10 min de temps de lecture 22 déc. 2022
Colonnes de Buren à Paris

Pilier 2 : l’OCDE publie les mesures de sauvegarde et lance deux nouvelles consultations publiques

Auteurs
Claire Acard

Avocat Associée, Global International Tax and Transaction Services Quality Leader, France Tax Quality Leader

Avocat associée spécialisée en fiscalité financière et internationale. Accompagne de grands groupes français dans leurs stratégies de développement ou de redéploiement tant en France qu’à l’étranger.

Jean-Laurent Bargiarelli

Avocat Associé, International Tax & Transaction Services – Operating Model Effectiveness , France

Jean-Laurent accompagne les multinationales françaises et étrangères dans leurs projets de transformation et de transaction à l’international.

Anne-Lyse Blandin

Associée, Business Tax Services, France

Anne-Lyse accompagne les entreprises dans leurs problématiques comptables à enjeux fiscaux : opérations complexes, restructurations, acquisitions, contentieux fiscaux, structuration de projets.

Matthieu Dautriat

Avocat Associé | Private Leader EMEIA Financial Services Office

Matthieu est avocat et intervient auprès des acteurs du secteur bancaire et financier.

10 min de temps de lecture 22 déc. 2022

Après l’adoption de la directive au niveau de l’Union Européenne (UE) le 15 décembre dernier, l’OCDE a publié, le 20 décembre, un document sur les mesures de sauvegarde (« Safe Harbours ») et initié deux nouvelles consultations publiques, l’une portant sur le modèle de déclaration GloBE et l’autre sur la sécurité juridique pour les règles GloBE.

Cette publication, qui parachève le premier temps fort de la mise en œuvre de Pilier 2, devrait permettre aux entreprises de se préparer de manière concrète aux échéances 2024, tout en simplifiant de manière significative le déploiement des mesures GloBE pour de nombreux groupes, a minima de manière transitoire.

Au niveau de l'OCDE : publication des mesures de sauvegarde et lancement de consultations publiques sur le modèle de déclaration GloBE et sur la sécurité juridique

Les tant attendues mesures de sauvegarde, qui se déclinent entre mesures transitoires et mesures permanentes, viennent – enfin – d’être publiées par l’OCDE. Ces mesures seront favorables aux groupes en ce qu’elles simplifient drastiquement le calcul du taux effectif d’imposition (TEI) juridictionnel et permettent d’échapper à l’Impôt Complémentaire dans les pays non significatifs et/ou à taux « fort ». Des consultations publiques portant sur le modèle de déclaration GloBE et sur les régimes de sécurité juridique ont également été initiées.

Mesures de sauvegarde transitoires

Dans la mesure où la période transitoire est définie comme englobant tout exercice financier commençant au plus tard le 31 décembre 2026, et clos, au plus tard, le 30 juin 2028, les entreprises qui clôturent leurs comptes au 31 décembre, pourront bénéficier de ces mesures au titre de trois exercices en ce qui concerne la Règle d’inclusion du revenu (RDIR) et deux exercices en ce qui concerne la Règle des profits insuffisamment imposés (RPII).

L’application de ces règles pour une juridiction donnée sera toutefois subordonnée à l’exercice par le groupe d’une option dès le premier exercice d’assujettissement aux règles GloBE de cette juridiction.

En vertu de ces règles, l’Impôt Complémentaire dans une juridiction donnée sera réputé nul, et les Entités Constitutives seront dispensées de calcul GloBE détaillé, pendant la période de transition, lorsque le groupe aura déclaré dans sa déclaration pays-par-pays (CbCR), au titre de ladite juridiction, moins de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires et moins d’un million d’euros de bénéfice avant impôts.

Ces règles visent également à exclure du calcul GloBE les juridictions dont le TEI, apprécié selon des modalités simplifiées, serait supérieur à un taux qui, fixé à 15 % au titre de l’exercice 2024, augmentera à 16% en 2025 et atteindra 17 % au titre de l’exercice 2026. Pour l’application de cette règle, le TEI sera calculé sur la base du rapport entre :

  1. d’une part, la charge d’impôts déclarée dans les états financiers consolidés retraitée uniquement des positions incertaines et des impôts qui ne constituent pas des impôts couverts ; et
  2. d’autre part, le résultat courant avant impôts reporté dans le CbCR.

Toute juridiction dont le TEI simplifié excéderait le taux de référence susmentionné sera exclue, pour le groupe d’entreprises considéré, du champ d’application des mesures GloBE jusqu’à la fin de la période transitoire. Pour les autres juridictions, le TEI GloBE et l’Impôt Complémentaire seront calculés conformément aux Règles Modèles. 

Enfin, ces règles excluent du calcul GloBE les juridictions dont le résultat avant impôts, tel que déclaré dans le CbCR, est inférieur ou égal au montant de l’exclusion des bénéfices liés à la substance.

Le document publié par l’OCDE contient un certain nombre de précisions relatives :

  • aux entités ou juridictions qui ne peuvent pas bénéficier des règles transitoires¹ dans certains cas limités ;
  • aux règles spécifiques applicables aux Joint-Ventures, aux Entités Mères Ultimes transparentes ou bénéficiant du régime des dividendes déductibles, ainsi qu’aux Entités d’Investissement et Entités Constitutives associées ;
  • en cas de perte latente nette sur titres supérieure à 50 millions d’euros dans une juridiction, la perte étant alors exclue du bénéfice avant impôts ;
  • à l’impact des mesures de sauvegarde sur les règles de la période transitoire du Chapitre 9, et également sur l’option pour le Déficit Admissible Globe (GloBE Loss Election) prévue à l’article 4.5 des Règles Modèles.

Pour finir, le document publié prévoit également des mesures d’allègement des pénalités pendant la période transitoire en vertu desquelles aucune sanction ou pénalité ne devrait s’appliquer à un groupe lorsque celui-ci a pris des « mesures raisonnables » pour assurer la mise en œuvre correcte des règles GloBE.

Mesures de sauvegarde permanentes

Le document publié par l’OCDE évoque également des mesures de sauvegarde permanentes dont l’objet serait de proposer des mécanismes de calculs simplifiés du résultat, du chiffre d’affaires, et du montant de l’impôt couvert pour les besoins du calcul de la règle de minimis, de l’exclusion des bénéfices liés à la substance et du TEI, afin d’exclure toute obligation fiscale GloBE dans une juridiction donnée, sans toutefois apporter les précisions attendues puisque le détail de ces règles est renvoyé à des publications ultérieures dans le cadre des développements du Cadre Inclusif relatifs aux mesures de sauvegarde.

Le cas particulier des Entités Constitutives non matérielles (i.e., entités qui ne font pas l’objet d’une consolidation ligne à ligne en raison de leur taille ou des seuils de matérialité) est tout de même spécifiquement traité dans le document publié le 20 décembre. L’OCDE prévoit ainsi que, dans le cadre des mesures de sauvegarde permanentes, le calcul des seuils d’application des règles GloBE est effectué sur la base du résultat avant impôts et du montant des impôts couverts déterminés conformément aux réglementations CbCR applicables.

Enfin, l’OCDE annonce que feront également l’objet de développements ultérieurs les mesures de sauvegarde relatives à l’Impôt Complémentaire National Qualifié dans le cadre de travaux spécifiquement dédiés à celui-ci ; mesures qui devraient inclure une exemption de calcul GloBE pour les juridictions ayant adopté un Impôt Complémentaire National Qualifié.

Le modèle de déclaration GloBE (consultation publique)

L’OCDE a également publié un modèle de déclaration GloBE qui fait l’objet d’une consultation publique jusqu’au 3 février 2023.

Ce modèle comprend quatre parties, relatives (i) à l’identification des Entités Constitutives et du Groupe, (ii) aux informations sur la structure juridique d’ensemble du Groupe et des entités qui le composent, (iii) au calcul du TEI GloBE et de l’Impôt Complémentaire, ainsi qu’(iv) à l’attribution de l’Impôt Complémentaire. Il permettra aux entreprises de se préparer de manière plus concrète aux exigences de Pilier 2, car l’OCDE explicite, notamment via la production d’une notice explicative, de manière très précise l’ensemble des informations nécessaires et la manière dont elles devront être présentées. Le modèle de déclaration inclut d’ores et déjà les modalités déclaratives liées à l’application des mesures de sauvegarde transitoires.

Dans le cadre de la précédente consultation publique, les participants avaient également sollicité le dépôt d’une déclaration centralisée. Cette modalité déclarative est évoquée par l’OCDE dans ses derniers travaux et fera l’objet de publications ultérieures pour sa mise en place effective. Les travaux se poursuivront donc sur l’élaboration de ces exigences de déclaration centralisée et des mécanismes appropriés pour permettre aux administrations fiscales d’échanger automatiquement les informations GloBE collectées, y compris dans le cadre d'accords bilatéraux ou multilatéraux entre autorités compétentes et des solutions informatiques pour soutenir l’échange d'informations, en particulier un schéma XML dédié.

Sécurité juridique (consultation publique)

Le Cadre inclusif a enfin publié un document sur la sécurité juridique (également en consultation publique jusqu’au 3 février 2023) qui prévoit des mécanismes garantissant une plus grande sécurité juridique dans l’application des règles GloBE (i.e., les règles modèles GloBE, les commentaires y afférents ainsi que les instructions administratives du Cadre Inclusif).

Ces mécanismes ont le double objectif de (1) prévenir les conflits qui pourraient apparaître dans le cadre de l’application des règles GloBE et de (2) les résoudre une fois que ces conflits sont survenus.

Concernant la prévention des conflits, il s’agit d’assurer une interprétation commune des règles et de leur application, notamment (i) en prévoyant la revue des règles qualifiées (i.e., RDIR, RPII, et Impôt Complémentaire National Qualifié) et la possibilité de transmettre au Cadre Inclusif des questions d’interprétation, (ii) en adoptant une approche coordonnée en matière d’analyse des risques et de conformité via le développement d'un programme similaire au Programme International d’Assurance de la Conformité (ICAP) de l’OCDE (i.e., procédure offerte aux groupes internationaux qui souhaitent s'engager volontairement dans une démarche de transparence et de sécurisation de leurs positions en matière de fiscalité internationale), et (iii) via la mise en place de mécanismes similaires à celui des accords préalables en matière de prix de transfert (APAs).

Concernant la résolution des conflits, il s’agirait notamment de mettre en place de mécanismes dérivés des procédures amiables (MAPs) sur la base d’instruments existants (i.e., Convention concernant l'assistance administrative mutuelle en matière fiscale ou conventions fiscales bilatérales) ou futurs (i.e., par le biais de l’adoption de mesures domestiques ou d’une convention multilatérale).

Au niveau de l'Union européenne

Après moult rebondissements, le 15 décembre 2022, le Conseil de l'Union européenne a unanimement adopté la directive relative à la mise en place de l’impôt minimum mondial de 15% des groupes multinationaux au sein de l’UE. Cette adoption fait suite à l’accord, négocié par les représentants permanents des Etats membres auprès de l’UE le 12 décembre dans le cadre d’un paquet de mesures incluant un plan de soutien financier pour l'Ukraine et un plan de relance et de résilience pour la Hongrie.

Bien qu'elle soit largement conforme aux règles du modèle de l'OCDE, la directive comprend quelques adaptations, comme par exemple, la mise en œuvre d’une Règle d’Inclusion du Revenu (RDIR) domestique. Ces règles devraient entrer en vigueur dès les exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023 (pour la RDIR). La Règle relative aux Profits Insuffisamment Imposés (RPII) entrerait en vigueur un an plus tard, en 2024.

La directive doit être transposée dans le droit national des États membres d'ici à la fin de 2023.

Quelles actions mettre en œuvre ?

Si l’on peut regretter le caractère incomplet des règles publiées par l’OCDE, ces mesures sont toutefois bienvenues car elles devraient faire sortir du champ d’application des règles GloBE de nombreuses Entités Constitutives pendant la période transitoire. Pour autant, dès lors que les règles GloBE sont susceptibles de s’appliquer dès 2023 à certaines juridictions, il conviendra pour les groupes, sans attendre l’issue de la période transitoire, de :

  1. procéder à une analyse d’impact des mesures de sauvegarde afin de déterminer l’effet de ces mesures pour le groupe ;
  2. identifier les pays « hors scope » et les pays « dans le scope » en vertu de ces règles transitoires afin d’évaluer l’ampleur des travaux à réaliser au regard de ces mesures ;
  3. si, à l’issue de ces travaux, des pays « dans le scope » sont identifiés :
    1. mettre à profit l’année 2023 pour mieux appréhender le contenu et l'impact du dispositif d'imposition minimale mondiale et en profiter pour former les équipes non seulement fiscales mais aussi celles des directions comptable et financière qui devront être impliquées dans la mise en place des procédures et des outils nécessaires aux calculs et aux déclarations GloBE ; et
    2. procéder à une évaluation de la disponibilité des nombreux points de           données nécessaires au calcul du taux effectif d'impôt GloBE et, le cas échéant de l’Impôt Complémentaire, en identifiant les différentes sources de données (outil de consolidation, services juridiques) et les process de remontée d’information/reporting à construire.

A cette fin, nos équipes ont développé une formation qui vise à la fois à la compréhension de l’ensemble des nouvelles règles de fiscalité internationale induites par Pilier 2 dans toute leur complexité et à identifier l’ensemble des éléments issus de la comptabilité financière qui devront être pris en compte dans l’application des règles.

Pour plus d'informations sur notre programme de formation : Formation Intra-Entreprise - Maîtriser les concepts et les règles détaillées de Pilier 2

  • Sources

    1. Entités Constitutives apatrides, Groupes Multinationaux à Entités Mères multiples, juridictions dans lesquelles des Entités Constitutives ont opté pour des régimes éligibles d'imposition des distributions en vertu de l’article 7.3 des règles GloBE, et juridictions n’ayant pas bénéficié des règles transitoires au cours d’un exercice antérieur au titre duquel le groupe était déjà soumis aux règles GloBE, à moins que ce groupe n’ait eu aucune Entité Constitutive dans cette juridiction au titre de cet exercice.

Ce qu'il faut retenir

A propos de cet article

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Claire Acard

Avocat Associée, Global International Tax and Transaction Services Quality Leader, France Tax Quality Leader

Avocat associée spécialisée en fiscalité financière et internationale. Accompagne de grands groupes français dans leurs stratégies de développement ou de redéploiement tant en France qu’à l’étranger.

Jean-Laurent Bargiarelli

Avocat Associé, International Tax & Transaction Services – Operating Model Effectiveness , France

Jean-Laurent accompagne les multinationales françaises et étrangères dans leurs projets de transformation et de transaction à l’international.

Anne-Lyse Blandin

Associée, Business Tax Services, France

Anne-Lyse accompagne les entreprises dans leurs problématiques comptables à enjeux fiscaux : opérations complexes, restructurations, acquisitions, contentieux fiscaux, structuration de projets.

Matthieu Dautriat

Avocat Associé | Private Leader EMEIA Financial Services Office

Matthieu est avocat et intervient auprès des acteurs du secteur bancaire et financier.