18 juil. 2022
Crypto-currency

Vers un cadre réglementaire Européen unifie applicable au marché des cryptos-Actifs

Auteurs
Fabrice Naftalski

Avocat Associé, Global Head of Data Protection Law, département IP/IT et Protection des données, France

Fabrice gère en France les activités de droit du numérique, de protection des données personnelles et de propriété intellectuelle et la protection des données personnelles du réseau mondial EY Law.

Mael Fablet

Avocat Associé

Mael Fablet est avocat au sein d'Ernst & Young Société d'avocats depuis 2007

18 juil. 2022
Expertises associées Droit des affaires

L'Union européenne souhaite se doter d'un cadre unifié en matière de réglementation du marché des crypto-actifs. La proposition de règlement dite « MiCA », qui reprend les grands principes du régime français, a pour principaux objectifs d'encadrer les activités des acteurs du marché des crypto-actifs.

Le 30 juin 2022, le Conseil et le Parlement européen ont trouvé un accord provisoire¹ sur une proposition de Règlement dite « MiCA » (Markets in crypto-assets) (ci-après le « Règlement MiCA »)²

Le Règlement MiCA a pour objectif de fixer le cadre réglementaire européen applicable aux activités relatives à certains crypto-actifs au sein de l'Union Européenne. Ce règlement s'inscrit notamment dans le cadre du Plan d'action pour les technologies financières de la Commission européenne³.

Avant l'adoption formelle de cette proposition, le texte doit être soumis à l'approbation finale du Conseil et du Parlement européen. L'application du Règlement MiCA est envisagée par la Commission européenne entre 2023 et 2024.

Cela signifie que les acteurs en matière de crypto-actifs doivent d'ores et déjà tenir compte des prérequis du Règlement MiCA dans le cadre de l'exercice de leurs activités au sein de l'Union Européenne.

En effet, le Règlement MiCA a vocation à s'appliquer – de manière directe sans qu'une transposition ne soit nécessaire - aux personnes qui émettent des crypto-actifs ou fournissent des services relatifs à des crypto-actifs au sein de l'Union européenne.

Ces crypto-actifs sont « une représentation numérique d'une valeur ou de droits pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d'une technologie similaire »⁴, c'est-à-dire tous les actifs transmis via une technologie blockchain qui disposent d'une certaine valeur ou octroient des droits à leur titulaire. En particulier, peuvent être concernés en fonction de leur qualification les jetons utilitaires ou « utility token », par exemple les « fan token »⁵ ou encore des tokens utilisés directement sur les plateformes d'échange comme le « BNB », jeton utilitaire émis par Binance, un prestataire de service sur actif numérique majeur sur le marché, etc..  

Certaines catégories de crypto-actifs et certaines catégories d'organismes/institutions sont néanmoins exclus du champ d'application du Règlement MiCA. Par exemple : le Règlement ne s'applique pas aux crypto-actifs qui remplissent les conditions pour être considérés comme des instruments financiers, de la monnaie électronique ou une titrisation. Par ailleurs, le Règlement ne s'applique pas, entre autres, à la Banque Centrale Européenne (BCE) et aux banques centrales nationales ou encore aux entreprises d'assurance.

Il existe également des exceptions spécifiques pour les établissements de crédit et les établissements de monnaie électronique.

Le Règlement reprend le cadre général prévu par le droit français, au sein de la Loi relative à la croissance et la transformation des entreprises du 22 mai 2019, dite « Loi Pacte »⁶. En effet, la France était alors l'un des premiers Etats Membres à se doter d'un cadre législatif pour encadrer les activités d'actifs numériques ou « crypto-actifs »⁷.

Dans le même esprit, le Règlement MicA définit aujourd'hui des exigences strictes couvrant essentiellement :

  • les offres au public/émissions de crypto-actifs, en instaurant un nouveau cadre pour les émetteurs de crypto-actifs au sein de l'Union européenne (Titre II) 
  • la fourniture de services sur crypto-actifs, en venant ainsi réguler les prestataires de services sur crypto-actifs au sein de l'Union Européenne (Titre V).

Le règlement MiCA propose par ailleurs un régime spécifique applicable aux « jetons de valeur stable » ou « stablecoins ». Ces jetons constituent « un type de crypto-actif qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur de plusieurs monnaies fiat qui ont cours légal, à une ou plusieurs matières premières ou à un ou plusieurs crypto-actifs, ou à une combinaison de tels actifs »⁸. Il existe de nombreux jetons de valeur stable échangés aujourd'hui sur le marché. Par exemple, la société LUGH⁹ vient récemment d'obtenir son enregistrement auprès de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) en France et émet un stablecoin appelé l'EURL adossé à l'euro pour réaliser des transactions via une blockchain.

A ce stade de la procédure d'adoption du Règlement MiCA, il est pertinent de comparer le futur régime applicable et le régime français actuellement en vigueur en France.

1.     La qualification des crypto-actifs

La Loi Pacte avait adopté la dénomination d'« actifs numériques »¹⁰ pour viser les crypto-monnaies et les « utility token »  ou « jetons utilitaires ». Le législateur français avait alors fait le choix d'adopter des définitions larges permettant de suivre l'évolution très rapide du marché des crypto-actifs et des nouvelles activités de ce secteur.

Le Règlement MiCA propose (dans la version française) de recourir à une notion de « crypto-actifs » qui est plus large encore. Le Règlement MiCA apporte par ailleurs des définitions plus précises des différentes catégories de crypto-actifs soumises aux dispositions du Règlement MiCA :

 

LOI PACTE

  Actifs numériques
(Article L54-10-1 CMF)
 
   

« Token » ou Jeton
(Article L552-2 CMF)

 

« Utility Token » :
Représentation numérique sur une blokchain d'un ou plusieurs droits

(Article L.54-10-1 1° CMF)

Crypto-monnaie

(Article L.54-10-1 2° CMF)

« Security Token » : 
Représentation numérique sur une blockchain assimilée à un instrument financier ou un bon de caisse
 
     

Règlement MiCA

« Crypto-actif  »

 (Article 2 Règlement MiCA)

   

« jeton se référant à un ou des actifs » ou « stablecoins »

Un type de crypto-actif qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur de plusieurs monnaies fiat qui ont cours légal, à une ou plusieurs matières premières ou à un ou plusieurs crypto-actifs, ou à une combinaison de tels actifs

« jeton de monnaie électronique »

Un type de crypto-actif dont l'objet principal est d'être utilisé comme moyen d'échange et qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur d'une monnaie fiat qui a cours légal

« jeton utilitaire »

Un type de crypto-actif destiné à fournir un accès numérique à un bien ou à un service, disponible sur la blockchain, et uniquement accepté par l'émetteur de ce jeton

Ni la Loi Pacte ni le Règlement MiCA ne définissent le Non-Fungible Token (NFT) ou jeton non-fongible et aucune des deux réglementations ne prévoit de régime spécifique applicable aux NFT. Une possible qualification des NFT en tant qu' « actifs numériques » permet d'appliquer la Loi Pacte. En tout état de cause, seuls les NFT qui correspondent aux définitions prévues par le Règlement MiCA seront soumis aux dispositions et au régime prévu par le Règlement.

En effet, dans le Communiqué de presse du Conseil de l'Union européenne du 30 juin 2022 concernant l'accord provisoire sur le Règlement MiCA, il est précisé que « Les jetons non fongibles (NFT), c'est-à-dire des actifs numériques représentant des objets réels tels que des œuvres d'art, de la musique et des vidéos, seront exclus du champ d'application du règlement MiCA sauf s'ils rentrent dans les catégories de crypto-actifs existantes. Dans un délai de 18 mois, la Commission européenne sera invitée à préparer une évaluation complète et, si cela est jugé nécessaire, d'évaluer la nécessité de proposer un régime réglementaire spécifique pour les NFT et d'aborder les risques émergents de ce nouveau marché. ».

2.     L'émission des crypto-actifs

La Loi Pacte était venue prévoir un régime pour encadrer les émissions d'actifs numériques. Cependant, ce régime facultatif, les émissions de crypto-actifs n'étant pas interdites per se en France, reste à ce jour encore inadapté au regard des pratiques actuelles du marché des crypto-actifs[11]. Le Règlement MiCA propose d'adopter un régime spécifique applicable aux émissions selon la catégorie de crypto-actif concernée (par exemple : émissions de crypto-actifs autres que les stablecoins ou jetons de monnaie électronique, émissions de stablecoins, émissions de jetons de monnaie électronique).

Contrairement au régime de visa prévu par la Loi Pacte[12], le régime prévu par le Règlement MiCA pour l'émission de crypto-actifs autres que les stablecoins ou les jetons de monnaie électronique est obligatoire. Il tient par ailleurs compte de la nécessité de renforcer les droits des consommateurs notamment en matière de communication commerciale.

3.     Prestataires de services sur crypto-actifs (PSCA)

Sur le modèle du régime prévu par la Loi Pacte, le Règlement MiCA propose une liste de « services sur crypto-actifs » couvrant a priori la diversité des activités des principaux acteurs sur le marché des crypto-actifs.

LOI PACTE

Liste des services définis par la Loi Pacte[13]
Listes des services définis par le Règlement MiCA[14]
  1. Le service de conservation pour le compte de tiers d'actifs numériques ou d'accès à des actifs numériques, le cas échéant sous la forme de clés cryptographiques privées, en vue de détenir, stocker et transférer des actifs numériques ;
  2. Le service d'achat ou de vente d'actifs numériques en monnaie ayant cours légal ;
  1. Le service d'échange d'actifs numériques contre d'autres actifs numériques ;
  2. L'exploitation d'une plateforme de négociation d'actifs numériques ;
  3. Les services suivants :
    1. La réception et la transmission d'ordres sur actifs numériques pour le compte de tiers ;
    2. La gestion de portefeuille d'actifs numériques pour le compte de tiers ;
    3. Le conseil aux souscripteurs d'actifs numériques ;
    4. La prise ferme d'actifs numériques ;
    5. Le placement garanti d'actifs numériques ;
    6. Le placement non garanti d'actifs numériques.
  1. La conservation et l'administration de crypto-actifs pour le compte de tiers ;
  2. L'exploitation d'une plate-forme de négociation de crypto-actifs ;
  3. L'échange de crypto-actifs contre de la monnaie fiat ayant cours légal ;
  4. L'échange de crypto-actifs contre d'autres crypto-actifs ;
  5. L'exécution d'ordres sur crypto-actifs pour le compte de tiers ;
  6. Le placement de crypto-actifs ;
  7. La réception et la transmission d'ordres sur crypto-actifs pour le compte de tiers ;
  8. La fourniture de conseils en crypto-actifs ;

Les services prévus par la Loi Pacte et le Règlement MiCA se recoupent globalement et semble a priori couvrir les principales activités aujourd'hui fournies par les acteurs du marché des crypto-actifs.

Le régime français prévoit pour les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) un double système :

  • enregistrement obligatoire pour certains types de services auprès de l'AMF ;
  • agrément facultatif pour l'ensemble des services auprès de l'AMF.

Au contraire, le Règlement MiCA prévoit un régime unique d'agrément obligatoire des PSCA auprès d'une autorité compétente d'un Etat Membre de l'Union Européenne pour la fourniture de certains services définis dans le Règlement MiCA. Les PSCA souhaitant obtenir un tel agrément devront obligatoirement disposer d'un établissement au sein de l'Union Européenne.

Cet agrément obligatoire, une fois obtenu, permet au PSCA de fournir les services sur crypto-actifs sur l'ensemble du territoire de l'Union Européenne dans le cadre d'un « passeport européen ».

Les exigences en matière d'agrément prévues par le Règlement MiCA sont sensiblement similaires aux exigences prévues par la Loi Pacte pour l'obtention de l'enregistrement auprès de l'AMF.

Il conviendra donc d'étudier à l'avenir la possibilité pour les PSAN bénéficiant d'ores et déjà d'un enregistrement en France auprès de l'AMF de bénéficier de l'agrément obligatoire prévu par le Règlement MiCA. A cet égard, une période transitoire de 18 mois suivant l'entrée en application du Règlement MiCA sera accordée aux acteurs bénéficiant d'un enregistrement ou d'un agrément PSAN auprès de l'AMF, qui pourront pendant cette période continuer à offrir leurs services au public français en attendant l'obtention de leur agrément MiCA en tant que PSCA[15].

4.     Autorités compétentes et sanctions

Le Règlement MiCA désigne plusieurs autorités qui seront en charge du contrôle et de la bonne mise en œuvre du Règlement :

  • Au niveau de l'Union Européenne : l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et l'Autorité Bancaire Européenne (ABE)
  • Au sein des Etats membres : chaque Etat membre désignera la/les autorité(s) compétente(s) chargées d'exercer les fonctions et missions prévues par le règlement (Article 81 du Règlement MiCA)
  1. Pour rappel :  En France, l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) sera sans doute un choix privilégié. L'AMF est déjà en charge de la mise en œuvre de la réglementation actifs numériques en France (Loi Pacte). Il est également possible que la Banque de France puisse être impliquée dans la mise en œuvre du Règlement MiCA en particulier concernant les stablecoins/jetons de monnaie électronique

Comme la plupart des récentes réglementations européennes, le Règlement MiCA prévoit un principe de coopération entre les différentes autorités compétentes[16].

Ces autorités disposeront de diverses prérogatives[17] et notamment de pouvoirs de surveillance, d'enquête et de sanction[18].

En particulier, il est prévu en cas de manquement au Règlement MiCA:

  • Des sanctions administratives (par exemple : des amendes administratives (pour les personnes morales, d'un montant d'au moins 5 millions d'euros ou 3% du chiffre d'affaires annuel total de la personne morale pour des infractions aux règles en matière d'émission de crypto-actifs), des injonctions, des déclarations publiques etc.) ;
  • Des sanctions pénales mises en place par le droit national des Etats membres.

Ainsi, dans sa version actuelle, le Règlement MiCA prévoit un régime unifié applicable aux émetteurs de crypto-actifs et aux prestataires de services sur crypto-actifs. Le régime proposé, proche du régime français prévu par la Loi Pacte, comporte cependant des spécificités notamment s'agissant de la réglementation de certaines catégories de crypto-actifs.

Il conviendra de suivre de près l'adoption formelle du Règlement MiCA afin de déterminer le cadre réglementaire final applicable au marché des crypto-actifs sur le marché européen. La mise en œuvre pratique des dispositions du Règlement MiCA au sein des Etats Membres devra également être analysée afin de déterminer les modalités spécifiques qui seront applicables aux émetteurs de crypto-actifs et aux PSCA. En particulier en France, une mise à jour des dispositions du Code Monétaire et Financier est à prévoir. L'AMF indique sur son site internet qu'elle « travaillera avec les acteurs et les associations professionnelles afin de clarifier les dispositions du texte, d'anticiper les prochaines étapes et d'accompagner la transition du cadre français vers le cadre européen »[19].

  • Sources

    1. « Finance numérique: accord sur le règlement européen portant sur les crypto-actifs (MiCA) » Conseil de l'Union européenne – Communiqué de presse – 30 juin 2022
    2. Proposition de RÈGLEMENT DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL sur les marchés de crypto-actifs, et modifiant la directive (UE) 2019/1937 (COM/2020/593 final)
    3. FinTech Action plan: For a more competitive and innovative European financial sector – 8 mars 2018 –  (COM(2018) 109 final)
    4. Article 1 du Règlement MiCA
    5. Par exemple les « fan token » émis par Socios ou Binance.
    6. LOI n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises
    7. Aujourd'hui, d'autres Etats Membres ont étoffé leur législation et proposent un encadrement similaire des acticités relatives aux crypto-actifs (par exemple : en Italie et en Allemagne)
    8. Article 1 du Règlement MiCA
    9. « Obtenir un enregistrement / un agrément PSAN » - amf.fr
    10. Article L54-10-1 Code monétaire et financier
    11. Selon les acteurs du marché crypto-actif, le régime prévu manque de flexibilité et n'est pas adapté aux nouvelles temporalités des émissions de crypto-actifs –  Voir par exemple les conclusions du Rapport d'information déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire sur la mise en œuvre des conclusions de la mission d'information relative aux crypto-actifs, n° 4753 , déposé(e) le mercredi 1er décembre 2021
    12. Articles L.552-1 à L.552-7 du Code Monétaire et Financier
    13. Article L.54-10-2 Code Monétaire et Financier
    14. Article 3 (9) du Règlement MiCA
    15. « Marchés de crypto-actifs : accord européen sur le projet de règlement MiCA » - AMF – 13 juillet 2022
    16. Article 83 du Règlement MiCA
    17. Article 82 du Règlement MiCA
    18. Article 92 du Règlement MiCA
    19. « Marchés de crypto-actifs : accord européen sur le projet de règlement MiCA » - AMF – 13 juillet 2022

Ce qu'il faut retenir

A propos de cet article

Auteurs
Fabrice Naftalski

Avocat Associé, Global Head of Data Protection Law, département IP/IT et Protection des données, France

Fabrice gère en France les activités de droit du numérique, de protection des données personnelles et de propriété intellectuelle et la protection des données personnelles du réseau mondial EY Law.

Mael Fablet

Avocat Associé

Mael Fablet est avocat au sein d'Ernst & Young Société d'avocats depuis 2007

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