25 mai 2022
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Licenciement sans cause réelle et sérieuse : Sécurisation du barème Macron par la Cour de cassation le 11 mai 2022

Par Caroline Dirat

Avocate Directrice Associée en droit social et ressources humaines.

Caroline Dirat est Avocate Directrice Associée en Droit Social et Ressources Humaines à Paris.

25 mai 2022
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Le barème Macron est validé et sa sécurité juridique garantie de manière claire et ferme par deux décisions de principe de la Cour de cassation rendues le 11 mai 2022, ce qui met un terme au mouvement de résistance initié par les salariés et syndicats de salariés et soutenus par certaines cours d'appel.

Bref rappel du contexte

Les ordonnances dites Macron de septembre 2017 ont bouleversé les règles applicables en droit du travail sur quatre pans principaux : la négociation collective, la signature d'accords dans les plus petites entreprises, la fusion des institutions représentatives du personnel et la rupture du contrat de travail.

Concernant ce dernier point, un des axes de la réforme était de permettre aux entreprises, notamment les TPE/PME, d'embaucher des salariés en contrat à durée indéterminée, sans crainte du coût d'une rupture potentielle.

C'est dans ce cadre que le barème Macron a été introduit aux termes d'une ordonnance du 22 septembre 2017¹ modifiant l'article L.1235-3 du Code du travail.

Auparavant, en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse par la juridiction prud'homale, l'article L.1235-3 du Code du travail prévoyait l'octroi d'une indemnité, à la charge de l'employeur qui ne pouvait « être inférieure aux salaires des six derniers mois » ; cette disposition n'était pas applicable aux salariés ayant moins de 2 ans d'ancienneté ou travaillant dans une entreprise employant moins de 11 salariés.

L'indemnité minimum de 6 mois était susceptible d'être augmentée en fonction du préjudice subi par l'ancien salarié en raison de la rupture sans cause réelle et sérieuse de son contrat de travail, ce préjudice étant laissé à l'appréciation souveraine des juges du fond, au cas par cas. Dans les faits, les condamnations des employeurs pouvaient effectivement être très significatives, en fonction des circonstances de la rupture et du préjudice subi par l'ancien salarié.

Le Barème Macron

Désormais, l'article L.1235-3 du Code du travail prévoit qu'en cas de licenciement d'un salarié pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, « le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous »2.

Ce barème instaure un plafond, dont le montant, exprimé en nombre de mois de salaire brut, est proportionnel à l'ancienneté du salarié, allant de 1 mois (moins d'un an d'ancienneté) jusqu'à 20 mois (29 d'ancienneté et au-delà).

Deux planchers distincts ont été fixés selon la taille de l'entreprise (plus ou moins de 11 salariés) : dans les entreprises de moins de 11 salariés, le plancher s'échelonne de 0,5 à 2,5 mois jusqu'à 10 ans d'ancienneté ; dans les entreprises de plus de 11 salariés, une marge d'appréciation demeure.

Et, le juge est invité, pour déterminer le montant de l'indemnité, à tenir compte, « le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture » dont le montant varie selon les conventions collectives applicables (l'indemnité légale de licenciement n'est pas concernée par cette prise en compte).

Ce barème obligatoire ne concerne toutefois exclusivement que les dommages et intérêts alloués au salarié en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse. Or il est fréquent, en cas de contentieux prud'homal, que des demandes accessoires telles que des rappels d'heures supplémentaires, de primes soient formées. Ces demandes ne sont pas concernées par ce barème.

Rappelons également que le barème est écarté en cas de licenciement nul (licenciement d'un salarié protégé en raison de l'exercice de son mandat ou non-respect des protections accordées aux salariées à raison de la grossesse ou de la maternité notamment) ou intervenu en violation d'une liberté fondamentale (discrimination, harcèlement moral ou sexuel notamment). Dans ce cas, le juge détermine alors librement le montant des dommages et intérêts, tout en étant tenu par un plancher de 6 mois de salaire².

Critiques du barème et mouvement de résistance de certains juges du fond

Ce barème a très vite fait l'objet de critiques, mais le Conseil constitutionnel l'a déclaré conforme à la Constitution³ dès le 21 mars 2018.

La contestation s'est toutefois poursuivie et des salariés et des syndicats ont invoqué la non-conformité du barème à des conventions internationales signées par la France.

Ainsi, la non-compatibilité du dispositif avec l'article 10 de la convention n°158 de l'Organisation internationale du travail (OIT) a été invoquée au motif que cette disposition prévoit, en cas de licenciement injustifié, le versement d'une « indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ». L'article 24 de la Charte Sociale Européenne) a été également invoqué dans la mesure où ce texte prévoit que « en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître (…) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Sur ce double fondement, un mouvement de résistance s'est engagé et certains juges du fond, aussi bien des conseils de prud'hommes que des cours d'appel, ont décidé d'écarter le barème au cas par cas (appréciation in concreto pour des salariés âgés rencontrant des difficultés particulières pour un retour à l'emploi, du fait de leur état de santé ou de leur situation de travailleur handicapé par exemple), pour permettre une meilleure indemnisation des salariés licenciés, tandis que d'autres juridictions décidaient de l'application stricte du barème.

Saisie d'une demande d'avis, la Cour de cassation a rendu deux avis le 17 juillet 2019⁴, estimant que « le barème était compatible avec l'article 10 de la Convention n°158 de l'OIT, compte tenu de la marge d'appréciation laissée aux États et de l'ensemble des sanctions prévues par le droit français en cas de licenciement injustifié ». Elle a aussi décidé que l'article 24 de la Charte sociale européenne n'était « pas d'effet direct en droit français dans un litige entre particuliers, compte tenu de la marge d'appréciation importante laissée aux États ».

Malgré la portée générale de ces avis, certains juges du fond ont poursuivi le mouvement de résistance conduisant aux deux procédures dont la Cour de cassation était saisie.

Les deux arrêts du 11 mai 2022 rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation en formation plénière

Dans la 1ère affaire, la Cour d'appel de Paris⁵ a accordé une indemnité d'un montant de 32 000 euros à une salariée licenciée pour motif économique dont l'ancienneté était inférieure à 4 ans et qui pouvait prétendre selon le barème à une indemnité de licenciement injustifié comprise entre 13 211 et 17 615 euros. La Cour d'appel a estimé que la salariée justifiait d'un préjudice supérieur « en raison de sa qualité de demandeur d'emploi » et retient que « ce montant représente à peine la moitié du préjudice subi en termes de diminution des ressources financières de la salariée et ne permet donc pas, compte tenu de la situation concrète et particulière de la salariée, âgée de 53 ans à la date de la rupture, une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi, compatible avec les exigences de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT ».

Dans la seconde affaire, la Cour d'appel de Nancy⁶ a, par sa décision, appliqué le barème, ce qui est contesté par trois salariés licenciés pour motif économique, qui invoquent l'article 24 de la Charte sociale européenne.

Dans le cadre de ces deux procédures très médiatisées, la Cour de cassation a entendu les parties lors de son audience du 31 mars 2022 sur les rapports de Madame Prache et de Monsieur Barincou, Conseillers. Parallèlement, l'OIT, saisie de réclamations, a diffusé son rapport lors de cette audience, selon lequel le barème est conforme à l'article 10 de la Convention n°158 de l'OIT « si une protection suffisante des personnes injustement licenciées reste assurée et qu'une indemnité adéquate est versée ». Soulignons cependant, que ce rapport invite la France par l'intermédiaire de son gouvernement et des partenaires sociaux à procéder à des vérifications régulières et à s'assurer que les « paramètres prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate ».

Le 11 mai 2022, l'Assemblée Plénière de la chambre sociale de la Cour de cassation confirme la position exprimée dans ses avis de 2019 et décide dans deux arrêts⁷ très attendus et appelés à une large diffusion, que le barème Macron est compatible avec la Convention n°158 de l'OIT et que la détermination du montant réparant le préjudice causé par un licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse ne se prête pas un contrôle de conventionnalité des indemnisations in concreto.

Dans l'arrêt rendu le 11 mai 2022 8 à la suite du pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, la motivation adoptée par la Cour de cassation est la suivante : « Les dispositions des articles L.1235-3, L.1235-3-1 et L.1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n°158 de l'OIT. Il en résulte que les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée ».

Dans l'arrêt rendu le 11 mai 20229 à la suite du pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de Nancy, la Cour de cassation rejette le pourvoi et confirme l'arrêt d'appel en ces termes : « Les dispositions de la Charte sociale européenne n'étant pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l'invocation de son article 24 ne pouvait pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail et qu'il convenait d'allouer en conséquence à la salariée une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte ».

La Cour de cassation n'a pas suivi l'avis de Madame Berriat, Première Avocate Générale, en faveur d'une appréciation au cas par cas, permettant d'accorder une indemnisation à la hauteur du préjudice subi, dans les situations où l'application du barème se révèle préjudiciable pour le salarié. Il était ainsi suggéré à la Cour de définir « les préjudices pour lesquels l'indemnité prévue par le barème porterait une atteinte excessive aux droits que la Convention n° 158 garantit » et de retenir « les critères employés dans le code du travail pour définir le principe de non-discrimination, tels que l'âge, la situation de famille, l'état de santé et le handicap ».

Cet avis reposait notamment sur l'étude universitaire Dalmasso / Signoretto (Revue Droit Social n°2, février 2022), respectivement maîtres de conférences à l'Université de Lorraine et de Paris, intitulée « Une première évaluation du « barème » d'indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse mis en place par l'ordonnance n° 1387 du 22 septembre 2017 », portant sur 240 arrêts rendus par les cours d'appel avant et après l'entrée en vigueur du Barème Macron. Cette étude a montré que l'application du barème Macron avait entraîné une diminution des montants attribués aux salariés par les cours d'appel, avec une forte baisse de l'indemnisation moyenne « pour les salariés des moyennes et grandes entreprises ayant une relativement faible ancienneté (entre 2 et 5 ans), tandis qu'elle sera moins marquée pour les salariés ayant une ancienneté plus élevée ».

La Cour de cassation a donc, par ces deux décisions, validé et sécurisé de manière définitive le barème Macron dans les cas où ce barème a vocation à s'appliquer.

La Cour souligne dans son communiqué de presse du 11 mai 2022 que « le barème non seulement tient compte de l'ancienneté du salarié et de son niveau de rémunération, mais son application dépend de la gravité de la faute commise par l'employeur ».

Par ailleurs, la Cour indique que procéder à un contrôle in concreto « créerait pour les justiciables une incertitude sur la règle de droit applicable, qui serait susceptible de changer en fonction de circonstances individuelles et de leur appréciation par les juges » et « porterait atteinte au principe d'égalité des citoyens devant la loi, garanti à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 ».

Les réactions à ces décisions de principe

Les réactions ne se sont pas fait attendre et les communiqués de presse du 11 mai 2022 en témoignent : le Ministère du Travail approuve la décision et affirme que « le barème des indemnités prudhommales introduit par les ordonnances Travail en 2017 donne une plus grande prévisibilité dans la relation de travail et a permis de développer des alternatives au contentieux, ce qui in fine contribue à une augmentation continue des embauches en CDI. Entre début 2017 et fin 2021, la part des CDI dans les embauches de plus d'1 mois est passée de 45% à près de 51% ».

Coté employeurs, la sécurité juridique ainsi préservée est saluée tandis que les syndicats de salariés s'insurgent contre cette décision. Force Ouvrière (FO) estime que « la réparation doit, en toutes circonstances, être à la hauteur du préjudice réellement subi par le salarié, et le juge doit pouvoir disposer d'une totale liberté pour fixer le montant des dommages et intérêts ». La Confédération Générale du Travail (CGT) annonce quant à elle « poursuivre la lutte contre le barème et pour les droits des salarié.e.s injustement licencié.e.s devant les juges du fond, par l'intermédiaire de ses défenseurs syndicaux et conseillers ».

Procédure devant le CEDS et rapport de l'OIT

Rappelons qu'une procédure portant sur la conformité du barème Macron à la Charte sociale européenne est actuellement pendante devant le Comité européen des droits sociaux. Le CEDS a récemment considéré que le barème finlandais (2016) et le barème italien (2020) ne permettaient pas toujours une indemnisation adéquate des salariés licenciés sans motif valable.

Anticipant une décision identique concernant le barème français, la Cour de cassation a affirmé dans son communiqué de presse, que « les décisions que prendra ce Comité ne produiront aucun effet contraignant, toutefois, les recommandations qui y seront formulées seront adressées au gouvernement français ». Ainsi, l'inconventionnalité du barème Macron sur le fondement de l'article 24 de la Charte sociale européenne ne pourra être soutenue devant un juge français.

Cette annonce fait écho au rapport sur ce sujet suggérant à l'OIT d'inviter le gouvernement français « à vérifier régulièrement, avec les partenaires sociaux », que les « paramètres prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate ».

Conclusion

Le barème Macron est donc validé et sa sécurité juridique garantie de manière claire et ferme par ces deux décisions de principe de la Cour de cassation, ce qui met un terme au mouvement de résistance initié par les salariés et syndicats de salariés et soutenus par certaines cours d'appel. Le barème Macron ne pourra donc plus être écarté, si ce n'est en cas de nullité du licenciement qui ne pourra être invoquée que dans des cas extrêmement restreints tels les discriminations ou le harcèlement moral ou sexuel.

Désormais, les entreprises et notamment celles de petite taille comme les TPE ou PME, sauront de manière certaine la nature et le montant de leur risque financier en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette décision n'a pas d'impact sur la procédure ou les motifs de licenciement strictement encadrés en droit du travail français.

Ce qu'il faut retenir

A propos de cet article

Par Caroline Dirat

Avocate Directrice Associée en droit social et ressources humaines.

Caroline Dirat est Avocate Directrice Associée en Droit Social et Ressources Humaines à Paris.

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