Personnes en réunion au tour d’une table

Pacte de la vie au travail : projet d’ANI controversé


Les négociations sur le Pacte de la vie au travail ont pris fin, mais le projet d’ANI¹ ne fait pas l’unanimité

La réforme des retraites entrée en vigueur en 2023 a suscité de nombreuses réactions et oppositions. Le Gouvernement a alors proposé d’instaurer un dialogue social, afin d’améliorer l’emploi et particulièrement celui des seniors, devenant un des sujets prioritaires du second quinquennat présidentiel.

 

Le 12 juillet 2023, la Première Ministre et les partenaires sociaux se sont mis d’accord sur la négociation d’un « nouveau pacte de la vie au travail ». Le Ministère du Travail a transmis le document d’orientation le 21 novembre 2023 aux partenaires sociauxdans la perspective d’un nouveau projet de loi pour transposer les dispositions d’un accord sur le CETU (Compte Epargne Temps Universel), le maintien et le retour à l’emploi des seniors et les problématiques de reconversion et d’usure professionnelles. Les négociations lancées le 22 décembre 2023, se sont terminées le 10 avril 2024.

 

Après s’être accordé un délai supplémentaire par rapport au calendrier initial, les organisations patronales ont transmis aux organisations syndicales, un troisième projet d’ANI (Accord National Interprofessionnel)  « en faveur de l’anticipation et de l’accompagnement des transformations du travail et de l’emploi », autour de quatre priorités : les parcours professionnels des salariés ; la prévention de l’usure et de la désinsertion professionnelles ; l’emploi des seniors ; une stratégie nationale de mise en œuvre des mesures de l’accord.

 

Des « entretiens parcours professionnels » se tiendraient tous les cinq ans. Des entretiens renforcés « de bilan et de perspectives professionnelles » seraient proposés à certains moments clés de la carrière, quelle que soit l’ancienneté du salarié : à 35 ans sur les perspectives d’évolution de carrière ; à 45 ans sur l’adaptation des missions, les souhaits de mobilité ou de reconversions professionnelle (couplé avec la visite médicale de mi-carrière) ; à 55/60 ans sur les perspectives de fin de carrière et de transition vers la retraite. Un accord collectif d'entreprise ou à défaut de branche, pourrait adapter le contenu, le rythme des entretiens, les âges clés auxquels ont lieu les entretiens, ainsi que les modalités d’information du CSE s’il existe (pour une prise en compte des spécificités sectorielles et de taille d’entreprises, de l’entrée précoce de certains salariés dans la vie active, comme les apprentis).


Les négociations ont buté sur la rupture du contrat de travail en cas de reconversion. Le patronat propose deux Parcours d’Evolution Professionnelle (PEP) :  le 1er, à l’initiative du salarié, qui prévoit une rupture du contrat de travail (le salarié est alors indemnisé par l’assurance chômage jusqu’à la fin de son parcours de formation avec 65% du salaire de référence) ; le 2nd, co-construit avec l’entreprise, qui prévoit, pour les formations (comprises entre 75 heures et 24 mois maximum) un financement de l’Opco². Il a été convenu que le salarié qui n’obtiendrait pas la certification visée pourrait demander « son retour dans [son] entreprise [d’origine] avec un délai de prévenance ». 
Comme c’est le cas actuellement, le principe d’abondement du CPF³ (Compte Professionnel de Formation) en cas de manquement par l’employeur de ses obligations en matière d’entretiens ne s’applique qu’aux entreprises d’au moins 50 salariés.

 

Concernant l’usure professionnelle, les partenaires sociaux conviennent que, sur la base de leur Dossier Médical en Santé au Travail (DMST), les salariés, exerçant ou ayant exercé, pendant une certaine durée, des métiers ou des activités exposés aux « contraintes physiques marquées » bénéficient d’un suivi adapté au sein de leur SPST⁴ (Services de Prévention & de Santé au Travail) et via le FIPU (Fonds d’Investissement dans la Prévention de l’Usure Professionnelle).


Le DUERP (Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels) n’est pas mis en place dans de nombreuses entreprises, notamment les plus petites d’entre elles, malgré l’obligation légale inscrite dans le Code du travail. Le texte propose donc de renforcer les contrôles et de mettre en place une véritable obligation de publication, car le DUERP demeure l’outil essentiel pour évaluer et prévenir l’ensemble des risques professionnels.

Le texte prévoit de renforcer le dialogue social dans les entreprises (négociation tous les trois ans) et dans les branches (négociation au moins une fois tous les quatre ans) sur l’emploi et le travail de seniors.


Il propose un CDI de valorisation de l'expérience (en lieu et place du CDI de fin de carrière ou CDI seniors) à titre expérimental pour une durée de cinq ans, ouvert aux demandeurs d’emploi de 60 ans et plus inscrits à France Travail (ou à partir de 57 ans lorsqu’un accord de branche est conclu). L’employeur peut y mettre un terme dès que le salarié cumule l’ensemble des trimestres requis pour partir à la retraite à taux plein.


Il met en place un temps partiel de fin de carrière et propose à l’employeur la possibilité de compenser partiellement la perte de revenu.
Pour faciliter l’attractivité de la retraite progressive, les salariés peuvent demander, sous réserve de l’accord de leur employeur, que leurs cotisations retraite soient calculées sur la base du salaire équivalent à un temps plein. En outre, concernant le cumul emploi-retraite, le texte propose de supprimer le délai de carence de six mois, prévu pour reprendre une activité chez le même employeur.

 

Le texte réaffirme le rôle des branches professionnelles et des territoires dans l’observation et l’anticipation des mutations de l’emploi et des besoins en compétences et qualification.


Il rappelle l’importance de la GEPPMM (Gestion des Emplois, des Parcours Professionnels et de la Mixité des Métiers) d’entreprise et de la GPEC (Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences) de branche, notamment sur l’emploi et l’amélioration des conditions de travail des seniors dans les entreprises d’au moins 300 salariés (contre 1000 auparavant), a minima tous les quatre ans.

 

La dernière version du projet d’ANI ne contient toujours pas de dispositions sur le CETU, qui permet aux salariés d’accumuler des CP ou RTT non pris et de les transférer d’une entreprise à une autre. Le MEDEF et la CPME s’y opposent, alors que la Ministre du Travail a réaffirmé que le Gouvernement y est très attaché. C’est pourquoi, le 12 avril 2024, l’Union des entreprises de proximité (U2P), malgré l’opposition des deux autres organisations patronales, a transmis aux syndicats (CFDT, CFE-CGC, CFTC, FO, CGT) un projet d’ANI sur le CETU et un autre projet sur la reconversion professionnelle et l’embauche des seniors, qui ont été discutés le 16 et le 23 avril. Ces deux séances ont abouti à un « Accord National Interprofessionnel (ANI) portant création du CETU » et à un « Accord National Interprofessionnel (ANI) relatif à la reconversion professionnelle et à la mutualisation du coût des indemnités de licenciement pour inaptitude ». Les deux textes sont soumis à signature jusqu’à la mi-mai. Dans cette configuration, les textes ne s'appliqueraient qu'aux seules entreprises dans le champ de l'U2P. Mais, il serait difficile pour le Gouvernement, respectueux du dialogue social, de ne pas étendre cet accord à l'ensemble des entreprises dans son futur projet de loi travail annoncé à l'automne.

 

Sauf retournement de situation, il semble exclu que le projet d'ANI « en faveur de l’anticipation et de l’accompagnement des transformations du travail et de l’emploi » soit signé par les syndicats, en raison de différents blocages (FO, la CFE-CGC et la CFDT ont respectivement annoncé le 10, 16 et 18 avril 2024, qu’elles ne signeront pas le texte). Le dossier est désormais sur le bureau de la Ministre du Travail.


Par ailleurs, la négociation sur l’avenant à la convention d’assurance chômage est reportée. En effet, dans le protocole d’accord du 10 novembre 2023 sur l’assurance chômage, il était prévu qu’en cas d’échec de la négociation sur le Pacte de la vie au travail, « les parties signataires devront décider des adaptations à mettre en œuvre dans un cadre tripartite [avec] État, organisations patronales et organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel ». Le Gouvernement a officiellement annoncé le 22 avril 2024, qu’il reprend la main et déterminera par décret de carence les règles d’indemnisation chômage, applicables à compter du 1er juillet 2024.  Une concertation avec les partenaires sociaux et la Ministre du Travail est prévue dans les prochaines semaines.



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