17 janv. 2022

Bonus à long terme et indemnités de rupture : l'étau se resserre-t-il pour les employeurs ?

Auteurs
Marie Ballenghien

Avocate, Droit social – Senior Manager, France

Avocate en droit social, assistant avec pugnacité les employeurs français et internationaux depuis plus de 15 ans dans l’ensemble de leurs problématiques. Et globetrotter passionnée de découvertes !

Marie-Pascale Piot

Avocat, Associate Partner, EY Société d’Avocats, France

Stratégie, dialogue, co-construction et partage pour conseil en droit du travail pragmatique et efficient !

17 janv. 2022
Expertises associées Droit des affaires

Il est de plus en plus fréquent que salariés et employeurs s'opposent sur la qualification des plans incitatifs à long terme (ou Long Term Incentives - LTI) en salaire, la question se cristallisant le plus souvent lors de la rupture du contrat de travail : en particulier, sont-ce des éléments à inclure dans le calcul de l'indemnité de licenciement ?

Ces plans incitatifs à long terme sont des systèmes de récompense qui consistent à octroyer, le plus souvent aux collaborateurs clés, des avantages à moyen /long terme se dénouant en numéraire ou en actions et pouvant répliquer le mécanisme des actions gratuites, voire des stock-options.

Le contexte et les pratiques sont différents dans chaque groupe, la jurisprudence étant de son côté évolutive et dépendante en particulier des conditions des plans et de la convention collective applicable.

Le premier réflexe à avoir est de vérifier les dispositions de la convention collective.

Il s'agit en effet de déterminer si les attributions de LTI constituent ou non des éléments de rémunération/gratifications entrant dans la définition de l'assiette de calcul de l'indemnité de licenciement établie par la convention collective.

Ainsi, la Cour de cassation a jugé que les attributions d'actions et de stock-options étaient expressément exclues du calcul de l'indemnité de licenciement selon la convention collective de l'Industrie Pharmaceutique (ancien article 33), estimant que « ni la distribution d'actions gratuites ni l'attribution d'options sur titres ne constituaient des éléments de rémunération au sens des articles 33 de la convention collective de l'industrie pharmaceutique, applicable dans l'entreprise » (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 27 novembre 2007, n°05-43.489).

Des décisions récentes en appel ont également pu refuser de qualifier ces attributions de rémunération, notamment au motif qu'elles n'étaient pas la contrepartie d'un travail, ni régulières (par exemple : Cour d'appel, Angers, Chambre sociale, 1 Février 2018 n° 16/02281 ; CA Paris, Pôle 6, Chambre 8, Arrêt du 22 janvier 2019, nº 16/14999 ; Cour d'appel de Versailles, 21ème Chambre, 18 avril 2019 n°17/0779 ; Cour d'appel de Versailles, 11ème Chambre, 12 septembre 2019 nº17/01512 ; Cour d'Appel de Versailles, 11 mars 2021 n°18/04250 ; Cour d'Appel d'Aix en Provence, 28 mai 2021 n°18/14.146).

Cependant, les derniers arrêts de la Cour de cassation semblent clairement mettre à mal la position précédemment exposée.

La Cour de cassation vient ainsi de casser l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles de 2019 précité (nº17/01512), énonçant au contraire qu'une attribution d'actions gratuites dans le cadre d'un plan de rémunération à long terme effectuée selon un engagement unilatéral de l'employeur constituait un élément de salaire obligatoire pour l'employeur, peu important son caractère variable (Cass.soc. 4 novembre 2021, n°19-23.681). Elle devait donc être prise en compte dans l'assiette de calcul des indemnités de rupture, l'indemnité de non-concurrence, etc.

L'employeur avait pourtant soutenu que les LTI étaient des actions accordées au niveau mondial par une société de droit américain en vertu d'un plan d'actionnariat régi par le droit américain, dépendaient exclusivement des performances financières du groupe et des filiales mondiales et du cours de l'action de la société tête de groupe sur le marché américain, et qu'ils n'étaient aucunement liés à la notation ou à l'atteinte des objectifs individuels du salarié.

Cette dernière jurisprudence, bien qu'inédite, pourrait conduire à considérer que seules les attributions discrétionnaires sont susceptibles d'être écartées de la qualification de rémunération et donc du calcul des indemnités de rupture.

Or, ce caractère discrétionnaire est lui-même délicat à sécuriser en droit français. A cet égard, un autre arrêt récent de la Cour de cassation est venu rappeler qu'était contractualisée, et non discrétionnaire, une prime versée chaque année pendant 12 ans selon des critères définis par l'employeur (Cass. soc 10 mars 2021 n° 19-18.078). Elle rejoignait en cela une décision précédente selon laquelle la constance et la régularité du versement d'un bonus, même si son montant annuel est variable est discrétionnaire, en font un élément de salaire devant être inclus dans l'assiette de calcul de l'indemnité de licenciement (Cass. soc 28 janvier 2015 n° 13-23.421). Il est vrai que dans ces deux cas, il s'agissait d'un élément versé en numéraire et non d'une attribution d'actions ou de stock-options.

Pour tenter d'éviter que les attributions au titre des plan de LTI ne soient considérées par les juges comme la contrepartie d'un travail, à prendre comme telle en considération dans la détermination des indemnités de rupture, il est donc important que de telles attributions ne soient pas dépendantes de l'atteinte d'objectifs individuels (les objectifs collectifs sont à privilégier), ni liées à la performance du salarié, ni effectuées de manière régulière.

Les débats ne sont pas clos…

Cass.soc. 4 novembre 2021, n°19-23.681, Inédit

Cass. soc 10 mars 2021 n° 19-18.078, Inédit

Ce qu'il faut retenir

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Marie-Pascale Piot

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