Au premier semestre 2022, la Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts intéressant la gouvernance des SAS. Après la question de la désignation du représentant permanent de la personne morale dirigeante¹, nous nous intéressons maintenant à un deuxième arrêt en date du 19 janvier 2022². Par cet arrêt, la Cour de cassation précise que l'adoption des décisions collectives des associés est nécessairement conditionnée à l'obtention d'une « majorité simple des votes exprimés ».
Au cas d'espèce, les statuts d'une SAS prévoyaient que les décisions collectives des associés étaient adoptées à la « majorité » du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés. Une augmentation de capital social avec suppression du droit préférentiel de souscription a ainsi été votée par 229 313 voix contre 269 185, soit par une minorité qualifiée.
Plusieurs associés, opposés à l'augmentation de capital, ont assigné la SAS et le reste des associés en annulation des délibérations litigieuses. La Cour d'appel de Paris a jugé que les décisions litigieuses étaient valables puisque prises conformément aux statuts.
Cet arrêt est censuré par la Cour de cassation, au visa de l'article L.227-9, alinéa 2 du Code de commerce qui dispose que : « […] les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d'augmentation, d'amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d'une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés. ».
En effet, comme l'affirme la Cour de cassation, si cette disposition légale « laisse une grande liberté aux associés pour déterminer, dans les statuts d'une [SAS], la majorité exigée pour adopter des résolutions dans les matières qu'il énumère », cette liberté « trouve sa limite dans la nécessité d'instituer une règle d'adoption des résolutions soumises à l'examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires ».
Dans cette affaire, la clause statutaire a permis l'adoption d'une résolution relative à une augmentation de capital alors même que la proportion d'associés ayant voté « pour » représentait moins de la moitié des votes exprimés. Par conséquent, la Cour de cassation juge que « les résolutions d'une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés ». En effet, le tiers des associés ne peut représenter une quelconque majorité.
Une solution inédite
La Cour de cassation tranche ainsi la question de savoir si la liberté laissée aux associés des SAS de déterminer, dans les statuts, les règles d'adoption des décisions collectives des associés, autorise la rédaction d'une clause prévoyant l'adoption de certaines délibérations par une minorité d'associés. La Haute Cour répond donc par la négative.
Aussi logique soit-elle, la solution de la Haute Cour met fin à un débat doctrinal entre les auteurs partisans d'un vote à la majorité³, ceux admettant la possibilité de prévoir une minorité qualifiée pour adopter des décisions collectives⁴ et enfin, ceux - qui sans fermer la porte à une telle possibilité –émettaient quelques réserves et proposaient des alternatives (cf. droit de vote plural)⁵.
Toutefois, la solution de la Cour de cassation semble ne pas être totalement aboutie. En effet, comme le relève la doctrine, en envisageant une majorité simple des votes exprimés, la Cour de cassation semble écarter toute possible majorité relative dans certaines circonstances⁶
Etendue de la solution : seules seraient concernées les opérations visées à l'alinéa 2 de l'article L.227-9 du Code de commerce ?
La Cour de cassation s'est fondée sur l'article L.227-9 alinéa 2 du code de commerce pour rendre sa décision. En conséquence, la solution pourrait ne concerner que les opérations listées par cet alinéa. Il s'agit des opérations d'augmentation, d'amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d'une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, d'approbation des comptes annuels et des bénéfices.
Ainsi, certains auteurs estiment que la solution de la Haute Cour « ne s'étend pas aux autres décisions pour lesquelles ce sont les statuts qui attribuent compétence à la collectivité des associés en application de l'alinéa 1 de [l'article L.227-9 C.Com.] »⁷.
Toutefois, il pourrait paraître contestable d'adopter une solution différente pour les opérations autres que celles visées par l'alinéa 2 de l'article L.227-9. En effet, dès lors que les statuts prévoient qu'une décision collective des associés est nécessaire pour autoriser telle ou telle opération (par exemple, autoriser la signature de toute convention supérieure à un certain montant), le principe posé par la Cour de cassation pourrait être transposé.
On pourrait effectivement considérer que la Cour de cassation a institué un seuil minimum d'adoption des décisions collectives et ce, afin de permettre une validation collective et effective d'une opération qui relèverait de la compétence de la collectivité des associés. Les modalités d'adoption des décisions doivent, en effet, permettre de départager clairement les associés partisans et les opposants à l'opération qui leur est soumise.
Comme le relève un auteur⁸, pour éviter tout débat, une décision rendue sous le visa de l'article 1844 du Code civil (droit pour les associés de participer aux décisions collectives) aurait certainement permis à cet arrêt d'avoir une portée plus générale.
Conséquences du principe posé par la Cour de cassation
Compte tenu des éléments qui précèdent, les statuts de SAS prévoyant l'adoption de décisions collectives des associés à une minorité qualifiée devraient être revus⁹. A défaut, une telle clause risquerait d'être réputée non écrite comme pour les clauses statutaires écartant le vote des associés sur leur exclusion¹⁰.
Enfin, s'agissant des délibérations prises en application d'une telle clause comme dans l'affaire présentée ci-dessus, celles-ci pourraient, nous semble-t-il, encourir la nullité¹¹. En effet, le dernier alinéa de l'article L.227-9 du Code de commerce pourrait fonder une telle nullité puisque ce texte dispose que : « Les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé. ». Au cas d'espèce, il reviendra d'ailleurs à la Cour d'appel de renvoi de faire droit ou pas à la demande de nullité sollicitée par les associés.