23 juin 2022

Gouvernance des SAS – Episode 1 : Le représentant permanent et la sanction applicable à défaut de désignation de celui-ci

Par Christine Rocha

Avocat, Senior Manager – Business Law, France – Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

Christine Rocha est en charge de la doctrine, de la capitalisation des savoirs et de leur partage auprès des équipes en droit des affaires.

23 juin 2022
Expertises associées Droit des affaires

Au premier semestre 2022, la Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts intéressant la gouvernance des SAS. La Cour de cassation confirme la liberté offerte par la loi pour organiser cette forme de société tout en la limitant au regard des principes fondamentaux du droit des sociétés.

Nous vous proposons de revenir sur ces récentes décisions au travers de plusieurs articles dont le premier sera consacré à un arrêt du 19 janvier 2022¹ confirmant la possibilité de prévoir statutairement la désignation d'un représentant permanent en cas de personne morale dirigeante.

Cet arrêt permet également de se pencher sur la question de la sanction applicable en cas de violation d'une règle posée par les statuts, telle celle de la désignation du représentant permanent comme au cas d'espèce. En effet, la Cour de cassation rappelle qu'à défaut de désignation dudit représentant, les actes du président n'encourent pas la nullité.

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En l'espèce, une SARL était présidente d'une SAS. Les statuts fixaient comme règle la nécessaire désignation d'un représentant permanent personne physique. Cependant, aucun représentant permanent n'avait été nommé.

C'est dans ce contexte qu'à la suite d'un différend, le directeur général de la SAS a notamment sollicité l'annulation des décisions prises par la SARL présidente de la SAS, représentée par son gérant.

La Cour d'appel a rejeté ces demandes et a jugé que le représentant permanent de la SARL présidente de la SAS n'ayant pas été désigné, ce représentant permanent n'était autre que son représentant légal à savoir son gérant.

Un pourvoi en cassation a été formé par le directeur général qui se prévalait notamment de la méconnaissance des statuts par la Cour d'appel et de la violation de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce.

La Cour de cassation rejette le pourvoi en se fondant sur un motif de pur droit, substitué à celui critiqué, en affirmant que :

« Il résulte de l'article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce, que la nullité des actes ou délibérations des organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre deuxième du code de commerce ou des lois qui régissent les contrats.

Si, dans le silence de la loi, les statuts d'une société par actions simplifiées peuvent prévoir que lorsque le président est une personne morale, celle-ci doit obligatoirement désigner un représentant permanent personne physique, aucune nullité ne peut résulter du non-respect d'une telle disposition. »

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Oui au représentant permanent dans les SAS !

En premier lieu, la Cour de cassation valide explicitement la pratique consistant à prévoir dans les statuts des SAS la désignation d'un représentant permanent personne physique dans l'hypothèse où la présidence de la société serait confiée à une personne morale. Cette solution devrait être transposable aux autres dirigeants - personnes morales – lorsque les statuts le prévoient.

La décision de la Cour de cassation est importante puisque si la figure du représentant permanent est légalement prévue pour les administrateurs et membres du conseil de surveillance, personnes morales, des sociétés anonymes², aucune disposition ne l'impose pour les dirigeants personnes morales des SAS. Au contraire, si conformément à l'article L. 227-5 du code de commerce, les associés sont a priori libres de fixer dans les statuts les conditions dans lesquelles la SAS est dirigée, les dispositions de l'article L.227-7 du même code³, relatives à la responsabilité des dirigeants, ne visent pas la figure du représentant permanent de la personne morale dirigeante.

Ainsi, se posait la question de savoir s'il était possible d'envisager statutairement un tel représentant permanent et s'il était également possible de l'inscrire au registre du commerce et des sociétés (RCS).

La doctrine s'était saisie de cette question⁴. Par ailleurs, suite aux refus par certains greffes d'inscrire le représentant permanent sur l'extrait K-Bis, plusieurs Cours d'appel s'étaient prononcées en faveur d'une telle inscription (« aucun texte ne prohibe une telle mention qui ne peut qu'être protectrice des intérêts des tiers, de la société elle-même et de la personne morale assurant sa présidence. »)⁵.

Le comité de coordination des registres du commerce et des sociétés (CCRCS)⁶ avait, malgré ces décisions, pris une position plus nuancée : il considérait que si les associés des SAS disposent de la faculté d'organiser librement les modalités de direction en prévoyant notamment un représentant légal personne morale et un dirigeant personne physique qui porterait le titre de représentant permanent, ce seul titre ne donnait pas vocation à être mentionné au RCS sauf à disposer du pouvoir d'engager à titre habituel la SAS vis-à-vis des tiers (ce qui dans la pratique est certainement le cas).

Avec cet arrêt du 19 janvier 2022, ce débat devrait être clos. Toutefois, cet arrêt ne suffit pas à résoudre certaines problématiques qui peuvent se poser en pratique.

En effet, comme le soulignent certains auteurs⁷, la solution de la Cour de cassation laisse subsister quelques interrogations s'agissant du statut de ce représentant permanent. Doit-il être considéré comme un dirigeant à part entière et être soumis aux mêmes responsabilités civiles et pénales que s'il était dirigeant en son propre nom ? Autrement dit, l'article L.227-7 du code de commerce- qui ne vise pas le représentant permanent - lui est-il applicable ?

Enfin, le représentant légal de la personne morale dirigeante pourra-t-il échapper à toute responsabilité en raison de la désignation d'un tel représentant permanent ? Rien ne le garantit.

Avant qu'une prochaine décision ne vienne répondre à ces questions, la solution pourrait venir du législateur. En effet, comme proposé par le Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris (HCJP)⁸, les dispositions de l'article L.227-7 du code de commerce pourraient être complétées afin de viser expressément le représentant permanent.

Non à la nullité des actes pris en violation de cette stipulation statutaire !

En second lieu, la décision reprend la jurisprudence dite Larzul⁹ de 2010 qui repose, s'agissant des sociétés commerciales, sur les dispositions de l'alinéa 2 de l'article L.235-1 du code de commerce selon lesquelles « La nullité d'actes ou délibérations autres que ceux prévus à l'alinéa précédent [c'est-à-dire autres que ceux modifiant les statuts] ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent livre, […], ou des lois qui régissent les contrats, […]. ». Depuis, cette décision, la Cour de cassation limite ainsi la possibilité d'invoquer la nullité des actes et délibérations des organes sociaux (mandataires sociaux, associés) en cas de violation des statuts.

Au cas d'espèce, comme déjà mentionné, dans le cadre de ses demandes au fond, le directeur général sollicitait la nullité des décisions prises par le président de la SAS, représenté par son gérant et non pas par un représentant permanent désigné conformément aux statuts. Si la Cour d'appel avait rejeté cette demande en considérant qu'en l'absence de désignation expresse, le gérant de la SARL présidente était nécessairement le représentant permanent, la Cour de cassation rappelle, quant à elle, que les actes et délibérations qui violent les statuts n'encourent pas la nullité dès lors que les statuts ne reprennent pas une disposition impérative du livre II du code de commerce ou des lois régissant les contrats ou qu'ils n'aménagent pas conventionnellement la règle posée par une disposition impérative conformément à la faculté offerte par celle-ci.

L'obligation de désigner un représentant permanent personne physique lorsque le président est une personne morale étant une stipulation statutaire laissée à l'appréciation des associés, elle ne découle en soi d'aucune obligation légale impérative. En conséquence, les actes pris en violation de la clause statutaire en cause ne pouvaient pas encourir la nullité. D'ailleurs, on rappellera que dans la décision dite « Larzul », le litige concernait également une SAS dont la composition du conseil d'administration n'était pas conforme aux stipulations des statuts et du règlement intérieur : un associé avait sans succès tenté d'obtenir la nullité des décisions prises par cet organe.

La décision du 19 janvier 2022 n'est donc pas surprenante.

Toutefois, à défaut de pouvoir solliciter la nullité des actes ou délibérations pris en violation des statuts, comment sanctionner une telle violation ?

La responsabilité des dirigeants pourrait être envisagée si les conditions de recevabilité de l'action sont remplies¹⁰et si les traditionnelles conditions de la responsabilité civile sont réunies. Il s'agira ainsi d'obtenir une indemnisation de la part du dirigeant en raison du préjudice subi. Toutefois, les actes litigieux ne seront pas annulés.

On pourrait également songer à une nullité des actes litigieux fondée sur un abus de majorité mais, dans ce cas, il s'agit de sanctionner les décisions prises par les associés ou actionnaires majoritaires (et non pas par des dirigeants). En outre, en cas de fraude, la nullité des actes litigieux pourrait être envisagée. Dans tous les cas, les éléments constitutifs d'un abus de majorité ou d'une fraude pourront s'avérer difficile à démontrer.

Là encore, la solution pourrait venir du législateur. Comme le soulignait le HCJP dans un autre rapport émis suite à une saisine de la Chancellerie¹¹, « la violation des dispositions statutaires par lesquelles les associés ont fixé des règles sans pour autant aménager une règle légale impérative (par exemple en déterminant les règles de fonctionnement d'un organe collégial d'une société par actions simplifiée) échappera à la nullité, ce qui est regrettable dans les sociétés régies par la liberté contractuelle. Les règles de fonctionnement de ces sociétés, parfois dites « contractuelles », se trouveraient alors moins bien protégées que les règles de fonctionnement des autres formes sociales, prévues dans des dispositions légales impératives. ».

Ainsi, le HCJP préconisait la modification des dispositions applicables afin de permettre aux associés des sociétés marquées par une grande liberté contractuelle (les SAS, SNC, SCS mais aussi les sociétés civiles) de prévoir dans les statuts la sanction applicable en cas de violation de ceux-ci.

A suivre donc !

  • Sources

    1. Cass. Com. 19 janvier 2022, n° 20-14.089
    2. Articles L. 225-20 et L. 225-76 du code de commerce
    3. L'article L.227-7 relatif à la responsabilité du dirigeant personne physique d'une personne morale, elle-même dirigeante une SAS, dispose : « Lorsqu'une personne morale est nommée président ou dirigeant d'une société par actions simplifiée, les dirigeants de ladite personne morale sont soumis aux mêmes conditions et obligations et encourent les mêmes responsabilités civile et pénale que s'ils étaient président ou dirigeant en leur nom propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale qu'ils dirigent. ». Il ne vise donc pas expressément les représentants permanents personnes physiques.
    4. [4] La question a notamment été soumise au Comité juridique de l'ANSA en 1998 : voir l'avis n°459 du 4 mars 1998
    5. [5] Cour d'appel de Paris, 1er juillet 2014, n°14/04237, Cour d'appel de Caen, 23 février 2017, n°16-02559
    6. [6] CCRCS, avis n° 2015-04, 5 février 2015
    7. [7] Voir notamment : « SAS : le dirigeant personne morale et son représentant permanent » - Bruno Dondero, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 20, 19 Mai 2022, 1185 ; « Validation d'une obligation statutaire dans une SAS et conséquences de son non-respect », Alain Couret, Revue des sociétés, Mai 2022, p.291
    8. [8] HCJP, Rapport concernant le régime juridique de la société par actions simplifiée, 29 septembre 2019 – Le HCJP a émis plusieurs propositions de rédaction nouvelle concernant l'article L. 227-7 du code de commerce : Option 1 : « Lorsqu'une personne morale est nommée président ou dirigeant d'une société par actions simplifiée, les mandataires sociaux qui exercent un pouvoir de représentation de ladite personne morale ou, lorsque celle-ci a désigné un représentant permanent parmi ces mandataires sociaux, ce représentant permanent ainsi désigné sont soumis aux mêmes conditions et obligations et encourent les mêmes responsabilités civile et pénale que s'ils étaient président ou dirigeant en leur nom propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale. ». Option 2 : « Lorsqu'une personne morale est nommée président ou dirigeant d'une société par actions simplifiée, les mandataires sociaux qui exercent un pouvoir de représentation de ladite personne morale ou le représentant permanent s'il en est nommé un, sont soumis aux mêmes conditions et obligations et encourent les mêmes responsabilités civile et pénale que s'ils étaient président ou dirigeant en leur nom propre, sans préjudice de la responsabilité solidaire de la personne morale. ».
    9. [9] Cass. Com. 18 mai 2010, n°09-14.855, P+B+R+I – Attendu de principe : « Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 235-1, alinéa 2, du code de commerce que la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats ; que, sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative, d'aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la nullité ».
    10. [10] Action sociale ut singuli afin d'indemniser la société du préjudice subi ou action individuelle de l'associé afin d'indemniser son préjudice personnel
    11. [11] HCJP, Rapport sur la nullité en droit des sociétés, 27 mars 2020

Ce qu'il faut retenir

A propos de cet article

Par Christine Rocha

Avocat, Senior Manager – Business Law, France – Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

Christine Rocha est en charge de la doctrine, de la capitalisation des savoirs et de leur partage auprès des équipes en droit des affaires.

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