3 min de temps de lecture 9 juil. 2024
Deux femmes discutant affaires, assises à une table

Ne pas résilier une convention de trésorerie peut caractériser un transfert de bénéfices à l'étranger

Auteurs
Mathieu Ferré

Avocat, Senior Manager | Tax, Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

Jérôme Ardouin

Avocat, Associé | Tax, Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

3 min de temps de lecture 9 juil. 2024
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Appelée à statuer sur renvoi après cassation, la cour administrative d’appel de Versailles suit la grille de raisonnement exposée par le Conseil d’Etat et considère que le fait pour une société de se conformer à la convention de centralisation de trésorerie du groupe, devenue défavorable, alors qu’elle aurait pu la dénoncer constituait un transfert indirect de bénéfices¹.

Cet article a été publié dans Option Finance - Jeudi 11 avril 2024

Dans cette affaire, la filiale française du groupe SAP s’était engagée par une convention de centralisation de trésorerie conclue en 2009 à mettre à disposition de sa société mère allemande sa trésorerie en contrepartie d'une rémunération calculée sur la base du taux EONIA minoré de 0,15 %. En 2012, compte tenu de la chute du taux EONIA, un taux plancher de 0 % avait été prévu afin d'éviter une rémunération négative.

A la suite d’un contrôle, l’administration a considéré que l’absence de rémunération au cours des exercices 2012 et 2013 des sommes déposées constituait un avantage consenti à la société mère étrangère, la filiale française ayant renoncé à la rémunération qu'elle aurait pu obtenir en plaçant ces sommes auprès d'une banque.

Si les juges du fond avaient validé le redressement au motif que le défaut de rémunération des sommes permettait de présumer l'existence d'un transfert de bénéfices à l'étranger et que la société ne justifiait pas de l'existence d’une contrepartie à cet avantage, le Conseil d’Etat avait considéré que l'absence de rémunération ne suffisait pas à caractériser la renonciation à recettes dès lors qu’elle découlait de l’application de la formule de calcul prévue dans la convention de trésorerie².

Selon le Conseil d’Etat, dans une telle situation, il est nécessaire :

  • d’une part, d’apprécier si, initialement, la filiale française avait souscrit à la convention de trésorerie conformément à son intérêt ;
  • d’autre part, de vérifier si le comportement ultérieur de l'entreprise dans le cadre de l'exécution de la convention avait été conforme à son intérêt.

Sur ce dernier point, le rapporteur public estimait dans ses conclusions que le juge de l'impôt doit vérifier si la société n'aurait pas pu résilier ou réviser la convention devenue préjudiciable, ou même limiter le montant de ses dépôts. Au cas d’espèce, la convention de trésorerie n’ayant pas été versée au dossier, le Conseil d’Etat était dans l’impossibilité de l’apprécier et avait renvoyé l’affaire devant les juges du fond.

L’administration ne contestant pas le caractère normal de cette convention lors de sa conclusion en 2009, le débat portait exclusivement sur le point de savoir si le fait d’avoir poursuivi l’exécution de celle-ci au titre des années litigieuses était conforme à l’intérêt de la filiale. Par deux arrêts du 28 mars 2024, la cour de renvoi confirme, à l’aune des stipulations de la convention de trésorerie, que le comportement de la filiale n’avait pas été conforme à son intérêt et caractérisait un transfert indirect de bénéfices.

Point clé du raisonnement, la cour constate que la filiale française n’était pas contractuellement contrainte de continuer à adhérer à la centrale de trésorerie dès lors que la convention, à durée indéterminée, permettait à chaque partie de sortir de l’accord à tout moment, sans condition ni pénalité, sous réserve du respect d’un délai de préavis d’un mois. La persistance dans l’exécution de ce contrat dont les termes étaient devenus défavorables à la société pouvait ainsi être regardée comme volontaire.

Par ailleurs, la cour rejette les arguments avancés par la filiale pour justifier de son intérêt à maintenir sa participation à la centrale de trésorerie, à savoir le fait que ce placement était sécurisé et que sa participation lui permettait de se financer immédiatement et sans condition. Sur le premier point, la cour constate que la filiale ne faisait pas état de difficultés à placer les excédents de trésorerie dans des produits financiers sûrs. Sur le second point, elle relève que la société française générait structurellement des excédents de trésorerie et n'avait jamais eu recours à la centrale de trésorerie pour se financer.

Enfin, la cour relève que, même si la convention ne contenait pas de clause de révision, les parties avaient la possibilité de convenir d’un taux différent, comme elles l’avaient d’ailleurs fait en 2012 en rajoutant un taux plancher.

  • Sources

    1. CAA Versailles, 28 mars 2024, n° 22VE02243, SAP France et CAA Versailles, 28 mars 2024, n° 22VE02242, SAP France Holding
    2. CE, 20 septembre 2022, n° 461639, SA SAP France et CE, 20 septembre 2022, n° 461642, SA SAP France Holding

Ce qu'il faut retenir

Cette affaire permet d’illustrer que l’intérêt de l’entreprise ne doit pas être apprécié uniquement à la date de conclusion du contrat mais tout au long de son exécution : le fait de ne pas résilier ou d’accepter la reconduction d’un contrat devenu défavorable peut constituer un acte anormal.  Dans le cas particulier des conventions de trésorerie, elle souligne la nécessité pour les entreprises participantes, a fortiori dans un environnement de taux d’intérêt volatil, de vérifier, d'une part, si le taux contractuellement prévu ne leur est pas devenu préjudiciable et, d'autre part, si elles ne disposent pas de facultés, légales ou contractuelles, de les renégocier ou de les résilier.

A propos de cet article

Auteurs
Mathieu Ferré

Avocat, Senior Manager | Tax, Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

Jérôme Ardouin

Avocat, Associé | Tax, Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales