenue par l’accord).
    • PPVE mis en place par accord dans les mêmes modalités que la participation (ratification par les 2/3 du personnel possible - en présence de représentation du personnel, uniquement si elle est demandée conjointement par l’employeur et une/plusieurs organisations syndicales représentatives ou le CSE).
    • Dispositif facultatif et non codifié.
    • Accord établi sur rapport spécial du commissaire aux comptes.
    • L’accord doit fixer :
      • Le montant de référence auquel sera appliqué le taux de variation de la valeur de l’entreprise
      • Les éventuelles conditions de modulation de ce montant (selon la rémunération, classification, durée du travail [et non durée de présence])
      • La formule de valorisation (entreprises non admises aux négociations sur un marché réglementé⁵)
        • Si l’accord ne contient pas de formule de valorisation, ou si cette formule est impossible à appliquer, la valorisation est égale au montant de l’actif net réévalué calculé d’après le bilan le plus récent
      • Les dates de début et de fin de la durée de trois ans
      • La (ou les) date(s) de versement de la prime.
    • Un seul PPVE par période de trois ans (durée impérative).
    • Dépôt obligatoire, conditionnant le bénéfice des exonérations sociales et fiscales.
    • Calcul de la prime par application du taux de variation de la valeur de l’entreprise (quand il est positif) au montant de référence fixé pour chaque salarié (pas de versement en cas de taux négatif ou nul).
    • Prime plafonnée à 75% du PASS.
    • Principe de non-substitution à tout élément de rémunération et à un autre dispositif d’épargne salariale ou de partage de la valeur.
    • Régime social favorable pour les primes versées au cours des exercices 2026 à 2028
      • Exonération de toutes les cotisations sociales, de forfait social, de la participation construction, des contributions à la formation – mais devrait être soumise à CSG-CRDS
      • Soumission à une contribution spécifique au profit de la CNAV (taux actuel 20%)
    • Prime soumise à l’impôt sur le revenu
      • Sauf affectation et blocage sur PEE/PER : exonération partielle d’impôt sur le revenu (limitée à 5% du plafond d’exonération sociale, donc à 3,75% du PASS) : infidélité à l’ANI qui prévoyait les mêmes avantages sociaux et fiscaux que les autres dispositifs de partage de la valeur.
  • Pour qui ?
    Toutes les entreprises (même champ d’application que défini à l’article L.3311-1 du Code du travail sur l’intéressement).
  • Quand ?
    Mise en œuvre subordonnée à la publication d’un décret déterminant les conditions de dépôt et de sécurisation ainsi que le délai dans lequel le salarié peut demander l’affectation de la prime PPVE à un plan d’épargne salariale ou retraite.
  • Points d’attention
    • Durée incompressible de trois ans.
    • Un salarié qui atteint l’ancienneté requise ou quitte l’entreprise au cours de la période triennale, ne bénéficie pas du PPVE.
    • Absence de publication sur la base de données nationale des accords collectifs.
    • Absence de possibilité d’abondement en cas de versement de la prime PPVE sur un plan d’épargne salariale ou retraite.
    • Pas d’application possible aux mandataires sociaux non titulaires d’un contrat de travail.
    • La prime PPVE n’a pas le caractère d’élément de salaire pour l’application de la législation du travail (non prise en compte dans les indemnités de rupture).
    • Incertitude : comment se définit une impossibilité d’application de la formule ?

Il conviendra de rester à l’affût des décrets d’application, ainsi que de toute précision que pourrait apporter l’Administration.

Voir aussi :

  • Notes

    1. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000048480565 : Loi n° 2023-1107 du 29.11.23 portant transposition de l'accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise
    2. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/jo/2023/11/30/0277
    3. Par exemple, n’a pas été reprise la demande des signataires de l’ANI de réalisation d’un bilan d’ici fin 2024 sur l’application des dispositions de la loi PACTE sur les modalités de prise en compte d’un franchissement de seuil d’effectif inscrite à l’article L.130-1 du Code de la Sécurité sociale (gel du franchissement de 5 années). N’a pas non plus été reprise la demande des partenaires sociaux d’insérer dans la loi une mention à la possibilité de prendre en compte des critères relevant de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) dans les formules d’intéressement.
    4. Les deux articles du Titre I relatif au dialogue social sur les classifications (articles 1 et 2) et les trois articles du Titre IV sur le développement de l’actionnariat salarié (articles 17 à 19) ne sont pas abordés ici.
    5. Pour les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé, la valeur de l’entreprise correspond à sa capitalisation boursière moyenne sur les 30 derniers jours de bourse précédant le début et la fin de la période de trois ans.

Ce qu'il faut retenir

La Loi sur le partage de la valeur est un texte riche, dont les décrets d’application sont encore attendus, et dont la mise en œuvre au sein des entreprises ne manquera pas de susciter réflexions, négociations … et interrogations.

A propos de cet article

Par Marie Ballenghien

Avocate, Droit social – Senior Manager, France

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