4. Création d’un régime juridique propre aux scissions partielles²⁶
La directive (UE) 2019/2121 donne une définition large des opérations considérées comme des scissions transfrontalières. Parmi celles-ci, figure la scission partielle transfrontalière²⁷. En conséquence, comme l’annonçait l’étude d’impact accompagnant le projet de loi dit DDADUE, « Il apparaitrait […] incohérent que certains aspects soient plus stricts […] pour des fusions entre sociétés françaises qu’entre une société française et une société d’un autre Etat membre ». L’étude d’impact prenait l’exemple, parmi les schémas de scissions transfrontalières régis par la directive, de la scission partielle qui permet d’attribuer directement les actions perçues en rémunération de l’apport aux associés de la société apporteuse. L’opération n’étant pas consacrée au niveau national, les praticiens étaient contraints de procéder en deux étapes successives pour y parvenir, à savoir un apport partiel d’actif suivi d’une distribution en nature par la société apporteuse à ses associés.
Comme cela était suggéré, l’Ordonnance consacre donc la scission partielle dans notre droit et l’alinéa 2 de l’article L.236-27 lui réserve un régime propre qui toutefois interroge déjà…
Comme on le sait, la scission partielle est un apport partiel d’actif placé sous le régime des scissions mais la société apporteuse ne se voit pas attribuer les droits sociaux de la société bénéficiaire émis en contrepartie de l’apport puisque ceux-ci seront attribués « directement aux associés de la société qui apporte une partie de son actif » [ajout du gras].
Cependant, la transposition fidèle des termes de la directive susvisée soulève quelques questions techniques. En effet, le texte précise que cette opération peut aussi - au-delà de l’attribution des droits sociaux de la société bénéficiaire aux associés de l’apporteuse - permettre d’attribuer de manière alternative :
- les droits sociaux de la société apporteuse aux associés de l’apporteuse, ou,
- les droits sociaux des sociétés apporteuse et bénéficiaire aux associés de l’apporteuse.
Or, l’on voit mal comment les droits sociaux de la société apporteuse pourraient représenter la contrepartie de l’apport ? Dans cette hypothèse, les associés de l’apporteuse étant déjà propriétaires des droits sociaux en question, cette « attribution » est/serait pour le moins surprenante…
Comme le souligne un auteur²⁸, une hypothèse envisageable serait celle de titres auto-détenus par la société apporteuse qu’elle attribuerait ensuite à ses propres associés. Or, dans la mesure où le texte semble exiger que les droits sociaux attribués représentent la contrepartie de l’apport, encore une fois, l’on voit mal comment cela pourrait être mis en œuvre.
Enfin, s’agissant de la mise en œuvre de l’opération de scission partielle, les dispositions réglementaires prévoient que le projet de traité devra contenir les informations suivantes :
- La répartition envisagée, au bénéfice des associés de la société apporteuse, des actions ou des parts attribuées en contrepartie de l'apport, ainsi que les critères sur lesquels cette répartition est fondée.
Cette rédaction semble permettre une répartition inégalitaire entre les associés de la société apporteuse c’est-à-dire une attribution non proportionnelle aux droits de chaque associé dans le capital de l'apporteuse, ce qui déclenchera l’application de la procédure de contrôle des avantages particulier dans les sociétés par actions. Comme le précise un auteur, il serait alors « possible de valoriser la durée de présence dans la société, l'assiduité en assemblée, de rehausser une participation minoritaire ou encore de réserver cette attribution à certaines catégories d'actions »²⁹. Pourtant, une telle répartition inégalitaire ne serait pas exempte de critiques au regard notamment du droit de propriété des associés de la société apporteuse comme le remarque ce même auteur³⁰.
- Les modalités pratiques de l’attribution des actions aux associés de l’apporteuse : Le II de l’article R.236-19 du code de commerce évoque soit une réduction de capital de la société apporteuse, soit une « imputation sur les capitaux propres » de celle-ci. On comprend dès lors que les droits sociaux de la société bénéficiaire transiteront nécessairement à un instant de raison par le patrimoine de la société apporteuse, ce qui pourrait apparaître contradictoire au vu des dispositions légales qui mentionnent une attribution « directement aux associés de la société qui apporte une partie de son actif ».
Si l’hypothèse de la réduction de capital s’avère assez claire et facile à mettre en œuvre sous réserve de bien anticiper, sur le calendrier, les impacts liés au respect des droits d’opposition des créanciers, l’hypothèse de « l’imputation sur les capitaux propres » soulève des interrogations. En effet, il n’est pas certain qu’il faille procéder à une distribution soumise aux dispositions des articles L.232-11 et L.232-12 du code de commerce, le texte n’obligeant qu’à préciser, dans le projet de traité, les modalités comptables de l'opération. Néanmoins, un prélèvement sur les capitaux propres au-delà des limites de la capacité de distribution pourrait apparaître critiquable³¹.
Comme mentionné précédemment, cette nouvelle opération unique de scission partielle constitue une alternative aux opérations d’apport puis d’attribution/distribution de titres qui étaient jusqu’à présent la seule solution en deux temps pour réaliser une scission partielle. D’un point de vue comptable, son introduction dans le dispositif juridique français devrait être l’occasion pour l’Autorité des Normes Comptables de définir le traitement comptable à la fois de cette scission partielle nouvellement définie et de l’attribution des titres suite à un apport, cette opération n’ayant jamais fait l’objet d’une réglementation comptable. Ces deux modalités ayant le même objectif et le même résultat, les conséquences comptables devraient à notre avis être identiques.
Au regard du droit fiscal, à titre liminaire, il convient de relever que les nouvelles règles du code de commerce ne semblent pas s’opposer à ce qu’une opération d’apport-attribution soit réalisée comme actuellement en deux étapes et soit donc susceptible de bénéficier du régime de neutralité fiscale découlant des dispositions des articles 210-0 A et suivants et de celles du 2 de l’article 115 du code général des impôts.
Ce régime de neutralité fiscale peut-il s’appliquer à l’opération de scission partielle nouvellement définie au code de commerce en l’état actuel des textes fiscaux ?
Au-delà des conditions tenant à ce que l’apport porte sur une branche complète d’activité et que la société apporteuse conserve une branche complète d’activité, qui ne sont pas prévues dans la définition de la scission partielle du code de commerce, les règles fiscales prévoient que soient attribués aux associés de la société apporteuse les titres de la société bénéficiaire de l’apport³² et que cette attribution se fasse proportionnellement aux droits de ses associés³³. De telles conditions sont d’ailleurs conformes à la directive sur le régime fiscal des fusions qui définit la scission partielle comme « l’opération par laquelle une société transfère, sans être dissoute, une ou plusieurs branches d’activité à une ou plusieurs sociétés préexistantes ou nouvelles, en laissant au moins une branche d’activité dans la société apporteuse, en échange de l’attribution à ses associés, au prorata, de titres représentatifs du capital social des sociétés qui bénéficient des éléments d’actif et de passif et, éventuellement, d’une soulte en espèces ne dépassant pas 10 % de la valeur nominale ou, à défaut de valeur nominale, du pair comptable de ces titres »³⁴. Cette définition est ainsi plus étroite que celle de la directive (UE) 2019/2121 du 27 novembre 2019 relative aux fusions, scissions et transformations transfrontalières aujourd’hui transposée dans le code de commerce. En conséquence, seules les scissions partielles qui, outre la condition tenant à l’existence de deux branches complètes d’activité, seraient effectuées par l’attribution aux associés de l’apporteuse, au prorata de leurs droits, de titres de la société bénéficiaire de l’apport seraient susceptibles de bénéficier du régime de neutralité fiscale.
Même dans ce cas de figure, l’application du régime de neutralité fiscale pourrait nécessiter un aménagement des règles existantes ou, au moins, une certaine souplesse d’interprétation. En effet, si on peut faire valoir que la définition de l’apport partiel d’actif figurant au 4° du I de l’article 210-0 A du CGI inclut, en l’état, cette scission partielle et que l’attribution de titres en résultant peut également entrer dans le champ du 2 de l’article 115 du CGI, il ressort toutefois des dispositions de l’article 210 B du CGI que l’application du régime de faveur des fusions aux apports partiels d’actif n’avait été envisagée que dans le cas où la société apporteuse recevait des titres en rémunération de l’apport. Or, dans l’hypothèse de la nouvelle figure de scission partielle, les titres semblent être directement attribués aux associés sans transiter par le patrimoine de la société apporteuse ce qui ne correspond pas aux solutions posées à l’article 210 B du CGI.
Une difficulté similaire existe pour l’application du régime de faveur en matière de droits d’enregistrement au regard de la définition de la notion d’apport partiel d’actif³⁵.
Afin de clarifier la situation et d’éviter toute incertitude susceptible de nuire à la réalisation de telles opérations, il serait souhaitable que le législateur intervienne ou, à tout le moins, que l’administration prenne rapidement position en ce sens³⁶.
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5. Modifications relatives au régime simplifié des apports partiels d’actif³⁷
En premier lieu, le champ d’application du régime de l’apport partiel d’actif simplifié est étendu expressément aux opérations impliquant des SARL. Jusqu’à présent, ce régime simplifié, prévu à l’ancien article L.236-22, n’était ouvert qu’aux sociétés par actions.
En second lieu, le régime est modifié à la marge mais néanmoins, de manière importante.
En effet, restent inchangées les dispositions prévoyant :
- D’une part, l’absence d’approbation de l’opération par l’assemblée des associés des sociétés concernées. Pour autant, la nécessité de constater une augmentation de capital au niveau de la société bénéficiaire en contrepartie de l’apport reçu oblige, selon nous, à maintenir une telle assemblée à tout le moins au sein de la société bénéficiaire ;
- D’autre part, la dispense d’établissement du rapport des organes d’administration ou de direction.
En revanche, la dispense du recours du commissaire aux apports et à la scission est modifiée puisque celle-ci ne porte plus désormais que sur le rapport du commissaire à la scission prévu au I de l’article L.236-10 du code de commerce. En conséquence, l’opération ne pourra pas être dispensée d’être revue par un commissaire aux apports dont le rapport est visé au III de l’article L.236-10.