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Actes souscrits au nom et pour le compte d’une société en formation : la volonté des parties consacrée

Par trois arrêts du 29 novembre 2023 publiés au bulletin et au rapport, la Cour de cassation assouplit sa jurisprudence en matière de nullité des actes conclus par une société en formation.

Article co-rédigé avec Alex Lacabe, avocat collaborateur, EY Société d’Avocats.


En résumé :

  • La Cour de cassation vient assouplir sa jurisprudence en matière de reprise des actes conclus au nom et pour le compte d’une société en formation
  • Abandon de la nullité automatique des actes n’étant pas formellement conclus « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation.
  • Les juges du fonds peuvent désormais rechercher, à travers une étude des circonstances intrinsèques comme extrinsèques de l’acte, si l’intention des parties était qu’il fut passé au nom et pour le compte de la société en formation.

La période de formation d’une société est une zone de flou juridique : la société n’existe pas encore, pour autant ses fondateurs doivent prendre des engagements pour permettre sa constitution, comme par exemple la signature d’un bail.

Selon les dispositions des articles 1842 du Code civil et L.210-6 du Code de Commerce, la société ne jouit de la personnalité morale qu’à compter de son immatriculation au Registre du Commerce et des Sociétés. Pendant la période de formation des sociétés, les fondateurs peuvent néanmoins agir et conclure des conventions au nom ou pour le compte de la société en formation : ils seront alors tenus solidairement et indéfiniment responsables des actes accomplis et ce, jusqu’à la reprise des engagements souscrits une fois la société immatriculée.

Ces engagements seront, en effet, réputés souscrits dès l’origine par la société selon les trois procédures suivantes¹ :

  • Reprise automatique des engagements si, avant la signature des statuts constitutifs, un état précis des actes accomplis pour le compte de la société en formation est annexé à ceux-ci, et/ou,
  • Reprise automatique des engagements si, entre la signature des statuts constitutifs et l’immatriculation, un mandat précis² est donné par les associés ou actionnaires fondateurs à l’un ou plusieurs d’entre eux³ de prendre certains engagements pour le compte de la société en formation, et/ou,
  • Après immatriculation de la société, si les actes accomplis pour le compte de la société en formation sont approuvés par les associés ou actionnaires.

Toutefois, en prenant en compte l’absence de personnalité juridique de la société en cours de formation, la Cour de cassation estimait également que les engagements pris ne pouvaient pas être conclus directement « par la société en formation »..

I. L’exigence rédactionnelle de la jurisprudence antérieure

La jurisprudence prévoyait depuis de nombreuses années une condition rédactionnelle rigoureuse pour valider la reprise des engagements pour le compte de la société en formation. L’acte conclu devait être impérativement souscrit par les fondateurs eux-mêmes « au nom »⁴ ou « pour le compte »⁵ de la société en cours de constitution. La société ne pouvait donc pas figurer directement en qualité de partie à l’acte, quand bien même la procédure de reprise d’acte était respectée.

 

Cette exigence visait à assurer la sécurité juridique : on peut effectivement comprendre qu’une convention ne puisse pas être signée par une partie dénuée de capacité juridique. L’exigence résultait ainsi du « caractère dérogatoire du système instauré par la loi » permettant de réputer conclus par une société des actes signés avant son immatriculation.

 

La sanction était radicale en cas de non-respect de cette exigence : étaient nuls de nullité absolue les actes passés directement « par » la société, alors même que les mentions de l'acte ou les circonstances permettaient de conclure « que l'intention des parties était que l'acte soit accompli en son nom ou pour son compte ». N’était donc pas admise la possibilité de confirmation par des actes d'exécution intervenus postérieurement à l'immatriculation de la société.

 

Le formalisme exigé a, en conséquence, fait naître un abondant contentieux lié aux maladresses rédactionnelles tenant à la comparution des parties à l’acte. Une évolution jurisprudentielle était donc souhaitable.

II. La commune intention des parties consacrée

La Chambre Commerciale de la Cour de cassation a finalement opéré un revirement jurisprudentiel via trois arrêts rendus concomitamment le 29 novembre 2023⁶ tous publiés au Bulletin et au rapport de la Cour de cassation.

La Haute Cour assouplit l’exigence rédactionnelle antérieure en considérant que les juges peuvent désormais rechercher la commune intention des parties.

Pourquoi un tel revirement après des années d’une jurisprudence particulièrement rigoureuse ?

La Cour de cassation prend en considération les effets délétères de sa position passée « parfois utilisée par des parties souhaitant se soustraire à leurs engagements, et [ayant] paradoxalement pour conséquence de fragiliser les entreprises lors de leur démarrage sous forme sociale au lieu de les protéger, sans toujours apporter une protection adéquate aux tiers cocontractants, qui, en cas d'annulation de l'acte, se trouvent dépourvus de tout débiteur. ».

Relevant que les textes applicables n’imposent pas que l’acte mentionne expressément qu’il soit passé « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation, elle juge qu’il convient désormais de reconnaître « au juge le pouvoir d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas que l'acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits. » Dans les arrêts commentés, on relèvera que les circonstances étaient notamment les suivantes :

  • Mentions portées à l'acte : contrat spécifiant expressément que la société était en formation (arrêt n°22-18.295) ; contrat stipulant expressément que "les personnes dénommées aux présentes sont les seuls fondateurs de la société" et que "la présente opération est réalisée au nom et pour le compte de la société en formation dans le cadre des dispositions des articles L. 210-1 à L. 210-9 du code de commerce" et rappelant que "l'immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés emportera de plein droit reprise par elle des [présentes] qui seront alors réputées avoir été [conclues] dès l'origine par la société elle-même"  (arrêt n° 22-12.865).
  • Circonstances extérieures à l'acte : signature des statuts mentionnant l’acte (arrêt n°22-18.295) ; l'existence de correspondances entre les parties permettant de démontrer que le tiers cocontractant était clairement informé, avant la signature de l'acte, que celui-ci était conclu pour le compte d'une société en formation (arrêt n°22-21.623).

Dans deux des affaires (arrêts n° 22-18.295 et n° 22-12.865), la Cour de cassation censure les décisions des Cours d'appel qui n'ont pas donné de base légale à leur décision en s'abstenant de rechercher s'il ne résultait pas, non seulement des mentions de l'acte, mais aussi de l'ensemble des circonstances que, nonobstant une rédaction défectueuse, la commune intention des parties était que l'acte fût passé au nom ou pour le compte des sociétés en formation.

Les juges du fond devraient donc prendre en considération toutes les circonstances permettant de définir la commune intention des parties.

Cette nouvelle jurisprudence n’empêche pas, en tout état de cause, la rigueur rédactionnelle mais offre une marge d’interprétation au juge lorsque la lettre du contrat est ambiguë. On peut toutefois regretter que la Cour de cassation n’ait pas simplement admis que, dès lors que la procédure de reprise des actes prévue par le Code civil et le Code de commerce est respectée, l’acte conclu par la société en formation peut être validé dès l’origine ; la jurisprudence continue ainsi d’imposer un examen prétorien parfois aléatoire des circonstances de la conclusion de l’acte.

En pratique et par sécurité, il restera toujours conseillé aux parties :

  • d’éviter toute tournure de phrase dans la désignation des parties laissant à penser que l’acte est conclu « par » la société en formation,
  • d'indiquer dans l’acte que le signataire agit, non pour son compte personnel, mais au nom et pour le compte d'une société en formation désignée, même sommairement (dénomination, futur siège social notamment).

Afin d’éviter tout écueil, la formule suivante pourra être utilisée dans les comparutions d’un acte destiné à être repris par une société postérieurement à son immatriculation au Registre du Commerce et des Sociétés : Madame/Monsieur X, [date et lieu de naissance, nationalité, état civil, adresse du domicile], agissant au nom et pour le compte de la société en formation Y, sise [adresse du futur siège social].

Ce qu'il faut retenir

Les actes qui ne sont pas formellement passés « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation peuvent tout de même être repris par la société si telle était l’intention des parties, appréciée souverainement par les juges du fond.

En pratique, il reste conseillé de conserver le formalisme usuel afin de ne pas laisser de doute quant à la qualité des parties : l’acte doit être conclu par le fondateur « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation.

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