Pour évaluer cette distorsion, la Commission tiendra compte d’un certain nombre d’indicateurs tels que le montant, la nature, la finalité de la subvention ; la situation de l’entreprise, « notamment sa taille, et des marchés ou secteurs concernés » ainsi que le niveau et l’évolution de son activité économique.
Le Règlement liste¹⁵ des « catégories de subventions étrangères » considérées comme le plus susceptible de fausser le marché intérieur : subvention étrangère octroyée à une entreprise en difficulté, subvention étrangère sous la forme d’une garantie illimitée de dettes ou des passifs de l’entreprise, etc.
Le Règlement prévoit - à l’inverse - des hypothèses pour lesquelles le risque de distorsion semble pouvoir être écarté. Ainsi :
- Une subvention étrangère octroyée à une entreprise qui n’excède pas un montant de 4 millions d’euros sur trois années consécutives, est considérée comme peu susceptible de fausser le marché intérieur¹⁶ ;
- Dans le même ordre d’idées, une subvention étrangère visant à remédier aux dommages causés par des catastrophes naturelles ou par d’autres événements exceptionnels peut être considérée comme ne faussant pas le marché intérieur.
Un seuil de minimis est également fixé : si le montant total d’une subvention étrangère octroyée à une entreprise ne dépasse pas le montant d’une aide de minimis¹⁷ par pays tiers sur une période de trois années consécutives, cette subvention étrangère n’est pas considérée comme faussant le marché intérieur.
Enfin, autre élément important prévu par le Règlement à l’article 6, point 1 : la mise en balance. Ainsi, la Commission « peut, sur la base des informations reçues, mettre en balance les effets négatifs d’une subvention étrangère en termes de distorsion dans le marché intérieur […] et les effets positifs de celle-ci sur le développement de l’activité économique subventionnée concernée dans le marché intérieur, tout en tenant compte d’autres effets positifs de la subvention étrangère, tels que les effets positifs plus larges concernant les objectifs stratégiques pertinents, en particulier ceux de l’Union. ». A cet égard, le Livre blanc publié en juin 2020 évoquait, parmi les objectifs de politique publique de l’UE : la création d’emplois, la réalisation des objectifs de neutralité climatique et la protection de l’environnement, la transition numérique, etc.
2. Outils de contrôle
Trois outils de contrôle ont été mis en place par le Règlement : deux outils de notification préalable et un outil tenant à un pouvoir d’enquête ex officio de la Commission européenne.
Notifications ex ante des concentrations¹⁸
Le Règlement instaure un régime de notification préalable obligatoire et d’autorisation préalable des concentrations qui vient s’ajouter au régime standard prévu en droit de la concurrence par le Règlement n°139/2004.
Une concentration sera réputée réalisée en cas de fusion d’une ou plusieurs entreprises auparavant indépendantes, en cas de prise de contrôle ou encore, dans l’hypothèse de la création d’une entreprise commune (joint venture) accomplissant de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome.
L’obligation de notification préalable s’appliquera si les conditions suivantes sont remplies :
- Au moins une des parties à la fusion, l’entreprise acquise ou l’entreprise commune est établie dans l’UE et génère un chiffre d’affaires total d’au moins 500 millions d’euros dans l’UE ; et
- Une ou plusieurs parties – telles que désignées par le Règlement en fonction de l’opération concernée¹⁹ - ont reçu de pays tiers des contributions financières totales cumulées de plus de 50 millions d’euros au cours des trois années précédant l’opération (c’est-à-dire la conclusion de l’accord, l’annonce de l’OPA ou l’OPE, ou l’acquisition d’une participation de contrôle).
"Point d’attention : Le Q&A publié en juin 2023 apporte des précisions utiles quant à la distinction qu’il convient d’opérer entre la notion de contribution financière et celle de subventions étrangères, en particulier s’agissant de l’appréciation des seuils pour les opérations soumises à notification préalable. Une entreprise qui vendrait ses produits ou services à une entité publique d’un pays tiers devra prendre en compte le montant de ces ventes dans le cadre du calcul des seuils, c’est-à-dire pour la détermination du montant des contributions financières et ce peu important le fait que les conditions de vente soient conformes aux conditions normales de marché. Néanmoins, si ces ventes ont été, par exemple, réalisées suite à un appel d’offres compétitif, transparent et non discriminatoire et donc, a priori, à des conditions normales de marché, la Commission ne pourra pas ensuite considérer qu’il s’agit de subventions étrangères telles que définies à l’article 3, point 1, du Règlement dans la mesure où elles supposent un avantage réservé. "
Par ailleurs, en application de l’article 21, point 5, du Règlement, la Commission peut aussi demander, à tout moment avant sa réalisation, la notification préalable de toute concentration qui n’excéderait pas les seuils ci-dessus dès lors qu’elle soupçonne l’octroi de subventions aux entreprises concernées au cours des trois années précédant l’opération. Le dispositif de contrôle prévu pour les concentrations soumises obligatoirement à notification, sera alors appliqué.
La notification d’une concentration, par une ou plusieurs des parties à la concentration selon les cas²⁰, est effectuée préalablement à sa mise en œuvre²¹ et a un effet suspensif sur celle-ci²² comme dans le régime standard de contrôle des concentrations dans l’UE.
Après la phase d’enquête dont la durée peut s’étendre jusqu’à 130 jours maximum après la réception de la notification²³, la Commission européenne peut, en cas de distorsion de concurrence, interdire l’opération de concentration²⁴. Elle peut également, le cas échéant, assortir son autorisation du respect de certains engagements²⁵.
"Point d’attention : L’article 44, point 1, du Règlement prévoit expressément qu’il s’applique « sans préjudice de l’application […] du règlement (CE) n° 139/2004 ». Il faudra, en conséquence, procéder, le cas échéant, à deux notifications auprès de la Commission. Le considérant (39) du Règlement précise toutefois que « la Commission devrait s’efforcer de limiter la charge administrative pesant sur les parties notifiantes […]. En particulier, les entreprises devraient avoir la possibilité d’indiquer les informations spécifiques fournies dans le cadre d’une procédure au titre du présent règlement que la Commission a également le droit d’utiliser dans le cadre d’une procédure au titre du règlement (CE) n°139/2004. ». L’article 47, point 1, autorise ainsi la Commission à adopter éventuellement – dans le cadre de ses actes d’exécution – une procédure de notification simplifiée. "
Notifications ex ante dans le cadre des procédures de passation de marchés publics et de contrats de concession²⁶
En application de l’article 27 du Règlement, « Les subventions étrangères qui provoquent ou risquent de provoquer une distorsion dans le cadre d’une procédure de passation de marchés publics ou de concessions sont considérées comme des subventions étrangères qui permettent à un opérateur économique de soumettre une offre indûment avantageuse pour les travaux, les fournitures ou les services concernés. […] ».
En conséquence, une obligation de notification préalable s’appliquera si les conditions suivantes sont remplies :
- la valeur estimée du marché public ou de la concession ou de l’accord cadre hors TVA est égale ou supérieure à 250 millions d’euros ; et
- l’opérateur économique - « y compris les filiales dépourvues d’autonomie commerciale, ses sociétés mères et, le cas échéant, ses principaux sous-traitants et fournisseurs participant au même appel d’offres » - a bénéficié de contributions financières totales égales ou supérieures à 4 millions d’euros par pays tiers durant les trois années qui précèdent la notification.
En outre, une condition supplémentaire est prévue dans l’hypothèse où le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice décide de diviser le marché ou la concession en lots. En effet, la valeur du lot ou la valeur cumulée de tous les lots pour lesquels le soumissionnaire fait une offre doit être égale ou supérieure à 125 millions d’euros.
La notification doit être faite au pouvoir adjudicateur qui se charge de la transmettre « sans tarder » à la Commission²⁷. Au cours de l’enquête, toutes les étapes de la procédure de passation de marchés publics ou de concessions peuvent se poursuivre, à l’exception de l’attribution du marché ou de la concession²⁸ sauf cas particuliers.
La Commission peut également exiger, dans certains cas, une notification préalable lorsque les seuils ci-dessus ne sont pas atteints. En effet, l’article 29, point 8, du RSE dispose que lorsque la Commission « soupçonne qu’un opérateur économique a pu bénéficier de subventions étrangères au cours des trois années précédant la soumission de l’offre ou la demande de participation à la procédure de marchés publics ou de concessions », elle peut demander, avant l’attribution du marché ou de la concession, « la notification des contributions financières fournies par des pays tiers à cet opérateur économique ».
Après la phase d’enquête dont la durée peut s’étendre jusqu’à 130 jours maximum après la réception de la notification²⁹, la Commission européenne peut, en cas de distorsion de concurrence, interdire l’attribution du marché ou de la concession³⁰. Elle peut également, le cas échéant, assortir son autorisation du respect de certains engagements³¹.
"Point d’attention : Lorsque les conditions de la notification ne sont pas remplies, les opérateurs économiques seront tout de même soumis à une obligation de déclaration : ils devront alors lister toutes les contributions financières étrangères reçues et confirmer que celles-ci ne sont pas soumises à l’obligation de notification³². "
Examen ex officio ou d’office des subventions étrangères
Sur la base de toute information - quelle qu’en soit l’origine³³ - la Commission peut, de sa propre initiative, procéder à l’analyse de toute situation ou opération – bien que non soumise à l’obligation de notification préalable – et ce, dès lors qu’elle soupçonne une entreprise d’avoir bénéficié de subventions étrangères faussant le marché intérieur³⁴.
Il pourrait, par exemple, s’agir d’une opération de concentration non soumise à notification préalable parce que n’atteignant pas les seuils requis. Peu importe que l’opération soit déjà réalisée. A cet égard, on relèvera que le considérant (25) du Règlement va jusqu’à prévoir la faculté pour la Commission de décider de la remédiation d’une distorsion importante en ordonnant aux entreprises concernées de dissoudre la concentration.
En revanche, s’agissant des marchés publics et concessions, le Règlement précise que les examens d’office se limitent aux marchés et concessions déjà attribués, et « n’entraînent pas l’annulation de la décision d’attribution d’un marché ou d’une concession, ni la résiliation d’un marché ou d’une concession »³⁵.
3. Pouvoirs de la Commission et sanctions applicables
La Commission est la seule autorité compétente pour appliquer le Règlement.
Elle dispose de pouvoirs d’enquête tels que des demandes de renseignement à l’entreprise concernée ou à toute autre entreprise ou à tout Etat membre ou pays tiers³⁶ ainsi que toute personne physique ou morale qui l’accepte ; des inspections sur site des entreprises dans les pays de l’UE ou à l’étranger si le pays tiers ne s’y oppose pas³⁷ ; ou encore, des enquêtes sectorielles.
"Point d’attention : Un dialogue avec le pays tiers est également possible³⁸. En effet, la Commission peut engager un tel dialogue « afin d’étudier les options visant à obtenir la cessation ou la modification de ces subventions en vue d’éliminer leurs effets de distorsion dans le marché intérieur ». Pour autant, ce dialogue avec le pays tiers n’empêchera pas la Commission de prendre des mesures individuelles au titre du Règlement. D’ailleurs, il est expressément prévu qu’elles ne sont pas abordées dans le cadre de ce dialogue. "
Des sanctions sous forme d’astreinte ou d’amendes sont prévues en cas d’infractions au Règlement pendant les phases d’enquête et la phase de mise en œuvre des engagements.
Toute opposition à enquête et toute transmission d’information incomplète ou inexacte³⁹ est passible :
- de sanctions financières⁴⁰ jusqu’à 1% du chiffre d’affaires total de l’entreprise concernée, réalisé au cours de l’exercice précédent ;
- d’une astreinte jusqu’à 5% de son chiffre d’affaires journalier par jour de non coopération.
Concernant les concentrations⁴¹, la Commission peut infliger aux entreprises concernées des amendes allant jusqu’à 1 % de leur chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice précédent si celles-ci fournissent – volontairement ou par négligence – des informations inexactes ou dénaturées dans leur notification. Par ailleurs, le défaut de notification préalable, le contournement des obligations de notification, la réalisation d’une concentration notifiée sans autorisation – volontairement ou par négligence – peut conduire à une sanction financière allant jusqu’à 10% du chiffre d’affaires réalisé par les entreprises concernées au cours de l’exercice précédent.
Concernant la participation aux procédures de passation des marchés publics et concessions⁴², la Commission peut infliger des amendes allant jusqu’à 1% du chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice précédent par les opérateurs économiques concernés s’ils fournissent – volontairement ou par négligence - des informations inexactes ou dénaturées dans la notification ou la déclaration transmises. Par ailleurs, comme pour les opérations de concentration, le défaut de notification préalable, le contournement des obligations de notification– volontairement ou par négligence – peut conduire à une sanction financière allant jusqu’à 10% du chiffre d’affaires réalisé par les entreprises concernées au cours de l’exercice précédent.
Enfin, lorsqu’elle constate des distorsions de concurrence, la Commission peut imposer des mesures réparatrices ou accepter des engagements de la part de l’entreprise⁴³. Parmi ces mesures figurent notamment : une restriction temporaire d’activité commerciale ; l’interdiction de certains investissements ; la publication de résultats de la recherche et du développement ; la cession de certains actifs ; l’octroi de licences à des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires pour les actifs acquis ou développés à l’aide de subventions étrangères ; l’obligation, pour les entreprises concernées, d’adapter leur structure de gouvernance ; le remboursement de la subvention étrangère avec intérêts.
Si ces mesures réparatrices ou les engagements ne sont pas respectés, la Commission peut infliger à l’entreprise concernée une sanction financière allant jusqu’à 10% de son chiffre d’affaires annuel réalisé au cours de l’exercice précédent et une astreinte jusqu’à 5% de son chiffre d’affaires total journalier moyen réalisé au cours de l’exercice précédent, par jour de non-exécution⁴⁴.
4. Dates d’application du Règlement
Le Règlement s’applique, sans transposition préalable par les Etats membres, dès le 12 juillet 2023. Toutefois, la Commission pourra examiner les subventions étrangères octroyées pendant les cinq années précédant cette date dès lors que celles-ci faussent le marché intérieur après le 12 juillet⁴⁵. D’où, un effet que nous pourrions qualifier de partiellement rétroactif.
Par dérogation, les obligations de notification ne s’appliqueront qu’à compter du 12 octobre 2023 et la Commission pourra examiner, dans ce cas, des contributions financières étrangères octroyées jusqu’à trois années précédant le 12 juillet 2023.
L’article 53 du Règlement précise également que les mécanismes de contrôle mis en place ne s’appliquent pas « aux concentrations pour lesquelles l’accord a été conclu, l’offre publique d’achat a été annoncée, ou un intérêt de contrôle a été acquis, avant le 12 juillet 2023 ». De même, elles ne peuvent s’appliquer ni « aux marchés publics ou concessions qui ont été attribués ni aux procédures ouvertes avant le 12 juillet 2023 ».
S’agissant des opérations de concentration dépassant les seuils de notification préalable et pour lesquelles un accord aura été conclu à compter du 12 juillet 2023, le Q&A des services de la Commission précise que ces opérations peuvent être soumises à notification préalable si elles se réalisent à compter du 12 octobre 2023⁴⁶.
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Le contrôle des subventions étrangères constitue ainsi, dorénavant, un nouveau champ de contrôle interne des groupes internationaux ayant ou voulant exercer une activité dans l’Union Européenne, afin de leur permettre d’évaluer et de réduire les risques associés.