La Commission européenne a publié le 11 mai une proposition de directive qui envisage, d'une part, de permettre la déduction fiscale d'un intérêt notionnel en cas d'augmentation des capitaux propres, et, d'autre part, l'introduction d'une nouvelle limitation de la déduction des charges financières sous la forme d'un rabot¹.
Annoncé dès mai 2021 dans une communication sur la fiscalité des entreprises pour le 21è siècle, ce projet vise à remédier au traitement fiscal asymétrique de la dette et des capitaux propres à travers deux mécanismes qui s'appliqueraient aux entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés dans un ou plusieurs Etats membres².
Si elle était adoptée en l'état, la proposition devrait être transposée par les Etats membres d'ici le 31 décembre 2023 et ses règles entreraient en vigueur à compter du 1er janvier 2024.
A ce stade, l'accueil réservé par les Etats membres à cette nouvelle proposition de directive est encore inconnu compte tenu du contexte économique qui pèse déjà sur leurs finances publiques et du fait que deux autres propositions de directive concernant la matière fiscale sont déjà en cours de discussion³.
Une déduction notionnelle sur les variations de capitaux propres
Lorsque le montant des capitaux propres nets⁴ à la fin d'un exercice fiscal serait supérieur à leur montant à la fin de l'exercice fiscal précédent, le montant correspondant à cette différence multipliée par un taux d'intérêt notionnel serait déductible du résultat fiscal pendant dix exercices. Le taux d'intérêt notionnel serait égal au taux d'intérêt sans risque sur 10 ans pour la devise concernée⁵, augmenté d'une prime de risque de 1 % (ou de 1,5 % lorsque l'entreprise est une PME au sens communautaire)⁶.
Le montant déductible au titre d'un exercice serait plafonné à 30 % de l'EBITDA ; l'excédent pouvant être reporté sur les cinq exercices suivants. La fraction du montant déductible après plafonnement qui excèderait le résultat fiscal de l'exercice pourrait, quant à elle, être reportée en avant sans limite de temps.
Si après avoir bénéficié d'une telle déduction, l'entreprise constate une variation négative de ses capitaux propres nets sur un exercice, elle devra réintégrer dans son résultat fiscal, pendant dix exercices, un montant égal à cette variation, limitée toutefois au montant de l'augmentation ayant antérieurement ouvert droit à déduction, multipliée par le taux d'intérêt notionnel. Cette réintégration n'aurait toutefois pas à être effectuée si le contribuable démontre que cette variation négative résulte de pertes comptables ou d'une réduction de capital exigée par la loi.
Par ailleurs, au-delà de l'application éventuelle de la règle générale anti-abus de la directive anti-évasion⁷ transposée à l'article 205 A du code général des impôts, la proposition prévoit des mesures spécifiques :
- Devraient être exclues de la base de calcul de la déduction notionnelle les augmentations de capitaux propres résultant de prêts entre entreprises liée, de transferts entre entreprises liées de participations ou de fonds de commerce ou encore d'apports en numéraire effectués par des résidents d'un pays ne pratiquant pas d'échange d'informations avec l'Etat membre dans lequel la déduction notionnelle s'appliquerait, sauf si le contribuable démontre que l'opération en cause est réalisée dans un but économique et ne conduit pas à une double déduction.
- Lorsque l'augmentation de capitaux propres résulte d'apports en nature ou d'investissements dans un actif, la valeur de cet actif ne devrait être prise en compte pour le calcul de la déduction notionnelle que si l'actif est nécessaire à la réalisation de l'activité du contribuable ; la valeur pertinente serait la valeur comptable pour les participations et, en principe, la valeur de marché pour les autres actifs.
- L'augmentation de capitaux propres résultant d'une réorganisation intragroupe ne devrait pas être prise en compte à hauteur de la fraction de la hausse des capitaux propres correspondant à des capitaux propres qui existaient déjà dans le groupe⁸ avant la réorganisation.
Une nouvelle limitation de la déduction des intérêts
Le projet pourrait aussi conduire à un durcissement du dispositif de limitation des charges financières nettes prévu aux articles 212 bis et 223 B bis du code général des impôts, issu de la transposition de l'article 4 de la directive ATAD.
En l'état de la proposition, la fraction déductible au titre d'un exercice des charges financières nettes serait limitée au plus petit plafond entre :
- 85 % du montant des charges financières nettes ; et
- le plafond résultant de l'article 4 de la directive, déterminé en fonction de l'EBITDA « fiscal » et des clauses de sauvegarde.
Dans le cas où le plafond de 85 % des charges financières nettes serait inférieur au plafond calculé sur la base des règles de l'article 4 de la directive, la fraction des charges financières nettes excédant le seuil de 85 % serait définitivement perdue.
Dans le cas où le plafond calculé sur la base des règles de l'article 4 de la directive serait inférieur au plafond de 85 % des charges financières nettes, la fraction des charges financières nettes non déductibles comprise entre ces deux plafonds serait reportable conformément aux règles découlant de l'article 4 de la directive ATAD ; l'excédent serait définitivement perdu.
Cette mesure s'appliquerait aux charges financières nettes encourues à compter la date d'entrée en vigueur de la directive, soit le 1er janvier 2024 selon le texte de la proposition. Elle s'appliquerait donc aux prêts déjà en place à cette date.
Entrée en vigueur
La proposition envisage une transposition d'ici le 31 décembre 2023 pour une entrée en vigueur à compter du 1er janvier 2024.
La proposition offre aux Etats membres dont la législation nationale autorise d'ores et déjà une déduction notionnelle pour capitaux propres la possibilité de retarder la date d'application des règles prévues par la directive pour les contribuables bénéficiant du dispositif national : les nouvelles règles seraient applicables à ces contribuables dès qu'ils cesseraient de bénéficier de la déduction notionnelle domestique ou, au plus tard, à l'expiration d'une période de 10 ans à compter de l'entrée en vigueur de la directive.³