Par une décision du 5 juillet 2022¹, le Conseil d'Etat, invalidant l'interprétation retenue par l'administration fiscale, considère que la quote-part de frais et charges liée au régime mère-fille est susceptible de constituer une modalité d'imposition des dividendes, ouvrant la voie à une imputation des crédits d'impôt étranger.
En vertu du régime mère-fille, les sociétés peuvent opter pour extourner de leur résultat fiscal le montant des produits nets de participation éligibles, déduction faite d'une quote-part de frais et charges (QPFC) fixée à 5 % ou à 1 % de ces sommes².
Dans sa doctrine, l'administration considère que cette disposition « fixe un mode de calcul pour la réintégration des charges afférentes à des produits qui ne sont pas imposés et ne peut s'analyser comme conduisant à l'imposition d'une partie des dividendes »³.
Une telle analyse a pour conséquence que les sociétés percevant des dividendes faisant l'objet de retenues à la source à l'étranger ne peuvent pas imputer l'éventuel crédit d'impôt prévu par la convention fiscale applicable sur l'impôt sur les sociétés dû au titre de la réintégration de cette QPFC dès lors que ces revenus sont considérés comme étant exonérés.
Saisi d'un recours pour excès de pourvoir demandant l'annulation des commentaires précités, le Conseil d'Etat retient que, dès lors que le montant de la réintégration n'est pas plafonné au montant réel des frais et charges exposées en vue de l'acquisition ou la conservation des dividendes, les dispositions de l'article 216 du CGI « doivent être regardées non comme ayant pour seul objet de neutraliser la déduction, opérée au titre de ses frais généraux, des charges afférentes aux titres de participation dont les produits sont exonérés d'impôt sur les sociétés, mais comme visant à soumettre à cet impôt, lorsque le montant des frais est inférieur à cette quote-part forfaitaire, une fraction des produits de participations bénéficiant du régime des sociétés mères. »
Ce faisant, le Conseil d'Etat semble transposer au régime mère-fille le raisonnement qu'il avait précédemment retenu dans la décision Air Liquide⁴ où il avait considéré que la QPFC de 12 % à réintégrer en cas de plus-values sur cession de titres de participation constituait une modalité d'imposition à un taux réduit de ces plus-values, permettant ainsi l'imputation de l'impôt étranger éventuellement acquitté au titre de ce gain.
Si cette décision admet que le régime mère-fille peut se traduire par l'imposition d'une fraction des dividendes, ce qui était suffisant pour prononcer l'annulation de la doctrine contestée, et ouvre la voie à une imputation des crédits d'impôt étranger afférents aux dividendes de source étrangère, le Conseil d'Etat reste silencieux sur les modalités de cette imputation.
En effet, comme cela ressort des conclusions du rapporteur public Romain Victor, certaines questions restent en suspens :
- Faut-il assimiler l'imposition de la QPFC réintégrée à une imposition prélevée sur une assiette égale au montant des revenus perçus diminué de tous les frais réellement supportés de sorte qu'il n'y aurait pas d'exonération et donc pas de motif de réintégrer une quelconque charge ? Dans ce cas, le crédit d'impôt étranger pourrait être imputé sur la totalité de l'impôt correspondant au montant de la QPFC.
- Faut-il, au contraire, considérer que la QPFC correspond en partie à la neutralisation de charges afférentes à des revenus exonérés et, pour son montant qui excède ces charges, à une imposition des dividendes ? Dans ce cas, faut-il alors admettre que le crédit d'impôt étranger puisse être imputé sur l'impôt calculé sur la différence entre la QPFC réintégrée et les frais réellement supportés ou faut-il aller encore plus loin dans le raisonnement en identifiant la fraction des dividendes effectivement imposée et la portion de frais réels se rapportant à celle-ci ?
Si la formulation retenue par le Conseil d'Etat semble, conformément à la position exprimée par le rapporteur public, exclure la première solution consistant à admettre l'imputation sur la totalité de l'impôt correspondant à la QPFC, la décision ne précise pas comment il convient d'apprécier la « fraction » imposable des dividendes et, par suite, de déterminer dans quelle limite le crédit d'impôt serait imputable.
A cet égard, l'examen du pourvoi formé contre l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Lyon qui a reconnu à une société la possibilité d'imputer les crédits d'impôt afférents à des retenues à la source supportées à l'étranger sur des dividendes soumis au régime mère-fille⁵ devrait être l'occasion pour le Conseil d'Etat d'apporter ces précisions.
En attendant cette clarification, les sociétés ayant perçu des dividendes soumis au régime mère-fille des dividendes qui ont fait l'objet de retenues à la source à l'étranger ont intérêt à déposer, dès à présent, des réclamations afin de solliciter l'imputation des crédits d'impôt sur les cotisations d'IS résultant de la réintégration des QPFC, quitte à cantonner leur demande une fois que la jurisprudence se sera précisée.