15 déc. 2022

Convention de trésorerie à taux variable : l'intérêt de l'entreprise doit rester constant

Auteurs
Jérôme Ardouin

Avocat, Associé | Tax, Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

Mathieu Ferré

Avocat, Senior Manager | Tax, Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

15 déc. 2022
Expertises associées Fiscalité

Dans une intéressante décision¹, le Conseil d'Etat considère que l'absence de rémunération de sommes mises à disposition d'une autre société du groupe en vertu d'une convention de trésorerie ne suffit pas à caractériser un transfert de bénéfices à l'étranger lorsque celle-ci résulte de la variation des paramètres d'une formule de calcul prévue par le contrat lors de sa conclusion.

La gratuité étant suspecte dans le monde des affaires, le juge de l'impôt y a toujours été hostile. Ainsi, il présume contraire à l'intérêt de l'entreprise les actes consentis sans contrepartie tels que, par exemple, les avances non rémunérées. Si un tel raisonnement peut se comprendre lorsque l'absence de rémunération est prévue par les parties dès l'origine, le même tort peut-il être reproché dans le cas où elle résulte de l'application d'une formule de calcul, historiquement justifiée, prévue dans un contrat ?

Dans cette affaire, la société SAP France avait conclu en 2009 avec sa société mère allemande une convention de centralisation de trésorerie par laquelle elle s'engageait à mettre à sa disposition sa trésorerie en contrepartie d'une rémunération par des intérêts calculés au taux EONIA minoré de 0,15 %. Si cette formule aboutissait à l'origine à un taux de rémunération positif, la baisse du taux EONIA, qui a atteint 0,10 % en août 2012, aurait normalement dû conduire à un taux négatif. Toutefois, les parties se sont accordées pour prévoir un taux plancher de 0 %.

A l'occasion d'un contrôle portant sur les exercices 2012 et 2013, l'administration a constaté que les sommes mises à disposition en vertu de cette convention n'étaient pas rémunérées et a considéré que la société française avait consenti un avantage au profit de sa mère allemande en renonçant au profit qu'elle aurait pu réaliser si elle avait placé les sommes en question auprès d'un établissement financier.

Les juges du fond avaient initialement validé ce redressement en considérant que, nonobstant le fait que cette absence de rémunération résultait de l'évolution des paramètres contractuels, d'une part, l'existence d'un transfert de bénéfices à l'étranger pouvait être présumé et, d'autre part, la société ne justifiait pas en l'espèce de l'existence d'une contrepartie à ce défaut de rémunération².

Conscient du fait que l'on ne peut reprocher à une entreprise d'avoir respecté des stipulations contractuelles qui l'engageaient, le Conseil d'Etat censure l'arrêt des magistrats versaillais et indique que dans un tel cas de figure le juge doit rechercher, d'une part, si la société avait agi conformément à son intérêt en concluant la convention de trésorerie en ces termes en 2009 et, d'autre part, vérifier quelles étaient les obligations qui en découlaient pour elle au cours des exercices en litige.

S'agissant du premier temps, qui consiste à apprécier la conformité d'une convention à l'intérêt de l'entreprise à la date de sa conclusion et non de son exécution, le raisonnement se rapproche ainsi de celui retenu dans une récente décision Sté Alone et Co³ où il avait été admis que le caractère normal de la cession réalisée en application d'une promesse de vente devait être apprécié à la date de la promesse et non à celle de la cession.

La deuxième exigence consiste quant à elle à déterminer si, alors même que la convention avait été conclu dans le cadre d'une gestion commerciale normale, le comportement ultérieur de la société dans le cadre de son engagement est demeuré conforme à son intérêt propre. Il ressort de la lecture des conclusions du rapporteur public que le juge devra, par exemple, vérifier si la société ne disposait pas d'une faculté de dénoncer ou de renégocier le contrat lorsque son exécution lui était devenue préjudiciable ou si la convention lui imposait véritablement de placer l'intégralité de sa trésorerie auprès de sa société mère allemande.

Sur cet aspect, un parallèle peut être effectué avec une décision Old Town⁴ où il avait été retenu que le fait pour une société de ne pas avoir fait usage d'une clause de renégociation d'un prêt initialement consenti sans intérêt pouvait constituer un acte anormal de gestion.

Au cas particulier, il conviendra d'attendre la nouvelle décision des juges du fond afin de savoir si, au vu des stipulations de la convention de trésorerie, le comportement de la société était irréprochable.

Pacta Sunt Servanda, même pour le juge de l'impôt, mais respecter une convention ne signifie pas s'y soumettre aveuglément. Il n'est ainsi pas suffisant de vérifier l'adéquation du contrat à l'intérêt de l'entreprise à la date de sa conclusion ; les entreprises doivent également veiller, dans le cadre des possibilités offertes par la loi ou le contrat, à adapter leurs engagements aux changements de circonstances, même externes, venant bouleverser l'équilibre contractuel initial.

  • Sources

    1. Cet article a été publié dans Option Finance, 24 octobre 2022, n° 1675
    2. CE, 20 septembre 2022, n° 461642, Sté SAP France Holding
    3. CAA Versailles, 17 décembre 2021, n° 20VE01009, Sté SAP France Holding
    4. CE, 11 mars 2022, n° 453016, Sté Alone & Co
    5. CE, 4 juin 2012, n° 350003, min. c/ Sté Old Town

Ce qu'il faut retenir

A propos de cet article

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Jérôme Ardouin

Avocat, Associé | Tax, Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

Mathieu Ferré

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