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La mobilité transfrontalière à l’aune de la transposition de la directive (UE) 2019/2121 en France

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Retrouvez nos explications sur la transposition en France de la directive « mobilité transfrontalière » et l’allongement des calendriers à anticiper. 


Les points clés à retenir :

  • Un socle commun de règles applicables aux différentes opérations de mobilité transfrontalière ;
  • Une information renforcée des parties prenantes ;
  • Un droit de retrait bénéficiant aux associés opposés à l’opération projetée ;
  • Un contrôle anti-abus et anti-fraude de l’opération.

Conformément à l’habilitation prévue par la loi dite « DDADUE » du 9 mars dernier¹, l’ordonnance n°2023-393 du 24 mai 2023² (ci-après « l’Ordonnance ») a transposé, en France, la directive (UE) 2019/2121 du 27 novembre 2019 relative aux fusions, scissions et transformations transfrontalières (ci-après la « Directive »), avec quelques mois de retard par rapport à l’échéance du 31 janvier 2023. Précisons que le décret d’application a été publié immédiatement après³.

Dans l’expectative de cette transposition en France, nous présentions déjà, il y a quelques mois, les évolutions légales et réglementaires attendues⁴.  

Outre les modifications relatives au régime des fusions transfrontalières, l’Ordonnance introduit en droit français un dispositif juridique régissant les scissions transfrontalières, les apports partiels d’actif transfrontaliers (ci-après « APA ») et les transformations transfrontalières (ou transferts de siège transfrontaliers)⁵. Ce dispositif ne concerne que les sociétés de capitaux à savoir, pour la France, les sociétés par actions et les SARL.

A noter : Conformément aux dispositions de la Directive, le dispositif relatif aux scissions et APA transfrontaliers s’applique uniquement lorsqu’une société bénéficiaire est créée par suite de l’opération.

Chacune de ces opérations est régie par un socle commun de règles régissant le contenu du projet de traité, le rapport des organes de direction, la désignation d’un commissaire à la fusion/à la scission, la protection des parties prenantes (associés, salariés et créanciers) ainsi que la procédure de contrôle de l’opération avec, en particulier, un contrôle de légalité (ou de conformité) préalable particulièrement renforcé comme l’est aussi la protection des parties prenantes.

Ainsi, les calendriers vont se complexifier et surtout s’allonger et ce, même dans l’hypothèse d’opérations intra-groupe bénéficiant d’un régime simplifié. Par conséquent, les sociétés devront anticiper ces nouvelles contraintes de calendrier.

Comme pour les modifications intéressant les opérations de réorganisation domestiques⁶, les nouvelles dispositions du code de commerce s’appliquent d’ores et déjà aux opérations dont le projet de traité est déposé au greffe du tribunal de commerce depuis le 1er juillet 2023.

A noter : Chaque opération de mobilité transfrontalière (fusion, scission, apport partiel d’actif et transfert de siège) fait l’objet d’un corps de texte spécifique au sein de la section du code de commerce dédiée aux opérations transfrontalières⁷. Toutefois, les jeux de renvoi vers les opérations domestiques et vers les fusions transfrontalières pour les scissions, APA et transferts de siège transfrontaliers nuisent à la clarté des dispositifs applicables

1.       Une information renforcée des parties prenantes

En premier lieu, le droit d’information des salariés et des associés est renforcé en raison de sections spécifiques à leur intention dans le rapport de l’organe d’administration ou de direction de chacune des sociétés participantes, étant précisé que les associés peuvent renoncer, à l’unanimité, à l’information qui leur est destinée (laquelle ne s’applique pas non plus en cas de détention du capital à 100%)⁸.

En outre, dans le prolongement d’un renforcement des garanties accordées aux parties prenantes, le projet de traité devra prévoir, outre les informations requises auparavant par l’ancien article R.236-14, les indications suivantes⁹ :

(i)                  les motifs, buts et conditions de la fusion transfrontalière ;

(ii)                le cas échéant, les modalités d’attribution d’une offre de rachat aux associés ;

(iii)               les garanties offertes aux créanciers, telles que les cautionnements et les gages.

Le rapport des dirigeants, accompagné du projet de traité, devra être mis à la disposition des associés ainsi que des IRP¹⁰ (ou, à défaut, des salariés) six semaines avant l’assemblée générale appelée à se prononcer sur l’opération, étant précisé que cette mise à disposition interviendra préalablement au dépôt au greffe du projet de traité et des avis de publicité qui ne sont requis qu’au moins un mois avant l’assemblée¹¹.

En outre, reprenant une exigence de la Directive, l’article L.236-35 nouveau exige que soit publié et déposé au greffe un avis informant les associés, les créanciers et les IRP (ou, à défaut, les salariés eux- mêmes) sur la possibilité qu’ils ont de présenter, jusqu'à cinq jours ouvrables avant la date de l'assemblée générale, des observations concernant le projet de fusion transfrontalière. 

A noter : Auparavant, aucune disposition précise ne fixait la date à laquelle l’avis des IRP devait être rendu, les praticiens s’assuraient que la consultation soit réalisée avant la signature du projet de traité compte tenu de son caractère préalable au regard des dispositions du code du travail¹². Désormais, les articles L.236-34 et L.236-36 nouveaux du code de commerce prévoient respectivement que le projet de traité et le rapport des organes d’administration ou de directi

Enfin, comme exigé par la Directive transposée, dans un souci de protection des créanciers des sociétés participant à l’opération, ceux-ci pourront former opposition à l’opération dans un délai de trois mois « à compter de la dernière insertion ou de la mise à disposition du public du projet de fusion transfrontalière sur le site internet de chacune des sociétés prescrites par l'article R. 236-2 ou, le cas échéant, par l'article R. 236-3. »¹⁴. Quoi qu’il en soit, rappelons que l’opposition n’aura pas pour effet d’interdire la poursuite des opérations de fusion¹⁵.

2.       Un droit de retrait au bénéfice des associés qui s’opposent à l’opération¹⁶

En l’absence d’unanimité, dans un souci de protection des minoritaires ayant voté contre le projet, la Directive a souhaité mettre en place un droit de retrait qui n’est plus facultatif pour les Etats membres. 

A noter : L’unanimité étant exclue, l’article L.236-38 nouveau du code de commerce relatif aux fusions transfrontalières (applicable par renvoi aux scissions et APA transfrontaliers) prévoit les règles de majorité suivantes : • S’agissant des SARL, les statuts ne pourront pas prévoir une majorité supérieure à 90% des voix dont disposent les associés présents ou représentés ; • S’agissant des SAS, les statuts devront prévoir une majorité comprise entre les deux tiers et 90% de

Jusqu’à présent, rappelons que le droit français ne prévoyait pas de droit de retrait en cas de fusion transfrontalière, un tel droit de sortie étant uniquement envisagé en matière de transfert de siège social d’une société européenne¹⁷. 

Désormais, il est prévu tant pour les opérations de fusion transfrontalières que pour les opérations de scission, de scission partielle et de transformation transfrontalières. En revanche, l’article L.236-49 nouveau du code de commerce l’exclut en cas d’apport partiel d’actifs transfrontalier.

Le droit de retrait ne bénéficie qu’aux associés ayant voté contre l’opération, aux porteurs d’actions sans droit de vote et aux associés dont le droit de vote est suspendu temporairement. Il convient de relever que ce droit de retrait ne s’applique pas aux associés de la société absorbante en cas de fusion : en effet, ils ne subissent aucun changement de loi au titre des actions ou parts déjà détenues dans celles-ci.

Il peut s’exercer dans un délai de dix jours à compter de la date de décision de l’opération concernée¹⁸ et le versement du prix devra intervenir au plus tard dans un délai de deux mois après la date de prise d’effet de l’opération¹⁹.

Dans leur rapport, les dirigeants devront communiquer des informations sur la méthode utilisée pour déterminer l’offre de rachat²⁰ et le commissaire à la fusion, à la scission ou à la transformation, selon le cas, devra également se prononcer sur le caractère adéquat de cette méthode dans son propre rapport²¹.

3.       Un contrôle de conformité et un contrôle de légalité assurés désormais uniquement par le greffier

Le contrôle de conformité préalable : La Directive a imposé aux Etats membres la désignation d’une autorité nationale chargée d’un véritable pouvoir d’investigation afin de contrôler la conformité de l’opération transfrontalière, et de délivrer ensuite le certificat préalable à l’opération. Ainsi, en France, comme la loi DDADUE nous l’annonçait déjà, les greffiers des tribunaux de commerce²² ont été désignés pour réaliser ce contrôle.

Le greffier devra désormais réaliser tant un contrôle formel qu’un contrôle anti-fraude et anti-abus de l’opération : à cet effet, il pourra solliciter des autorités compétentes toute information qu'il estime nécessaire, faire appel à un expert indépendant dont la rémunération sera prise en charge par la société concernée, s’assurer que l’opération n’est pas réalisée en vue de priver les salariés de leurs droits en matière de participation²³. Enfin, dans le cadre de sa mission, le secret professionnel ne pourra lui être opposé.

Soulignons également l’allongement de la liste des documents et informations à remettre au greffier compétent en charge du contrôle de conformité préalable. Au-delà des éléments qui étaient auparavant transmis à l’autorité compétente dans le cadre du contrôle de légalité, il conviendra d’ajouter notamment²⁴:

  • le rapport des organes d’administration/dirigeant ainsi que le rapport du commissaire à la fusion ;
  • les observations des parties prenantes ;
  • la liste des filiales précisant le pays dans lequel chacune est immatriculée ;
  • le nombre de salariés au jour de la mise à disposition du projet ;
  • les informations relatives au respect des engagements de la société envers les organismes publics ;
  • un document attestant que les sociétés ont approuvé le projet dans les mêmes termes et que les modalités relatives à la participation des salariés ont été fixées conformément aux dispositions applicables.

Cette exigence de contrôle doit être respectée à peine de nullité de l’opération transfrontalière en cause même si ce contrôle est un passage obligatoire pour publier et rendre l’opération opposable aux tiers. En effet, le greffier a la possibilité de bloquer l’opération si les conditions et procédures vérifiées ne sont pas conformes.
 

Le renforcement du contrôle préalable a, pour conséquence, un allongement du calendrier. En effet, ce contrôle sera réalisé dans un délai minimum de trois mois à compter de la réception de la copie du procès-verbal de l'assemblée approuvant l’opération ou, en l'absence d'assemblée, à compter de la date à laquelle l'organe compétent a décidé de la fusion. Ce délai pourra être prolongé en cas de mesures d’enquêtes ou demandes d’informations supplémentaires mais également en cas de complexité de l'opération. Ainsi, le greffier dispose d’un délai maximum de huit mois pour exercer son contrôle préalable de conformité.
 

Reste à espérer, comme indiqué dans les travaux parlementaires de la loi d’habilitation, que des lignes directrices soient élaboréesafin de permettre à l’ensemble des greffiers des tribunaux de commerce « de disposer d’un référentiel commun » pour la réalisation de leur contrôle.
 

Le contrôle de légalité : Il ne sera désormais plus possible de faire appel à un notaire, seuls les greffiers étant compétents. Comme auparavant, le contrôle sera réalisé dans un délai de quinze jours à compter de la réception de l’ensemble des documents requis dont le certificat de conformité datant de moins de six mois.
 

4.       Encadrement de la date d’effet de l’opération
 

S’agissant de la date d’effet de l’opération entendue a priori comme la date de réalisation juridique de l’opération, la Directive laissait le soin aux Etats membres de la fixer en précisant que cette date devait être postérieure au contrôle de légalité et pour ce qui concerne les scissions transfrontalières, aux notifications relatives à l’immatriculation des sociétés bénéficiaires.
 

Or, si l’article L.236-44 nouveau du code de commerce renvoie à la date d’immatriculation de la société pour ce qui concerne l’hypothèse de création d’une ou plusieurs sociétés, le texte laisse aux parties le soin de fixer la date d’effet dans le projet de traité dans les autres cas. Toutefois, cette date est encadrée puisqu’elle ne peut être :

  • ni postérieure à la date de clôture de l’exercice en cours de la société bénéficiaire pendant lequel a été réalisé le contrôle de légalité ;
  • ni antérieure à ce contrôle (ce qui paraît conforme au texte de la Directive) ou à la réception par l’autorité compétente du siège de chaque société ayant participé à l’opération, du certificat de conformité. Cette dernière précision n’est, quant à elle, pas d’une grande clarté et pourrait être considérée comme contraire à la Directive qui n’autorise pas une date d’effet antérieure à l’exécution du contrôle de légalité.

Enfin, pour ce qui concerne les transformations transfrontalières, précisons que la date d’effet correspondra à la date d’immatriculation de la société au RCS conformément à l’article L.236-53 nouveau du code de commerce.

Par trois arrêts du 29 novembre 2023 publiés au bulletin et au rapport, la Cour de cassation assouplit sa jurisprudence en matière de nullité des conventions conclues par une société en formation.

 

Par trois arrêts de principe du 29 novembre 2023¹, la chambre commerciale de la Cour de cassation assouplit sa jurisprudence s’agissant des conventions conclues par une société en cours de constitution qui ne jouit de la personnalité morale qu’à partir de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés.
 

En effet, la Cour de cassation considérait jusqu’à maintenant que seuls étaient valables et pouvaient être repris après l’immatriculation de la société en formation conformément aux articles L. 210-6 et R. 210-6 du code de commerce, les engagements expressément souscrits « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation. Ainsi, étaient nuls de nullité absolue les actes passés directement « par » la société, alors même que les mentions de l'acte ou les circonstances permettaient de conclure « que l'intention des parties était que l'acte soit accompli en son nom ou pour son compte ».
 

La Cour de cassation décide d’opérer un revirement de jurisprudence en prenant en considération les effets délétères de sa position passée « parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements, et [ayant] paradoxalement pour conséquence de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger, sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants, qui, en cas d'annulation de l'acte, se trouvent dépourvus de tout débiteur. ».
 

Relevant que les textes applicables n’imposent pas que l’acte mentionne expressément qu’il soit passé  « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation, elle juge qu’il convient désormais de reconnaître « au juge le pouvoir d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas que l'acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits. »

Ce qu'il faut retenir

Si la directive (UE) 2019/2121 a permis d’élargir le champ de l’harmonisation des règles en matière de mobilité transfrontalière en encadrant les scissions, APA et transformations transfrontalières, le cadre protecteur mis en place entraîne nécessairement un allongement des calendriers de mise en œuvre. Les sociétés concernées devront anticiper les contraintes de calendrier qui résultent aussi de la transposition de la directive dans les Etats membres dont elles relèvent.

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