9 min de temps de lecture 28 févr. 2024
Couple dans un supermarché

Conformité des produits : un nouveau règlement en matière de sécurité

Par Caroline Mercier-Havsteen

Avocat Associée, Business Law - Litigation & Arbitration, France

Responsable de l’équipe Résolution des litiges, spécialisée en contentieux des affaires notamment en matière internationale et médiatrice agréée

9 min de temps de lecture 28 févr. 2024
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Le règlement (UE) 2023/988 sera applicable dès le 13 décembre 2024. Retrouvez nos explications sur les principales nouveautés introduites par ce texte.

Les principales nouveautés du Règlement :

  • Intégration des produits issus des nouvelles technologies et des nouveaux modes de commercialisation, et
  • Renforcement des sanctions et des modes de coopération entre autorités de surveillance.

L’Union Européenne a lancé diverses réformes des instruments juridiques existant en matière de sécurité et de responsabilité des produits avec pour objectif d’améliorer la protection des consommateurs mais également d’adapter les textes pour tenir compte de la digitalisation de l’économie et des nouvelles technologies dont l’intelligence artificielle (« IA »).

C’est ainsi qu’un nouveau règlement (UE) 2023/988 a été adopté le 10 mai 2023 en matière de sécurité générale des produits¹ (ci-après le « Règlement »). Il est applicable à partir du 13 décembre 2024, étant précisé que certaines dispositions doivent faire l’objet d’adaptations par les Etats membres au niveau national. Ainsi, pour la France, l’article 2 du projet de loi DDADUE² contient ces mesures, la plus significative étant celle prévoyant des sanctions renforcées en matière de rappel de produits (cinq ans d’emprisonnement et une amende de 600.000 euros, montant pouvant être porté à 10% du chiffre moyen annuel de l’opérateur en cause).

Pour rappel, cette réglementation en matière de sécurité générale s’applique à tous les produits vendus à des consommateurs mais également à tout produit susceptible d’être utilisé par un consommateur dans des conditions raisonnablement prévisibles même s’il ne leur est pas destiné.

1. Le choix d’une harmonisation renforcée au sein de l’UE

La Commission a fait le choix de légiférer par la voie d’un règlement, texte d’application directe, pour réformer et renforcer le cadre existant issu des directives 2001/95/CE et 87/357/CEE, tout en préservant les principes de fonctionnement de ces textes : le Règlement (comme c’était déjà le cas pour les précédentes directives) constitue ainsi à la fois un « cadre législatif global et transversal » complémentaire à la législation d’harmonisation sectorielle applicable à certaines catégories de produits (ex : règlement « Machine »³, directives « Equipements sous pression »⁴) mais également un cadre minimal pour tous les produits non soumis à harmonisation.

Ce choix d’opérer par règlement traduit la volonté de la Commission d’imposer des règles particulièrement détaillées⁵ et identiques dans tous les Etats membres sans possibilité de transposition divergente. Il a également pour objectif de faciliter une application cohérente avec d’autres instruments de même nature comme le règlement (UE) 2019/2010 sur la surveillance du marché et la conformité des produits. Enfin, ce choix est destiné également à limiter en principe la charge réglementaire pour les entreprises en créant un cadre normatif unique applicable quel que soit le pays de commercialisation des produits au sein de l’Union européenne.

2. Les objectifs principaux du Règlement

Adapter le cadre aux nouvelles technologies

Le premier objectif du Règlement est de faire face aux nouveaux risques posés par le développement des nouvelles technologies en matière de sécurité des consommateurs.

Comme la directive 2001/95/CE, le Règlement rappelle que seuls des produits dits « sûrs » peuvent être vendus ou mis à disposition des consommateurs. Un produit sûr doit avoir, préalablement à sa commercialisation, fait l’objet d’une évaluation des risques et de la sécurité qui permette de conclure à son absence de dangerosité selon divers critères. Or, les nouvelles technologies sont susceptibles de créer des risques nouveaux dans la mesure où le produit peut subir des transformations ou modifications après sa commercialisation, notamment du fait d’interventions extérieures (piratages, mises à jour de logiciels, impact de l’intelligence artificielle, etc.). A ce titre, l’évaluation de la sécurité d’un produit doit au titre du nouveau Règlement tenir compte de ses fonctionnalités évolutives, d’apprentissage ou prédictives. Les caractéristiques de cybersécurité appropriées nécessaires pour protéger le produit contre les influences extérieures sont désormais aussi des éléments déterminants dans l’appréciation de la sécurité du produit.

Tenir compte du développement des nouveaux modes de commercialisation des produits

Le Règlement tient également compte de l’expansion de certains modes de commercialisation des produits (vente à distance mais également places de marché⁶). La Commission européenne avait tiré le signal d’alarme sur le nombre croissant de produits non sûrs faisant l’objet de ventes en direct aux consommateurs par le biais de places de marchés en ligne. En effet, à défaut d’être visées par la réglementation, la plupart de ces plateformes n’effectuaient pas de notifications des produits dangereux aux autorités⁷. En conséquence, il s’est avéré nécessaire de combler un vide dans la réglementation existante selon laquelle seuls les opérateurs primaires (producteur ou importateur au titre de la directive 2001/95/CE⁸) étaient tenus à notification. L’objectif du Règlement est donc d’apporter des mesures contraignantes détaillées à l’égard de l’ensemble des fournisseurs de places de marché en ligne, notamment en les obligeant à utiliser les outils de notification qui existent.

Améliorer la surveillance du marché

Afin d’améliorer la sécurité des produits, le Règlement prévoit une modernisation du système d’alerte RAPEX désormais désigné Safety Gate. Trois éléments composant le Safety Gate font l’objet de précisions : (i) les modalités de communication entre autorités nationales au travers du système d’alerte rapide, (ii) le point d’accès au portail Safety Business Gateway destiné aux entreprises, mais également (iii) le portail devant être accessible au grand public à la suite de notifications. La Commission devra également apporter des compléments au Règlement sur certains aspects techniques des notifications de produits dangereux comme notamment les critères d’évaluation du niveau de risques, les informations devant être fournies dans la notification, les modalités d’accès au portail.

Pour la sécurité des consommateurs, est également prévue la mise en place d’un réseau entre les autorités des Etats membres afin d’assurer une coordination et une coopération structurées pour faciliter l’échange d’informations, promouvoir l’échange d’expertises et de bonnes pratiques, améliorer le traçage, le retrait et le rappel des produits, contrôler et faciliter la mise en œuvre du Règlement dans tous les Etats membres.

Rendre les rappels de produits dangereux plus efficaces

Plusieurs mesures tendent à renforcer l’efficacité des rappels en permettant de contacter plus facilement et plus rapidement les consommateurs auxquels un produit dangereux a été vendu. Il est notamment prévu d’imposer aux opérateurs d’utiliser les données collectées dans le cadre de programmes de fidélité ou des plateformes d’enregistrement des produits (au titre notamment des garanties) pour faciliter l’information des consommateurs en cas de rappel de produits. En pratique, les opérateurs utilisaient déjà ces données pour opérer des rappels de produits. Néanmoins, leur utilisation devient désormais requise, ce qui suppose que ces données soient correctement renseignées et traitées.

3. Les principales nouveautés destinées à assurer les objectifs poursuivis

Une extension des obligations à de nouvelles catégories d’opérateurs économiques

Les dispositifs nationaux issus de la directive 2001/95/CE prévoyaient des obligations à la charge essentiellement des producteurs (fabricant, distributeur sous marque, etc.) et des importateurs et de manière plus marginale à la charge des distributeurs. Le nouveau Règlement adopte une définition élargie des opérateurs économiques⁹ puisque sont désormais aussi visés le mandataire du fabricant, les prestataires de service d’exécution de commandes mais également toute personne physique ou morale soumise à des obligations dans le cadre du Règlement. S’agissant de la catégorie des prestataires de service d’exécution de commandes, sont notamment visés les opérateurs ayant pour activité au moins deux des services suivants : entreposage, conditionnement, étiquetage et expédition.

Enfin, on rappellera que les fournisseurs de place de marché en ligne sont également soumis à certaines obligations¹⁰.

Un renforcement des exigences en matière de traçabilité et d’identification des produits des opérateurs économiques concernés

Le Règlement reprend un certain nombre d’obligations s’agissant de l’identification des fabricants¹¹ et importateurs¹² mais également du produit lui-même afin de faciliter les mesures de suivi et actions correctives à mettre en place pour tout produit dangereux mis sur le marché. 

Le texte impose, par ailleurs, expressément aux distributeurs de vérifier que ces informations sont bien fournies par les fabricants et importateurs avant la mise sur le marché du produit¹³.

Enfin, des dispositions spécifiques sont susceptibles de s’appliquer à certains produits ou catégories de produits afin de renforcer leur traçabilité dès lors que ces produits peuvent présenter un risque grave pour la santé des consommateurs¹⁴.

Une évolution dans l’évaluation de la sécurité des produits

Une procédure particulière est notamment prévue devant la Commission européenne pour avis dans l’hypothèse où plusieurs autorités de marchés parviendraient à des évaluations de risques divergentes¹⁵ sur un produit qui a fait l’objet d’une notification ou qu’une autorité a identifié comme potentiellement dangereux. La saisine de la Commission pour avis est néanmoins réservée aux Etats membres sans possibilité de saisine directe par les opérateurs économiques.

Des « recours » en faveur des consommateurs

Le Règlement détaille également les « recours » qui doivent être offerts par les opérateurs économiques aux consommateurs en cas de rappel de produits. Sauf impossibilité particulière, le consommateur doit avoir a minima le choix entre deux des trois options suivantes :

  • La réparation du produit ;
  • Le remplacement du produit par un produit de même type et dont la valeur et la qualité sont au moins les mêmes ;
  • Un remboursement adéquat de la valeur du produit (le remboursement étant systématiquement accessible au consommateur dès lors que les deux autres recours ne peuvent être offerts dans un délai dit raisonnable).

Les opérateurs devront donc intégrer ces options dans la gestion de leurs litiges avec les consommateurs mais également dans les informations à fournir au travers de leurs différents supports de communication.

Des sanctions devant être édictées par les droits nationaux

Le Règlement renvoie aux droits nationaux pour la détermination des sanctions applicables mais prévoit que les Etats membres doivent informer la Commission du régime de sanctions pris avant le 13 décembre 2024, date d’application du Règlement.

Comme mentionné plus haut, en France, le projet de loi DDADUE prévoit d’introduire un nouvel article L.452-5-1 dans le code de la consommation portant les sanctions pénales possibles, en cas de défaut en matière de rappel de produits, à une peine d’emprisonnement de cinq ans et une amende de 600.000 euros, ce montant pouvant être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits¹⁶. En outre, des peines complémentaires pourront également s’appliquer conformément à l’article L.452-6 du code de la consommation.

Au-delà des sanctions qui devront donc être édictées par les Etats membres, précisons que le Règlement¹⁷ prévoit que toute décision prise pour son application  - en imposant des restrictions à la mise sur le marché ou à la mise à disposition sur le marché d’un produit ou en imposant son retrait ou son rappel -  n’emporte pas de conséquences automatiques sur l’appréciation de la responsabilité des opérateurs économiques notamment au regard de  la directive 85/374/CE sur la responsabilité des produits défectueux. Ainsi, la mise en place d’un rappel de produits n’entraîne pas nécessairement une mise en jeu de la responsabilité de l’opérateur au titre de la responsabilité des produits défectueux.  Il existe néanmoins nécessairement des liens étroits dès lors que cette responsabilité est susceptible d’être mise en cause lorsque le produit ne répond pas à la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre¹⁸. La prochaine révision de la directive 85/374/CE¹⁹ sera d’ailleurs l’occasion de revenir sur les nouveautés en la matière.

  • Sources

    1. Règlement (UE) 2023/988 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 relatif à la sécurité générale des produits, modifiant le règlement (UE) n° 1025/2012 du Parlement européen et du Conseil et la directive (UE) 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil, et abrogeant la directive 2001/95/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 87/357/CEE du Conseil
    2. Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière d’économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, adopté par le Sénat en procédure accélérée le 20 décembre 2023 et qui fait actuellement l’objet d’un examen par les commissions saisies au fond à l’Assemblée nationale
    3. Règlement (UE) 2023/1230 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2023 sur les machines, abrogeant la directive 2006/42/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 73/361/CEE du Conseil
    4. Notamment directive 2014/29/UE du Parlement européen concernant les récipients à pression simple (« RPS »), directive du Parlement européen 2014/68/UE pour les équipements sous pression (« E.S.P »), directive 2010/35/UE du Parlement européen pour les équipements sous pression transportables («  ESPT »)
    5. Le Règlement comporte 52 articles et pas moins de 108 considérants préliminaires illustrant la volonté de l’Union européenne de fournir un cadre particulièrement précis s’agissant des obligations à la charge des opérateurs économiques mais également des Etats.
    6. Le Règlement définit le fournisseur d’une place de marché en ligne comme étant un prestataire de services intermédiaires utilisant une interface en ligne qui permet aux consommateurs de conclure des contrats à distance avec des professionnels pour la vente de produits.
    7. Certains fournisseurs de places de marché avaient néanmoins signé un engagement volontaire en 2018 en matière de sécurité des produits.
    8. Certains textes spécifiques aux plateformes avaient déjà intégré certaines règles comme le Règlement (UE) 2022/ 2065
    9. Article 3, 13) du Règlement
    10. Article 19 du Règlement
    11. Article 9 du Règlement
    12. Article 11 du Règlement
    13. Article 12 du Règlement
    14. Article 28 du Règlement
    15. Article 29 du Règlement
    16. Texte résultant du projet de loi adopté en 1ère lecture par le Sénat : « Art. L. 452‑5‑1. – Le fait pour un fabricant ou un importateur de ne pas mettre en œuvre les mesures prévues au paragraphe 8 de l’article 9 et au paragraphe 8 de l’article 11 du règlement (UE) 2023/988 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 relatif à la sécurité générale des produits, modifiant le règlement (UE) n° 1025/2012 du Parlement européen et du Conseil et la directive (UE) 2020/1828 du Parlement européen et du Conseil, et abrogeant la directive 2001/95/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 87/357/CEE du Conseil, ou pour un fournisseur de places de marché en ligne de ne pas respecter les obligations prévues au paragraphe 12 de l’article 22 du même règlement, est puni d’une peine d’emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 600 000 euros. Ce montant peut être porté, de manière proportionnée aux avantages tirés du délit, à 10 % du chiffre d’affaires moyen annuel, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits. ». Se pose la question, compte tenu de la rédaction du texte, de la possible multiplication par 5 de l’amende aux personnes morales, ce qui conduirait à un montant d’amende de 3.000.000 euros.
    17. Article 43 du Règlement
    18. Article 1245-3 du Code civil
    19. Communiqués de presse du 14 décembre 2023 du Parlement Européen et du Conseil de l’Union Européenne sur l’accord provisoire

Ce qu'il faut retenir

L’Union Européenne a lancé diverses réformes des instruments juridiques existant en matière de sécurité et de responsabilité des produits afin d’améliorer la protection des consommateurs et d’adapter les textes à la digitalisation de l’économie et aux nouvelles technologies dont l’intelligence artificielle (« IA »).

Le règlement (UE) 2023/988 en matière de sécurité générale des produits sera applicable dès le 13 décembre 2024, certaines dispositions devant faire l’objet d’adaptations par les Etats membres au niveau national.

A propos de cet article

Par Caroline Mercier-Havsteen

Avocat Associée, Business Law - Litigation & Arbitration, France

Responsable de l’équipe Résolution des litiges, spécialisée en contentieux des affaires notamment en matière internationale et médiatrice agréée

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