L'astreinte est définie comme une période pendant laquelle le salarié, sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise¹.
Elle se différencie de la permanence durant laquelle le salarié est en permanence à la disposition de l'entreprise sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles. Ces permanences constituent ainsi du temps de travail effectif², elles ne rentrent donc pas dans le calcul des durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire et conduisent notamment au paiement de salaires et, le cas échéant, d'heures supplémentaires.
En revanche, en principe, la période d'astreinte ne constitue pas un temps de travail effectif, elle est prise en compte pour le calcul des durées minimales de repos quotidien et hebdomadaire. Seule la durée de l'intervention du salarié est considérée comme du temps de travail effectif³.
La Cour de cassation dans un arrêt du 26 octobre 2022⁴, rappelle la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union Européenne qui a précisé, dans des arrêts du 9 mars 2021 et 9 septembre 2021⁵, qu'il convient de tenir compte des contraintes imposées au salarié sous astreinte pour déterminer si la période d'astreinte constitue du temps de travail ou du temps de repos.
La nécessité de tenir compte du délai d'intervention et de la fréquence des interventions.
La CJUE a indiqué, dans les arrêts précités, que lorsque les contraintes imposées au salarié sous astreinte sont telles qu'elles affectent objectivement et très significativement la faculté pour le salarié de gérer librement le temps pendant lequel il n'est pas sollicité et de pouvoir consacrer ce temps à ses propres intérêts, la période d'astreinte doit être considérée dans son intégralité comme du temps de travail.
Le juge européen a précisé quelques indicateurs permettant aux juridictions nationales d'apprécier l'intensité des contraintes imposées au salarié. Il a souligné qu'il convient plus particulièrement de porter attention :
- au délai dont dispose le salarié sous astreinte pour intervenir et reprendre son activité professionnelle
- et le cas échéant, à la fréquence moyenne des interventions que le salarié est effectivement appelé à assurer au cours de sa période d'astreinte.
Le 26 octobre 2022, la Cour de cassation a donc rendu un arrêt faisant écho à la jurisprudence européenne précitée.
En l'espèce, le salarié d'une société de dépannage en conflit avec son employeur sur différents sujets, demandait notamment la qualification de ses périodes d'astreintes en temps de travail effectif. Il invoquait, à ce titre, le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité en raison du non-respect des durées de repos ainsi qu'un rappel d'heures supplémentaires.
Le salarié sous astreinte, muni d'un téléphone, devait se tenir à proximité immédiate des ou dans les locaux de l'entreprise, en dehors des heures et jours d'ouverture, afin de répondre « sans délai » à toute demande d'intervention de dépannage.
La Cour d'appel avait débouté le salarié de sa demande, estimant qu'en raison de l'organisation des périodes d'astreintes, le salarié n'était pas à la disposition immédiate et permanente de l'entreprise et que ces périodes étaient des astreintes et non des permanences constituant un temps de travail.
La Cour de cassation casse l'arrêt des juges du fond en visant expressément la jurisprudence de la CJUE.
La haute juridiction précise que la Cour d'appel a privé sa décision de base légale en déboutant le salarié, « alors que le salarié invoquait le court délai d'intervention qui lui était imparti pour se rendre sur place après l'appel d'un usager, sans vérifier si le salarié avait été soumis, au cours de ses périodes d'astreinte, à des contraintes d'une intensité telle qu'elles avaient affecté, objectivement et très significativement, sa faculté de gérer librement, au cours des périodes, le temps pendant lequel il n'était pas sollicité et de vaquer à ses occupations personnelles ».
La nécessité pour les juges de faire preuve de pragmatisme
La prise en compte du délai d'intervention ainsi que des fréquences d'interventions pour considérer si un salarié relève d'une période d'astreinte ou d'un temps de travail effectif est susceptible d'entrainer une inquiétude pour certaines entreprises.
En effet, les salariés sous astreinte sont généralement appelés à agir rapidement et il peut être difficile de prévoir la fréquence des interventions pendant les périodes d'astreinte compte tenu de l'aléa et de l'incertitude quant aux besoins qui pourraient se présenter pendant l'astreinte.
Anticipant ce point, la CJUE a précisé, dans les arrêts précités, que les juges nationaux doivent évaluer l'impact du délai d'intervention du salarié d'une manière pragmatique et concrète « qui tienne compte, le cas échéant des autres contraintes qui sont imposées au travailleur tout comme des facilités qui lui sont accordées, au cours de sa période de garde ».
Le juge européen a également précisé que les juges nationaux ne doivent prendre en considération que les seules contraintes imposées aux salariés par la règlementation, la convention collective ou l'employeur et non les difficultés organisationnelles qui seraient notamment la conséquence du libre choix du salarié tel qu'un lieu de résidence éloigné de son lieu de travail.
Afin d'éviter que les périodes d'astreintes soient considérées comme du temps de travail effectif, les entreprises doivent donc s'assurer que l'organisation des astreintes est telle qu'elle n'impose pas au salarié, en raison notamment du délai pour intervenir et des fréquences des interventions, des contraintes affectant très significativement sa faculté de vaquer librement à ses occupations personnelles durant le temps pendant lequel il n'est pas sollicité.
L'accord collectif mettant en place l'astreinte ou, à défaut, la décision de l'entreprise de mettre en place l'astreinte, après avis du CSE et information de l'inspection du travail, devraient ainsi prévoir une organisation permettant au salarié sous astreinte de vaquer librement à ses occupations personnelles lorsqu'il n'est pas sollicité.
Reste à savoir si le législateur décidera, à l'avenir, d'adapter les dispositions du code à cette jurisprudence et de fixer un délai minimal à accorder au salarié pour intervenir pendant ses périodes d'astreintes ou une fréquence moyenne d'intervention pendant lesdites périodes. De telles précisions permettraient d'assurer une sécurité juridique mais risqueraient de ne pas être compatibles avec l'activité de certaines entreprises.
Article co-rédigé avec Aubin Lasm