5 min de temps de lecture 7 avr. 2023
Immeubles de bureaux

Les intérêts courus avant le transfert de propriété d’une immobilisation doivent-ils être inclus dans le prix d’acquisition ?

Auteurs
Jérôme Ardouin

Avocat, Associé | Tax, Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

Mathieu Ferré

Avocat, Senior Manager | Tax, Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

5 min de temps de lecture 7 avr. 2023

Dans une affaire assez particulière, le Conseil d’Etat a retenu que les intérêts, prévus par les parties, courant avant le transfert de la propriété des titres constituent un élément du prix d’acquisition et non des charges immédiatement déductibles.¹

Au vu de la complexité de certaines transactions et des formalités devant parfois être accomplies, les parties peuvent assortir le prix du bien cédé d’intérêts afin de prendre en compte le délai pouvant s’écouler entre la décision d’acquisition et le paiement effectif du prix. Le traitement de tels intérêts, et plus précisément la question de savoir si ceux-ci pourront être immédiatement déduits ou s’ils devront venir en majoration du prix d’acquisition de l’immobilisation, n’est pas toujours évident comme l’illustre cette récente décision.

Dans cette affaire, les sociétés Areva et Siemens avaient regroupé en 2001 leurs activités nucléaires au sein d’une joint-venture, Areva NP, dont elles détenaient respectivement 66 % et 34 % des titres. En 2009, à la suite de dissensions entre les deux associés, la société Siemens a décidé d’exercer l’option de vente des titres de Areva NP conformément au pacte d’actionnaires conclu en 2001. Selon ce pacte, le prix de cession des titres, déterminé selon la méthode des flux financiers actualisés, devait être majoré d’un intérêt financier pour la période comprise entre la date de l’option et celle du paiement du prix. A défaut d’entente des parties sur la valorisation des titres, le prix de cession a finalement été arrêté par un expert et son paiement, ainsi que celui des intérêts, effectué par Areva en 2011.

Si la société Areva a traité ces intérêts comme des charges fiscalement déductibles, l’administration a considéré qu’ils devaient être rattachés au prix d’acquisition des titres et immobilisés.

Au soutien de sa position, la société Areva soutenait que les intérêts en cause constituaient des intérêts moratoires déductibles en tant que charges financières en se prévalant du fait que la vente aurait été parfaite dès l’exercice de l’option en 2009 puisqu’il y avait eu accord sur la chose et sur un prix déterminable et que les associés avaient prévu que la société Siemens serait privée de ses principaux droits d’actionnaires dès l’exercice de l’option, ce qui avait permis à la société Areva de consolider immédiatement sa filiale.

Saisie du litige, la cour administrative d’appel de Paris avait suivi l’administration en considérant que, compte tenu des spécificités de la transaction, les intérêts procédaient des modalités de détermination du prix et non de la rémunération d’un délai de paiement².

La jurisprudence antérieure était peu fournie. Le Conseil d’Etat avait jugé que, dans le cas d’une cession d’une immobilisation dont le paiement d’une partie du prix était différé et indexé, le bien devait être immobilisé pour le prix estimé tandis que les versements ultérieurs excédentaires effectués en vertu de la clause d’indexation constituaient des charges fiscalement déductibles³. En revanche, dans une autre affaire, il avait retenu que les intérêts prévus par une promesse de vente, calculés entre la date de la promesse et la date de réalisation de la vente, constituaient un élément du prix d’acquisition à immobiliser⁴.

Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat considère que, le transfert de propriété des titres n’étant intervenu qu’à la date du paiement effectif du prix selon la lecture du contrat retenue par les juges du fond, les intérêts litigieux devaient être regardés comme un élément du prix d’acquisition. Selon la formation de jugement, il est indifférent que les intérêts n’aient pas eu de lien avec l’augmentation de la valeur des actions ou que la société Areva ait, dès l’exercice de l’option, obtenu le contrôle exclusif et consolidé sa filiale.

Il ressort de cette décision, éclairée par les conclusions de la rapporteure publique, que l’élément clé pour déterminer le traitement comptable et fiscal de tels intérêts est donc la date de transfert de la propriété de l’immobilisation : si les intérêts se rapportent à une période postérieure au transfert de propriété, il s’agira d’intérêts moratoires rémunérant le délai de paiement d’une dette à comptabiliser en charges financières ; en revanche, s’ils concernent une période antérieure à cette date, et a fortiori, si le transfert est subordonné à leur règlement, ces intérêts devraient constituer un élément du prix d’acquisition à immobiliser.

  • Sources :

    1. Cet article a été publié dans Option Finance, 27 février 2023, n° 1692
    2. CAA Paris, 26 janvier 2022, n° 20PA03705, Sté Areva
    3. CE, plén., 28 juin 1991, n° 47656, min. c/ Sté Taittinger
    4. CE, 10 mars 1999, n° 169342, Sté Sonorma

Ce qu'il faut retenir

A propos de cet article

Auteurs
Jérôme Ardouin

Avocat, Associé | Tax, Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

Mathieu Ferré

Avocat, Senior Manager | Tax, Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales