7 min de temps de lecture 3 juin 2021
Pérenniser le télétravail après la crise du covid-19 : quels enjeux ?

Pérenniser le télétravail après la crise du covid-19 : quels enjeux ?

Par Marie-Pascale Piot

Avocat, Associate Partner, EY Société d’Avocats, France

Stratégie, dialogue, co-construction et partage pour conseil en droit du travail pragmatique et efficient !

7 min de temps de lecture 3 juin 2021
Expertises associées Droit des affaires Workforce

La pandémie a accéléré la transformation des modèles d’organisation du travail. Quelles réflexions désormais engager dans ce contexte post-covid ?

En résumé
  • Au-delà du recours contraint au travail à distance pendant la crise sanitaire, la pandémie a permis de changer le regard sur le télétravail.
  • De nombreuses entreprises souhaitent aujourd’hui engager une profonde transformation de leur modèle d’organisation.
  • Ces réflexions nécessitent de procéder à une analyse à 360 degrés de toutes les composantes de l’organisation du travail.

Avec la montée en puissance de la campagne de vaccination, la fin de la pandémie du Covid-19 est devenue une hypothèse crédible, permettant d’envisager un retour à une activité plus normalisée à court terme pour les entreprises françaises et leurs collaborateurs.

Mais la crise sanitaire a incontestablement ouvert le champ des possibles et permis une expérimentation à très grande échelle d’organisations de travail jusqu’alors évoquées en mode projet pour des équipes de volontaires.

Le moment semble désormais propice à l’introspection pour tirer les enseignements de cette crise inédite sur l’organisation du travail et le recours obligatoire au télétravail dans un certain nombre de cas. Un effort de réflexion prospective doit également être mené pour préparer l’avenir, pour créer un nouveau cadre organisationnel évolutif car un retour à la situation qui prévalait avant la pandémie semble illusoire.

Quatre étapes peuvent ainsi être suivies :  

1. Réaliser un bilan précis et multi-facettes

Une relecture posée de ces derniers mois doit au préalable être réalisée pour identifier les éléments qui ont fonctionné, les initiatives prises qui ont pu être déployées ou non, pour évaluer la répartition du temps modifiée et les autonomies acquises ou non. Cette analyse doit également porter sur les échecs, les souffrances et les dysfonctionnements. L’ensemble des acteurs de l’entreprise doit être associé à cette introspection, fonction par fonction, métier par métier :

  • Faire le bilan des pratiques de travail à distance durant la crise, leurs avantages et inconvénients,
  • Analyser les fonctions et leur adaptabilité au télétravail durant la crise,
  • Analyser les retours d’expériences de l’ensemble des acteurs internes et externes (prestataires, clients, co-contractant, etc.),
  • Identifier les bonnes pratiques ou outils mis en place durant la crise et qui pourraient être pérennisés,
  • Identifier les attentes des représentants du personnel, des salariés, du management,
  • Evaluer les orientations et les tendances d’évolution de l’activité,
  • Etc.

Au-delà de l’analyse opérationnelle, le diagnostic doit aussi être juridique : pour savoir ce qui doit être adapté, il faut savoir ce qui est peut juridiquement être modifié, étudier les normes, les accords existants qui encadrent le télétravail. Et il est enfin économique : quelles sont les orientations business de l’entreprise ? avec quel investissement financier ou autres ? quels acteurs ? etc.

L’ensemble de ces considérations permettra d’ajuster les besoins humains, techniques pour définir une organisation optimale, entre présentiel et distanciel, qui favorise l’épanouissement professionnel et personnel des collaborateurs et les performances de l’entreprise.

2. Déterminer l’organisation de travail et les périmètres d’application

A partir de ces éléments concrets et opérationnels, une organisation peut être construite, éventuellement là aussi par métiers. Tout peut être imaginé.

Pour ce faire, il sera nécessaire d’évaluer les besoins de temps collaboratifs que ce soit sur le plan opérationnel mais aussi sur le plan informel, et de déterminer chaque population éligible au changement, pour quelles modalités de télétravail, à quel rythme et avec quels outils.

Peuvent notamment être pris en considération les éléments suivants :

  • Le mode hybride, en partie en présentiel et en partie en distanciel, est-il une option à envisager ?
  • Tout le monde peut-il ou doit-il travailler à distance ?
  • Le recours à des tiers lieux est-il pertinent et comment les gérer ?
  • Le travail à distance depuis l’étranger peut-il être envisagé ?
  • « Pesée » des sites : des sites de production peuvent-ils abriter des bureaux ?
  • La population salariée est-elle mobile ?
  • La pratique managériale doit-elle être modifiée ?
  • Quels seront les besoins en formation ?
  • Etc.

3. Etablir le cadre juridique

Une fois les modèles d’organisation identifiés, il faudra alors établir le cadre juridique adéquat avec la négociation ou la révision d’une charte ou d’un accord collectif au niveau de l’établissement, de l’entreprise ou du groupe, ou encore par le recours à des avenants au contrat de travail. Quelle que soit la formule choisie, il est impératif d’assurer la cohérence d’ensemble entre l’accord ou la charte, les contrats de travail, les politiques internes, etc.

Dans le cas de mobilités, les accompagnements et modalités de proposition peuvent être envisagées dans un accord spécifique.

Si l’organisation implique un passage de frontière, qu’il s’agisse de télétravail à l’international ou le recours à des tiers lieux à l’étranger, les conséquences fiscales pour les salariés et l’entreprise doivent être anticipées. En effet, l’exercice d’une activité à l’étranger même si elle n’est effectuée que par une seule personne en télétravail, peut générer un risque d’établissement stable, pose la question du régime social et fiscal des rémunérations versées, du statut social et fiscal des salariés concernés, du droit du travail applicable et des avantages et couvertures sociales envisageables.

Quelle que soit l’organisation, ou les organisations, retenues, l’obligation de l’employeur de préserver la santé et la sécurité des salariés devra enfin être assurée et documentée.

4. Inventer les connexions internes de demain

Avec la mise en place de nouveaux modes d’organisation du travail, il conviendra également de repenser les modes d’échanges, de communication et de connexion :

  • Quelle utilisation des bureaux ? Home office, flex office, open space, bureaux cloisonnés, toutes les options sont envisageables pour autant qu’elles soient cohérentes avec les lignes directrices adoptées.
  • Quelles modalités de réunion ? Les nouvelles technologies permettent d’assurer l’efficacité et la fluidité des échanges y compris lorsque l’organisation est hybride, mais il peut être nécessaire d’adapter les outils existants à l’organisation choisie.
  • Quelles modalités d’intégration des nouveaux embauchés ? 
  • Quel suivi de la performance ? Repenser les outils de mesure peut être nécessaire, compte tenu de la nouvelle organisation du travail.
  • Quel dialogue social ? Comment peut-on organiser, le cas échéant, les échanges à distance pour récolter l’avis et l’expertise des représentants du personnel et des partenaires sociaux sur les questions organisationnelles ?

D’un point de vue purement social, une multitude d’enjeux doivent être pris en compte : qualité de vie au travail, lien social, droits et obligations, synergies et collaboration, protection des données, équilibre vie professionnelle/ vie personnelle, etc.

Quels que soient les cadres choisis, tous les processus RH devront être revus pour s’assurer de la cohérence d’ensemble : procédure de recrutement, intégration des nouveaux arrivants, politique de déplacements et de frais, politique de rémunération, approches managériales, outils de contrôle de la performance, canaux de communication interne, communication des représentants du personnel, etc.

Des rendez-vous réguliers devront être programmés pour faire le bilan de la ou des organisations choisies et envisager les ajustements éventuels.

Tout ne se fera pas en un jour et évoluera sans doute à moyen et long terme mais la période est d’évidence particulièrement propice pour entamer cette réflexion.

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Ce qu'il faut retenir

La crise sanitaire s’est avérée être un véritable accélérateur pour la transformation des modèles d’organisation. Les entreprises qui souhaitent engager une profonde réflexion sur l’organisation de leur travail devront procéder au préalable à un bilan des pratiques mises en œuvre pendant la crise sanitaire pour en tirer les enseignements nécessaires. Cette réflexion devra également engager toutes les parties prenantes afin d’étudier l’ensemble des options possibles et définir le modèle d’organisation le plus adapté à leurs enjeux, qu’ils soient stratégiques, économiques, humains, ou encore immobiliers.

A propos de cet article

Par Marie-Pascale Piot

Avocat, Associate Partner, EY Société d’Avocats, France

Stratégie, dialogue, co-construction et partage pour conseil en droit du travail pragmatique et efficient !