7 min de temps de lecture 17 sept. 2024
Vétérinaire et un éleveur de vaches

Contrôle effectif des SEL par les associés vétérinaires : do and don’ts

Par Christine Salès

Senior Manager, Business Law/Life Sciences, France

Christine est avocat aux Barreaux des Hauts-de-Seine et de New York. Elle accompagne les entreprises du secteur de la santé dans leurs projets stratégiques.

7 min de temps de lecture 17 sept. 2024
Expertises associées Droit des affaires

Cet article propose une grille de lecture des points de contrôle qui doivent être conservés par les associés professionnels dans les SEL.

En résumé :

  • les vétérinaires ne doivent pas seulement détenir plus de la moitié du capital et des droits de vote des SEL vétérinaires
  • ils doivent également pouvoir contrôler effectivement ces sociétés – un faisceau d’indices permettant de constater la perte de contrôle. A défaut, la radiation peut être encourue.

L’Ordonnance n°2023-77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées modifie les textes applicables aux sociétés d’exercice libérales : elle abroge ainsi la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990 qui réglementait les sociétés d’exercice libérales. L’Ordonnance prévoit que ses dispositions entrent en vigueur le 1er septembre 2024¹.

En l’absence de ratification de l’Ordonnance par le Parlement, il reste pertinent de faire le point sur la notion de contrôle effectif relevée par le Conseil d’Etat dans deux arrêts du 10 juillet 2023². (Le Conseil d’Etat vient d’ailleurs de rendre le 12 septembre 2024 une nouvelle décision³ dans laquelle il relève à nouveau cette notion de contrôle effectif.)

Pour mémoire, l’Article L. 241-17 II. 1° du Code rural et de la pêche maritime (le CRPM) impose la détention par des vétérinaires exercant au sein de la société vétérinaire de plus de la moitié du capital et des droits de vote de cette société vétérinaire⁴.

1.    La vérification de l’effectivité du contrôle par les vétérinaires de ces sociétés via un faisceau d’indices

Dans ces deux arrêts du 10 juillet 2023, le Conseil d’Etat a confirmé la décision du Conseil de l’Ordre des Vétérinaires de radier deux sociétés vétérinaires, précisant sa lecture de l’exigence prévue par l’Article L. 241-17 II. 1° du CRPM :

  • le Conseil d’Etat constate que selon la CJUE, « la recherche légitime des objectifs de protection de la santé publique et d'indépendance des vétérinaires peuvent justifier, au titre de la marge d'appréciation ainsi reconnue aux Etats membres, une réglementation nationale qui […] prévoit que le contrôle effectif de ces sociétés est assuré par les vétérinaires, garantissant ainsi l'indépendance des vétérinaires à l'égard d'impératifs commerciaux qui pourraient leur être imposés »⁵;
  • il relève que les statuts et le pacte d’associés des sociétés N. et O. comportent des stipulations reprenant formellement les exigences fixées par l’Article L241-17 II. 1° du CRPM;
  • mais il relève ensuite que la conjonction de plusieurs stipulations a conduit à priver d’effet les garanties prévues par ces dispositions législatives, avec pour résultat que les associés vétérinaires n’étaient pas en mesure de contrôler effectivement ces sociétés.

A noter que le Conseil d’Etat ne hiérarchise pas les indices relevés et ne précise donc pas si la réunion de certains indices pourrait suffire à priver des associés vétérinaires du contrôle effectif ainsi requis.

Les conclusions du Rapporteur public apportent un éclairage additionnel sur ces arrêts en mettant en avant certains indices de nature, selon lui, à convaincre du caractère fictif de la détention majoritaire du capital et des droits de vote par les associés vétérinaires.

2.    Eclairage sur les stipulations respectivement interdites et autorisées

Nous proposons de catégoriser comme suit les stipulations passées en revue par le Conseil d’Etat, en mettant en lumière la position du Rapporteur public, pour tenter d’identifier la ligne rouge à ne pas franchir ainsi que les stipulations qui, prises individuellement, semblent rester possibles.

Type de stipulation

Stipulation incluse dans le faisceau d’indices retenu par le Conseil d’Etat

Stipulation à risque selon le Rapporteur public

Stipulation possible sur la base du faisceau d’indices retenu par le Conseil d’Etat et des conclusions du Rapporteur public

Composition et rôle du conseil d’administration d’une société anonyme.

Nomination par l’assemblée générale de deux des trois membres du Conseil d’Administration sur proposition de l’associé non vétérinaire – le Conseil d’Administration ayant compétence pour prendre des décisions structurantes pour l’avenir de la société, notamment pour le choix des investissements ou la création et la suppression d’un poste de vétérinaire (N.).

Oui : cette stipulation limite le droit de vote des associés vétérinaires sur la désignation des administrateurs, qui est une des fonctions principales de l’assemblée générale ordinaire.

Minorité de blocage du membre du Conseil d’Administration proposé par l’associé non vétérinaire pour des décisions limitées, par exemple pour des décisions d’investissement.

(une telle minorité de blocage ne semblant pas possible si elle concerne la création ou la suppression d’un poste de vétérinaire, l’évolution de la rémunération des vétérinaires - et ce afin de préserver l’indépendance des vétérinaires dans leur exercice professionnel)

Composition et rôle de l’organe de contrôle d’une société par actions simplifiée

Nomination des membres du conseil de surveillance comme suit :

  • Un membre par la majorité des associés vétérinaires,
  • Un membre par l’associé non vétérinaire
  • Un membre par décision conjointe des deux premiers membres du comité de surveillance.

Le comité de surveillance a des pouvoirs très étendus :

  • Il nomme et révoque le président de la société
  • Il valide l’ordre du jour et les résolutions devant être soumises à l’assemblée générale
  • Il autorise les décisions du président relevant de sa compétence propre – notamment en matière de prise de participation, d’investissement, d’embauche ou de licenciement d’un salarié (dont un vétérinaire), d’augmentation de salaire… (O.)

Oui : selon le Rapporteur public, ces stipulations encadrent (ou restreignent) de facto le droit de vote des associés vétérinaires en assemblée générale.

Pouvoir de revue de l’ordre du jour de l’assemblée générale.

Autorisation de certaines décisions ne relevant pas de la compétence propre du Président, par exemple de décisions d’investissement.

Obligation de consultation de l’organe de contrôle sur certaines décisions (sans pouvoir de décision)

 

Convention de vote

Engagement des associés de voter en faveur de toute proposition d’affectation des résultats dès lors que le montant des investissements de l’année écoulée est au moins égal à 1,5% du chiffre d’affaires (N.)

Oui : selon le Rapporteur public, cette stipulation limite le droit de vote des associés vétérinaires sur le vote du budget, qui est une des fonctions principales de l’assemblée générale ordinaire.

Non : ces conventions de vote semblent représentatives des stipulations attentatoires à la liberté de vote des associés vétérinaires

Règles de quorum en assemblée générale

Exigence, pour que l’assemblée générale (assemblée générale ordinaire sur première convocation seulement / assemblée générale extraordinaire dans tous les cas) délibère valablement, que les associés présents ou représentés possèdent au moins 51% des droits de vote, avec pour conséquence que le quorum ne peut pas être atteint sans la présence (ou la représentation) de l’associé non vétérinaire (N.)

Oui : selon le Rapporteur public, cette stipulation est à risque si elle est requise en toutes circonstances. Cependant l’exigence applicable seulement à la première réunion d’une assemblée générale ordinaire ne devrait pas caractériser l’intention de mettre les professionnels exercant sous tutelle de l’actionnaire non vétérinaire

Règles de quorum renforcées applicables seulement à la première réunion d’une assemblée générale

Règles de majorité en assemblée générale

Exigence d’une majorité qualifiée des deux tiers, ou d’une unanimité, impliquant qu’aucune décision ne peut être adoptée sans l’approbation de l’associé non vétérinaire (O.)

Oui : selon le Rapporteur public, ces stipulations encadrent (ou restreignent) de facto le droit de vote des associés vétérinaires en assemblée générale

Règles de majorité renforcées pour des décisions limitées, par exemple pour des décisions d’investissement

Promesse unilatérale de vente

Promesse de vente permettant à l’associé non vétérinaire d’acquérir (ou de faire acquérir) les actions des associés vétérinaires :

  • Soit seul et à tout moment (N.)
  • Soit en cas de cession par un associé vétérinaire ou d’absence de résolution amiable d’un contentieux (O.)

 

Oui : dans ses conclusions, le Rapporteur public critique les promesses rédigées dans des termes très larges et rappelle que, depuis la réforme du droit des contrats, la promesse unilatérale n’est plus une simple promesse dont le promettant peut se dédire à charge d’indemniser le bénéficiaire : l’article 1124 du Code civil prévoit en effet désormais que la révocation de la promesse n’empêche pas l’exécution du contrat promis et toute cession à un tiers est nulle

Promesse unilatérale de vente exerçable dans des cas limités, par exemple en cas d’interdiction d’exercice, de cessation d’activité ou de manquement du vétérinaire concerné (constaté par un audit)

Plus généralement, les promesses unilatérales restent valables dans la mesure où leurs conditions de mise en œuvre ne sont pas liées à l’existence d’un conflit entre associé vétérinaire / non vétérinaire

Droit aux dividendes et au boni de liquidation

Limitation du droit des associés vétérinaires aux dividendes (N.), ou aux dividendes et au boni de liquidation à 1% des bénéfices distribués (O.)

Non : selon le Rapporteur public, cette stipulation ne démontre pas l’influence de l’associé non vétérinaire, mais l’inégalité de l’investissement financier de l’associé non vétérinaire qui, s’il reste minoritaire en capital social, supporte seul les investissements par des prêts inscrits à son compte courant d’associé

Répartition inégale du droit aux dividendes et au boni de liquidation (sous réserve de la prohibition des clauses léonines)

Conclusion

Dans ces 2 arrêts, le Conseil d’Etat confirme la radiation de deux sociétés vétérinaires dans la mesure où les associés vétérinaires étaient privés du contrôle effectif de ces sociétés : à la lumière des conclusions du Rapporteur public, parmi les indices documentant cette privation, sont particulièrement à risque :

  • Les stipulations qui limitent, directement ou indirectement, le droit de vote et donc le pouvoir décisionnaire des vétérinaires sur de nombreux sujets, en particulier qui affectent les conditions d’exercice, ainsi que
  • Les promesses unilatérales de vente consenties en des termes très larges par les associés vétérinaires.

Même si les arrêts du Conseil d’Etat ne le précisent pas, nous comprenons qu’il reste possible d’encadrer de manière très ciblée le droit de vote des associés vétérinaires, ou encore de prévoir des promesses unilatérales de vente en limitant les cas d’exercice.

A contrario, le simple fait de répartir inégalement les dividendes ne suffît pas à démontrer une privation du contrôle effectif. Il est dès lors conseillé de revoir les statuts et les pactes d’associés des sociétés vétérinaires, pour s’assurer que les droits octroyés aux associés non vétérinaires ne contreviennent pas à l’exigence de contrôle effectif par les vétérinaires.

A noter enfin que bien que rendues en matière de sociétés vétérinaires, ces arrêts ont une portée plus large : l’exigence de contrôle effectif s’applique également aux sociétés d’exercice libérales ouvertes à la détention minoritaire par des associés non professionnels dans le secteur de la santé : sont visées ici, notamment, les sociétés de biologie médicale ainsi que les sociétés de médecins – en particulier de radiologues, caractérisées par la présence d’investisseurs extérieurs à la profession.  De manière très récente, le Conseil d’Etat a d’ailleurs eu recours à cette notion de contrôle effectif dans la décision en référé précitée du 12 septembre 2024, pour décider de suspendre l’exécution de la décision du conseil de l’ordre départemental de radier une société de médecins radiologues. Il conviendra bien sûr d’analyser attentivement cette décision.

Il est par ailleurs conseillé de revoir les statuts et les pactes d’associés des sociétés de de biologie médicale et de médecins radiologues sous le même prisme (en prenant en compte la décision précitée du du 12 septembre 2024).

  • Sources

    1. Article 131 1° de l’Ordonnance
    2. Décision du 10 juillet 2023 du CE n° 442911 – société N. publiée au recueil Lebon ; Décision du 10 juillet 2023 n° 452448 – société O.
    3. Décision du 12 septembre du CE n° 497156 – société I.
    4. « Plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou par l'intermédiaire des sociétés inscrites auprès de l'ordre, par des personnes exerçant légalement la profession de vétérinaire en exercice au sein de la société »
    5. Arrêt Colegiul Medicilor Veterinari din România (CMVRO) contre Autoritatea Nationala Sanitara Veterinara si pentru Siguranta Alimentelor rendu le 1er mars 2018 dans l'affaire C-297/16 et dans son arrêt Commission européenne contre République d'Autriche rendu le 29 juillet 2019 dans l'affaire C-209/18

Ce qu'il faut retenir

Le contrôle de l’exercice effectif des SEL par les associés professionnels par les Conseils ordinaux et les juges est très poussé et l’équilibre entre les droits normaux des associés minoritaires non professionnels et des droits qui démontreraient une perte du contrôle effectif peut être difficile à trouver. L’exercice est néanmoins nécessaire, notamment dans un contexte où les schémas de cohabitation entre associés professionnels et investisseurs financiers sont examinés avec beaucoup d’attention (outre les sociétés de vétérinaires, les sociétés de médecins radiologues sont en premier lieu concernées – le Conseil d’Etat vient de rendre une décision à ce sujet).

A propos de cet article

Par Christine Salès

Senior Manager, Business Law/Life Sciences, France

Christine est avocat aux Barreaux des Hauts-de-Seine et de New York. Elle accompagne les entreprises du secteur de la santé dans leurs projets stratégiques.

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