7 juil. 2022
corporate

Gouvernance des SAS – Episode 2 : L'adoption des décisions collectives des associés

Par Christine Rocha

Avocat, Senior Manager – Business Law, France – Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

Christine Rocha est en charge de la doctrine, de la capitalisation des savoirs et de leur partage auprès des équipes en droit des affaires.

7 juil. 2022
Expertises associées Droit des affaires

Au premier semestre 2022, la Cour de cassation a rendu plusieurs arrêts intéressant la gouvernance des SAS. Après la question de la désignation du représentant permanent de la personne morale dirigeante¹, nous nous intéressons maintenant à un deuxième arrêt en date du 19 janvier 2022². Par cet arrêt, la Cour de cassation précise que l'adoption des décisions collectives des associés est nécessairement conditionnée à l'obtention d'une « majorité simple des votes exprimés ».

Au cas d'espèce, les statuts d'une SAS prévoyaient que les décisions collectives des associés étaient adoptées à la « majorité » du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés. Une augmentation de capital social avec suppression du droit préférentiel de souscription a ainsi été votée par 229 313 voix contre 269 185, soit par une minorité qualifiée.

Plusieurs associés, opposés à l'augmentation de capital, ont assigné la SAS et le reste des associés en annulation des délibérations litigieuses. La Cour d'appel de Paris a jugé que les décisions litigieuses étaient valables puisque prises conformément aux statuts.

Cet arrêt est censuré par la Cour de cassation, au visa de l'article L.227-9, alinéa 2 du Code de commerce qui dispose que : « […] les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d'augmentation, d'amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d'une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés. ».

En effet, comme l'affirme la Cour de cassation, si cette disposition légale « laisse une grande liberté aux associés pour déterminer, dans les statuts d'une [SAS], la majorité exigée pour adopter des résolutions dans les matières qu'il énumère », cette liberté « trouve sa limite dans la nécessité d'instituer une règle d'adoption des résolutions soumises à l'examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires ».

Dans cette affaire, la clause statutaire a permis l'adoption d'une résolution relative à une augmentation de capital alors même que la proportion d'associés ayant voté « pour » représentait moins de la moitié des votes exprimés. Par conséquent, la Cour de cassation juge que « les résolutions d'une SAS ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés ». En effet, le tiers des associés ne peut représenter une quelconque majorité.

Une solution inédite

La Cour de cassation tranche ainsi la question de savoir si la liberté laissée aux associés des SAS de déterminer, dans les statuts, les règles d'adoption des décisions collectives des associés, autorise la rédaction d'une clause prévoyant l'adoption de certaines délibérations par une minorité d'associés. La Haute Cour répond donc par la négative.

Aussi logique soit-elle, la solution de la Haute Cour met fin à un débat doctrinal entre les auteurs partisans d'un vote à la majorité³, ceux admettant la possibilité de prévoir une minorité qualifiée pour adopter des décisions collectives⁴ et enfin, ceux - qui sans fermer la porte à une telle possibilité –émettaient quelques réserves et proposaient des alternatives (cf. droit de vote plural)⁵.

Toutefois, la solution de la Cour de cassation semble ne pas être totalement aboutie. En effet, comme le relève la doctrine, en envisageant une majorité simple des votes exprimés, la Cour de cassation semble écarter toute possible majorité relative dans certaines circonstances⁶

Etendue de la solution : seules seraient concernées les opérations visées à l'alinéa 2 de l'article L.227-9 du Code de commerce ?

La Cour de cassation s'est fondée sur l'article L.227-9 alinéa 2 du code de commerce pour rendre sa décision. En conséquence, la solution pourrait ne concerner que les opérations listées par cet alinéa. Il s'agit des opérations d'augmentation, d'amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d'une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, d'approbation des comptes annuels et des bénéfices.

Ainsi, certains auteurs estiment que la solution de la Haute Cour « ne s'étend pas aux autres décisions pour lesquelles ce sont les statuts qui attribuent compétence à la collectivité des associés en application de l'alinéa 1 de [l'article L.227-9 C.Com.] »⁷.

Toutefois, il pourrait paraître contestable d'adopter une solution différente pour les opérations autres que celles visées par l'alinéa 2 de l'article L.227-9. En effet, dès lors que les statuts prévoient qu'une décision collective des associés est nécessaire pour autoriser telle ou telle opération (par exemple, autoriser la signature de toute convention supérieure à un certain montant), le principe posé par la Cour de cassation pourrait être transposé.

On pourrait effectivement considérer que la Cour de cassation a institué un seuil minimum d'adoption des décisions collectives et ce, afin de permettre une validation collective et effective d'une opération qui relèverait de la compétence de la collectivité des associés. Les modalités d'adoption des décisions doivent, en effet, permettre de départager clairement les associés partisans et les opposants à l'opération qui leur est soumise.

Comme le relève un auteur⁸, pour éviter tout débat, une décision rendue sous le visa de l'article 1844 du Code civil (droit pour les associés de participer aux décisions collectives) aurait certainement permis à cet arrêt d'avoir une portée plus générale.

Conséquences du principe posé par la Cour de cassation 

Compte tenu des éléments qui précèdent, les statuts de SAS prévoyant l'adoption de décisions collectives des associés à une minorité qualifiée devraient être revus⁹. A défaut, une telle clause risquerait d'être réputée non écrite comme pour les clauses statutaires écartant le vote des associés sur leur exclusion¹⁰.

Enfin, s'agissant des délibérations prises en application d'une telle clause comme dans l'affaire présentée ci-dessus, celles-ci pourraient, nous semble-t-il, encourir la nullité¹¹. En effet, le dernier alinéa de l'article L.227-9 du Code de commerce pourrait fonder une telle nullité puisque ce texte dispose que : « Les décisions prises en violation des dispositions du présent article peuvent être annulées à la demande de tout intéressé. ». Au cas d'espèce, il reviendra d'ailleurs à la Cour d'appel de renvoi de faire droit ou pas à la demande de nullité sollicitée par les associés.

  • Sources

    1. Gouvernance des SAS – Episode 1 : le représentant permanent et la sanction applicable à défaut de désignation de celui-ci (ey-avocats.com)
    2. Cass. Com. 19 janvier 2022, n° 19-12.696, publié au bulletin
    3. M.Cozian, A.Viandier et F.Deboissy estimaient que "Dans le silence de la loi, mais s'inspirant des travaux préparatoires, [...] ces décisions doivent être prises à la majorité, ce qui exclut qu'une minorité puisse imposer sa volonté"(Droit des sociétés, LexisNexis 2021 p. 572).
    4. Les auteurs du Lamy sociétés commerciales 2021 (§4256) considéraient que : "il appartient aux associés de déterminer les conditions de majorité requises, lesquelles peuvent ne pas être identiques pour l'ensemble des décisions. On peut même se demander s'ils ne pourraient pas valablement écarter pour l'adoption d'une décision l'exigence d'une majorité, et donc prévoir par exemple qu'une augmentation de capital pourrait être décidée par des actionnaires représentant un pourcentage significatif du capital (par exemple, 40 %), voire par un actionnaire nommément désigné. Une réponse positive ne nous semble pas inconcevable si l'on se souvient que la loi de la majorité n'a pas toujours gouverné la vie des groupements et que, dans certains d'entre eux, les décisions étaient prises par des membres minoritaires jugés particulièrement qualifié(cf. les rapports de F. Terré et J. Mestre au Colloque de l'Association Droit et Commerce, La loi de la majorité, RJ com. 1991, p. 9 et p. 138)."
    5. Si le Professeur L. Godon semblait admettre cette possibilité de vote par une minorité qualifiée, il restait prudent compte tenu des débats doctrinaux. Ainsi, il précisait que : « Une telle solution [vote minoritaire] ne serait pas dépourvue d'intérêt pour contrer la puissance d'un associé ou d'un groupe d'associés majoritaires. Certains investisseurs en capital-risque pourraient ainsi conditionner leur entrée dans la société à la négociation de clauses prévoyant que certaines décisions devront être adoptées à une minorité qualifiée, leur conférant ainsi un pouvoir de décision supérieur à leur participation minoritaire en capital. [...] Au nom de la liberté contractuelle, il n'y a rien de choquant à admettre cette éventualité. Pour réduire le risque de contentieux ultérieurs, un moyen moins controversé de rééquilibrer les pouvoirs entre associés et de compenser la position d'un associé minoritaire serait d'utiliser les ressources offertes par le mécanisme du vote plural. » (L. Godon, La société par actions simplifiée, LGDJ p. 328).De même, les professeurs M. Germain et M. Périn soulignaient, quant à eux, que cette possibilité pouvait poser des difficultés pratiques : « Il est vrai que l'article L. 227-9 n'indique pas si les décisions jugées particulièrement importantes et réservées par la loi ou les statuts à l'ensemble des associés doivent être prises au moins à la majorité, alors que le texte du projet de loi initial l'affirmait. [...] Si l'on peut concevoir un vote de défiance permettant à une minorité de démettre un dirigeant, il n'est pas aisé de définir les conditions de nomination de son remplaçant : la minorité peut-elle durablement l'imposer, ou la majorité retrouve-t-elle ses droits ? Il est possible de trouver le même effet par des montages différents : attribution d'un droit de vote plural conférant à un associé la majorité [...] ». (Germain M., Périn P.-L., SAS - La société par actions simplifiée, juill. 2016, Lextenso, §491)
    6. Voir, en ce sens, la note du Professeur François-Xavier Lucas : « Définition de la majorité qu'implique la prise de décisions collectives de SAS », Bulletin Joly Sociétés, Avril 2022, pages 22 et suivantes. Cet auteur donne l'exemple suivant : « La situation peut se rencontrer lorsque les associés ont été invités à voter sur plus de deux branches d'une alternative (choisissez-vous de modifier la dénomination sociale : 1°) Non, 2°) Oui et je choisis la dénomination Primus, 3°) Oui et je choisis la dénomination Secondus). Si l'une des trois motions recueille 40 % et chacune des deux autres 30 %, elle devrait pouvoir être tenue pour adoptée si les statuts prévoient la possibilité d'une adoption d'une délibération à la majorité relative. Pourtant, ce n'est pas ce que dit l'arrêt […]. »
    7. Précisions importantes avant les assemblées données par deux arrêts de la Cour de cassation – Bruno Dondero, BRDA 4/22, Question d'actualité, n°19, 15 février 2022 ; Par le même auteur : « Société par actions simplifiée - La décision adoptée à la... minorité ? » - Bruno Dondero, JCP E n° 10, 10 Mars 2022, 1091
    8. « Définition de la majorité qu'implique la prise de décisions collectives de SAS » - François-Xavier Lucas, Bulletin Joly Sociétés, Avril 2022, pages 22 et suivantes
    9. La question pourrait dès lors se poser de savoir à quelle majorité modifier les statuts pour les rendre conformes…Pour mémoire, l'article 1836, alinéa 1er du Code civil dispose que : « Les statuts ne peuvent être modifiés, à défaut de clause contraire, que par accord unanime des associés. ».
    10. Voir notamment Cass. Com. 9 juillet 2013, n°11-27.235 et n°12-21.238, publiés au bulletin et Cass. com., 6 mai 2014, n°13-14.960, inédit. La Cour de cassation se fondait sur l'article 1844-10 du Code civil qui dispose que : « Toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du présent titre dont la violation n'est pas sanctionnée par la nullité de la société, est réputée non écrite. ». Pour ce qui concerne les arrêts rendus en matière de clauses d'exclusion des associés, la sanction du « réputé non écrit » paraît plus évidente puisque ces arrêts se fondaient sur une violation de l'article 1844 du Code civil Pour ce qui concerne l'hypothèse d'une clause prévoyant l'adoption des décisions collectives par une minorité qualifiée, la sanction du « réputé non écrit » peut néanmoins sembler plus discutable. Au cas d'espèce, la Cour de cassation pour rendre son arrêt se fonde sur l'article L.227-9 du Code de commerce, elle ne fait donc pas référence à une disposition impérative du Code civil. Il en serait différemment si dans des contentieux futurs, les juges du fond ou la Cour de cassation rendaient leurs décisions en se fondant sur l'article 1844 du Code civil.
    11. Pour un auteur, envisageant plutôt une inopposabilité des délibérations votées, voir : « La liberté contractuelle ne permet pas de retenir une majorité qui n'en est pas une ! », Jean-François Hamelin, Droit des sociétés, LexisNexis SA, Avril 2022, n°4

Ce qu'il faut retenir

A propos de cet article

Par Christine Rocha

Avocat, Senior Manager – Business Law, France – Centre d’Etudes Juridiques et Fiscales

Christine Rocha est en charge de la doctrine, de la capitalisation des savoirs et de leur partage auprès des équipes en droit des affaires.

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